Publié il y a 1 mois - Mise à jour le 20.03.2024 - Anthony Maurin - 7 min  - vu 551 fois

FAIT DU JOUR Une baleine qui fait le sel de la vie

Yann Guerrero créateur, directeur artistique et de production de la compagnie CPPP (Photo Anthoy Maurin)

Yann Guerrero créateur, directeur artistique et de production de la compagnie CPPP (Photo Anthoy Maurin)

Yann Guerrero, directeur de production de la compagnie gardoise (Quissac) CPPP, évoque son spectacle grandiose nommé The Whale Street.

Né un jour de pluie de septembre 1973, le petit Yann Guerrero était très nerveux et pleurait beaucoup. Si bien que sa grand-mère l’appelait « Jean qui rit, jean qui pleure ». Yann Guerrero et les siens, vous connaissez ? Mais si ! Lui ? Il s’est occupé, par exemple, de la pégoulade de Nîmes quelques années durant. Jusqu’à dernièrement, il construisait les décors des « Grands Jeux Romains ». Les siens ? Ils sont toujours avec lui !

CPPP ? Ça fait parler. Les uns transpirent, les autres rigolent. Mais CPPP, c’est surtout la Compagnie de productions populaires et polymorphes ! Une compagnie qui fait dans l’humain et qui vit de l’humain. La compagnie a connu et connaît encore de grandes difficultés après deux épisodes l’opposant à Edeis, actuel délégataire des monuments romains, et R2B, producteur du spectacle Hadrien en mai 2022.

Yann Guerrero créateur, directeur artistique et de production de la compagnie CPPP (Photo Anthoy Maurin)
Yann Guerrero créateur, directeur artistique et de production de la compagnie CPPP (Photo Anthoy Maurin)

Mais aujourd’hui, comment va-t-il ?« Ça va mal et ça va bien ! En 2023, on a accusé le coup de la rupture brutale de contrat qu’on avait avec Edeis, ils ont été condamnés mais ce genre de marché ne se trouve pas facilement. En plus de cela, il y a eu l’impayé de R2B qui a été condamné mais qui s’est mis en situation de cessation de paiement. On nous doit 200 000 euros ! »

Au bord, à son tour, de la cessation de paiement, CPPP vient de faire un crédit pour rebondir. « La banque nous fait confiance sur l’activité de la compagnie. Ils sont venus, ils ont vu ce qu’on fait, et ce qu’on peut faire, ils ont vu que c’était une machine sérieuse. Ça ne veut pas dire que nous sommes sauvés des eaux, mais on peut passer 2024 à peu près sereinement. C’est un cercle vicieux, sans ces 200 000 euros on s’endette, on ne peut plus investir ni même développer… »

Ici à Salamanque The Whale Street (Photo collection Yann Guerrero)

CPPP aurait dû faire une création mais a dû serrer ses budgets pour passer la tempête et s’appuyer sur une valeur sûre. En parlant de tempête, si vous aimez les grandes eaux et pas celle de Versailles mais celles des océans déchainés, The Whale Street devrait vous plaire. Surtout si vous aimez les trames humaines. « J’ai créé la compagnie mais je suis entouré de gens fantastiques, plein de talent, très engagés auprès de cette histoire et sans argent, c’est le talent qui doit primer ! On a repris ce spectacle début 2023 où l’on a pu le jouer sur des dates assez prestigieuses comme à Quissac pour notre sortie de résidence, mais aussi à Bucarest, Salamanque, Santander… »

L’idée était de se rapprocher encore plus du roman Moby-Dick d’Herman Melville et chacune des villes citées fut, le temps d’une grosse heure, une nouvelle page du roman. « Tout ça nous a permis de redémarrer, de se ressouder, de reprendre la route et de revoir le succès ! À partir de là, nous nous sommes engagés dans la prospection pour 2024. »

Prospecter. Pas toujours facile quand on a la tête sous l’eau ou dans le guidon. Même si la baleine s’en sort sous l’eau, pour le guidon… « On rencontre des gens partout dans le monde, pour l’instant ça se limite à l’Europe, mais on fait comme tout le monde, on envoie des informations à des festivals, à des collectivités… Ce spectacle fait souvent office de temps fort d’un festival ou d’une fête de ville. On a nos réseaux parce que ça fait longtemps qu’on fait ça ! »

Ici à Salamanque The Whale Street (Photo collection Yann Guerrero)

25 personnes sur le pont du baleinier ou dans le bidon du cétacé. 25 personnes qui se mélangent pour donner vie à un spectacle. Qui est acrobate peut basculer dans la logistique, qui est technicien peut enfiler le costume… « On est une compagnie de théâtre de rue, un peu à l'ancienne et en effet tout le monde fait tout. »

Une répétition de The Whale Street (Photo Archives CPPP)

Et ça, ce n’est pas tellement étonnant. « Ce casting, c’est un peu le choc des cultures ! Entre les jeunes qui dansaient le hip hop derrière le Carré d’Art, danseurs de flamenco, les artistes de cirque, les musiciens… C’est une osmose, une alchimie. Pour un spectacle comme dans un sport, il ne suffit pas de réunir les meilleurs pour avoir la meilleure équipe ! Mais il ne faut surtout pas réunir les plus mauvais non plus ! »

Retour à l’histoire du spectacle. Bon, vous saurez que Moby-Dick n’est pas une baleine mais un cachalot blanc et qu’il a bouffé la patte du capitaine Achab dans le passé d’où l’acharnement fort humain de ce dernier pour le retrouver et lui ôter la vie.

The Whale Street (Photo collection Yann Guerrero)

« Ce qui m’a plu dans ce livre, c’est le principe, l’ambivalence. Actuellement nous sommes confrontés à des discours politiques très simplistes, binaires, machiavéliques comme dirait Védrine. La réalité est bien plus complexe, il y a de la nuance, de la relativité. On part de ce constat de l’homme cruel qui attaque la pauvre nature en danger sauf qu’elle va devenir complètement inhumaine. Le capitaine est simplement animé par sa folie vengeresse (d’où la jambe, NDLR), il est trop humain. Ces deux camps se rencontrent et s’affrontent. »

À Quissac chez CPPP, au mur, l'épure de la baleine (Photo Archives Anthony Maurin).

Quand Yann Guerrero dit qu’il fait de chaque ville dans laquelle il passe une page de ce roman n’est pas une galéjade. « On donne rendez-vous au public à un endroit. Rien ne se passe puis le capitaine Achab arrive avec tout son équipage bigarré à heure dite. »

On parle ici des personnages du roman et grosso modo, c’est les YMCA ! On a un cow-boy qui préfère les cow-boys, un cannibale qui est devenu végétarien et même un capitaine climatosceptique, indienne qui était un indien avant…

« À la recherche de Moby-Dick le baleinier s’arrête et explique au public ce qu’il fait. Il a traversé les mers, les montagnes et les capitales d’Europe. Il parcourt le monde à la recherche de cette baleine et il sait que c’est ici qu’il va la trouver. Le marin cow-boy fait alors un numéro de mât chinois qui symbolise la vigie du bateau et il cherche la baleine. »

À droite, Yann Guerrero en août dernier juste avant le spectacle des Nuits de Nemaus (Photo Archives Anthony Maurin).

Arrivé à la fin de ce numéro, le public en veut évidemment plus. C’est alors que la baleine entre en scène. Jusqu’ici cachée dans les environs, elle a pris la route et arrive sur les lieux du show. « Le capitaine essaie de la harponner et, sur un superbe poème qui symbolise le harponnage. La tentative échoue et est symbolisée par un numéro de force, de l’équilibre qui finit sur le dos de la baleine à sept mètres de haut. On a une écriture spectaculaire, c’est un peu ce qui nous caractérise ! » Il est à noter que la baleine mesure 20m de long et que bateau en fait 15.

Ici à Salamanque The Whale Street (Photo collection Yann Guerrero)

Comme dans le bouquin, la baleine s’en va. Piqué à vif par le toupet du poisson, Achab le poursuit, encore. Toujours. Il n’abandonne jamais. « C’est là que la baleine se retourne et qu’il y a la scène du face à face, la mise en garde. L’équipage de la baleine est composé de danseurs de hip hop et de flamenco là où l’équipage du baleinier est composé d’artistes du cirque. »

Prends garde à toi. Bizet l’avait dit au torero, la baleine le fait comprendre à Achab. « C’est le flamenco de la baleine qui met en garde le capitaine Achab. Dans ce genre de combat, il n’y a jamais de gagnant… tout le monde perd. Le capitaine est humainement fou, il ne se laisse pas impressionner et il montre sa puissance et son habileté avec un numéro de sangles dans les voiles du bateau. Et la baleine s’en va. »

Ici, le mur d'Hadrien se change en fort pendant les répétitions du spectacle Hadrien dans les arènes de Nîmes en mai 2022 (Photo Archives Anthony Maurin).

Oui, le capitaine la poursuit à nouveau ! Soit le spectacle se déroule sur une vaste esplanade ou une belle place, soit le cortège peut sillonner un bon kilomètre de rues à divers endroits ! La déambulation s’adapte en fonction des lieux.

Après une tempête qui est sympa à voir et à vivre, vient la fin où les deux équipages s’affrontent dans une sorte de battle onirique. Tantôt un numéro de cirque, tantôt un à bascule, quand le hip hop ou le flamenco s’illustrent pour la baleine, le bateau répond différemment dans un tac-o-tac cadencé.

The Whale Street (Photo collection Yann Guerrero)

« Pas de bagarre, chacun montre son habileté jusqu’à l’explosion finale et la fin du spectacle où personne ne gagne ! »

2024 et là et la tournée promet. Le 11 mai à Leucate village pour la Sol y Fiesta, puis à Joué-les-Tours pour le festival des arts de la rue, mais aussi l’étranger avec une date à Lodz en Pologne, une autre à Sibiu en Roumanie, à Las Palmas aux Canaries (la baleine prendra le bateau !) avant de revenir en France pour une session à Saint-Palais-sur-Mer, il y aura une date à Madrid. Viendront ensuite Harlingen aux Pays-Bas, Roquebrune-Cap-Martin, ou encore Saragosse pour la feria d’el Pilar en octobre.

Le repos du guerrier Yann Guerrero ? Que nenni, chez CPPP on programme un avenir européen (Photo archives Anthony Maurin).

« On a aussi des projets pour l’année prochaine, ceux qu’on n’a pas pu faire cette année… On a fait des choix puisque deux festivals en Pologne dont celui de Gdansk nous voulaient, mais ils tombaient en même temps que La Palmas donc en juillet 2025 on sera en là-bas ! Si on a accepté les Canaries c’est aussi parce que c’est une porte à l’Amérique du Sud. »

La suite des événements pourrait être plus propice à l’émancipation des soucis de CPPP. « Si on continue à se battre, c’est parce que les talents qui m’entourent veulent se battre. Ils connaissent la qualité du projet CPPP. Le succès de The Whale Street fait du bien aussi. Ce spectacle raconte un combat, la vie est un combat et nous on continue ce combat-là. Et je dois aussi dire que nous sommes en train d’écrire une nouvelle création, un nouveau spectacle. On a le principe scénographique qui sera un jeu d’échecs géant. »

Éric Teyssier et Yann Guerrero demeurent ensemble dans la lutte juridique actuelle (Photo Archives Anthony Maurin).

Le spectacle est composé de cinq scènes avec à l’intérieur… Grégory Nardella, excellent comédien, le directeur artistique du festival flamenco de Montpellier Alexis Laurens ou encore l’artiste de cirque Margot Darbois et (entre autres) Karim Rande que Yann soupçonne d’avoir perdu une partie de la guibole pour prendre le rôle !

On allait l’oublier mais vous l’aurez compris, le spectacle est original. Il y a des textes, bien entendu, de la poésie, des compositions originales…

CPPP sur les réseaux.

Anthony Maurin

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