Publié il y a 1 an - Mise à jour le 15.03.2023 - François Desmeures - 4 min  - vu 1385 fois

FAIT DU JOUR À partir de Trèves, Hydres pilote le recrutement collaboratif de PME ou d'entreprises du CAC 40

Philippe Soler a installé son entreprise à Trèves en août 2019

- (photo François Desmeures)

Aider une entreprise à se séparer d'un salarié, dans son intérêt à elle, ce n'est pas le seul paradoxe que Philippe Soler développe à travers sa société Hydres. Implanté à Trèves par choix, il accompagne la mobilité professionnelle des salariés en expliquant notamment aux entreprises que tel est leur intérêt. Ses méthodes pourraient bien amener Pôle Emploi à changer de braquet. 

Philippe Soler a installé son entreprise à Trèves en août 2019 • (photo François Desmeures)

C'est en tant que responsable ressources humaines (RH) d'entreprises importantes - comme la partie fret de la Deutsche Bahn lors de son implantation en France, ou de Saint-Gobain à Orléans - que Philippe Soler a commencé à relever des carences, des trous dans la raquette. Puis, il s'est dit qu'il serait sans doute le plus à même de combler ces trous. "En tant que responsable RH, je voyais les entreprises mettre beaucoup de moyens dans le recrutement. Mais si le salarié émettait un souhait de changement, la structure RH était incompétente. Il n'y avait pas vraiment de poste disponible ou de possiblité de mobilité géographique." L'interrogation, pour l'entreprise, s'arrêtait ici. Mais côté salarié, la motivation reste la même. "Et ça passe soit par une recherche individuelle et une démission, soit ça pourrit un peu l'ambiance de travail."

"Paradoxalement, accompagner un départ, c'est fidéliser un collaborateur"

Philippe Soler profite alors d'un voyage en Chine, avec Saint-Gobain, pour creuser son idée, celle de l'installation d'un "recrutement collaboratif, qui accompagne les mobilités en mettant en relation des entreprises, en créant des passerelles". Mais pourquoi une entreprise se décarcasserait-elle pour aller, éventuellement, renforcer un concurrent ? "Paradoxalement, enfonce Philippe Soler, accompagner un départ, c'est fidéliser un collaborateur. Et puis, ça permet d'anticiper le recrutement, de faciliter la passation des dossiers ou d'améliorer la valorisation de la marque employeurs." 

Ce traitement attrentionné soulève alors un autre paradoxe, le "développement du salarié-boomerang, qui connaît bien l'entreprise, connaît bien son fonctionnement, et y revient. Juste après le Covid, on comptait environ 17 % de ces salariés qui reviennent dans leur entreprise. Aujourd'hui, c'est plutôt 20 %." 

La grande démission n'existe pas

C'est une idée qui revient régulièrement sur le devant de la scène depuis la fin des confinements de la période Covid, les salariés seraient plus nombreux que jamais à quitter leur emploi. Pour Philippe Soler, si cette idée vaut un peu pour les États-Unis, ce n'est pas le cas en France. "C'est tout simplement parce que, pendant deux ans auparavant, il y a eu très peu de mobilité. Après la crise de 2008, il y a eu beaucoup plus de démissions qu'aujourd'hui. Cette fois-ci, il n'y a pas de sursaut marqué." Philippe Soler voit surtout un "changement du rapport de force. Les entreprises qui ont du mal à recruter sont celles qui ne l'ont pas compris."

Hydres est construit pour faciliter ces relations d'échange, la société se matérialise sous la forme d'une plateforme de recrutement collaboratif. "Côté recruteur, c'est hyper rapide, le dépôt de l'offre se fait en deux minutes", souligne Philippe Soler. En sachant que les secteurs attractifs "n'ont pas besoin de nous. Dans le BTP, l'industrie, les institutions publiques, ou les grands groupes bien structurés, on pratique plutôt de l'accompagnement. Pour les PME, plutôt du recrutement."

"Nous ne sommes pas une start-up, nous recherchons la rentabilité"

Alors comment expliquer qu'une entreprise qui a besoin de rester connectée en permanence avec les tendances du marché du travail, et les attentes de ses interlocuteurs des ressources humaines a pris pied dans cette extrêmité du Gard qu'est Trèves ? "Hydres a été créé à Orléans, coupe Philippe Soler. Mais ma famille est d'ici et j'y ai encore une maison familiale." Lui a été scolarisé jusqu'au lycée Daudet de Nîmes, avant d'aller étudier à Montpellier, notamment à la Montpellier business school. "Ma compagne est designer, mon fils avait trois ans. La société a été créée en 2018, on est venus ici en août 2019." Une vie qui convient avec sa vision de l'entreprise. "On prône la sobriété entrtepreneuriale, s'amuse Philippe Soler, on n'a jamais fait de crédit, on veut être autonome. Nous ne sommes pas une start-up, nous recherchons la rentabilité." Et la distance n'empêche pas Hydres de compter, continuellement, entre dix et vingt entreprises en cours de suivi. Si la fibre n'est pas encore arrivée au village, la connexion Internet est bonne et les zones blanches ont été couvertes.

Et puis, participer à la revitalisation d'une zone rurale est, aussi, un choix. La société compte deux salariés à Orléans, mais trois à Trèves. Dont une, embauchée récemment sur son savoir-être, même s'il faudra la former quelque peu. Le risque, c'est aussi qu'un salarié ne veuille pas venir dans un coin isolé du Gard. "Si j'ai besoin d'un profil très technique, je recruterai à Orléans." 

"Je parle toujours de Trèves"

Mais la volonté de développer durablement le territoire est réelle. "Le tourisme rend fainéant, juge Philippe Soler, l'activité n'est ouverte que cinq mois. Ici, il y a une poste, une gendarmerie, une épicerie. On ne va pas se plaindre. Et si on veut garder des services publics, c'est difficile sans développement des entreprises." Ces messages - et d'autres- Philippe Soler les a portés au ministère du Travail, le 9 février dernier, introduit par le sénateur Laurent Burgoa. "Je parle toujours de Trèves", sourit l'entrepreneur, qui effectue une sorte de promotion croisée avec le maire Régis Valgalier : quand l'un met en avant l'entreprise dans sa commune, l'autre évoque la commune qui abrite son entreprise et son cadre de vie exceptionnel. 

L'installation, sur le long terme, ne souffre donc d'aucun doute. "Ça fait deux ans et demi qu'on a fait une offre pour des bureaux. Mais c'est une indivision familiale, ça prend beaucoup de temps", philosophe le chef d'entreprise. Des indivisions historiques qui font que "certaines maisons tombent en ruine", quand d'autres ne parviennent pas à se loger. En tant qu'entrepreneur, et citoyen, Philippe Soler a versé quelques-uns de ses bénéfices à l'association des parents d'élèves du regroupement intercommunal, soutenue des associations locales. Loin des centres décisionnels, il identifie son plus grand concurrent, "le politique, parce que tout le monde veut avoir sa solution Pôle emploi". Au ministère du Travail, il en a peut-être apporté une ébauche de solution, pour Pôle emploi lui-même. 

François Desmeures

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