C'est un événement qui a forcément marqué les esprits. À Arles, le 26 septembre dernier, Théo* (le prénom de la victime a été modifié), 12 ans, élève en 5e au collège Mistral, attendait sa mère devant l’établissement. Alors qu’il était assis sur un muret, un homme s’est approché de lui. "Il l'a vu arrivé, il s'est levé et est parti vers la place Lamartine. L'homme l'a suivi en lui disant : 'Viens, viens avec moi'", raconte la maman de Théo, encore sous le choc. Malgré le refus de l’enfant, qui lui a répondu que sa mère arrivait, l’homme a insisté, prétendant la connaître et avoir été envoyé par elle. "Ça me ferait plaisir que tu restes avec moi", a-t-il ajouté.
C’est alors que Farid, 53 ans, sans-abri, est intervenu. Il a demandé à l’homme de laisser l’enfant tranquille et a mis Théo en sécurité auprès de deux autres collégiens. L’agresseur a pris la fuite en direction des quais du Rhône, mais a été poursuivi, rattrapé et retenu par Donatien, 31 ans, et d’autres SDF, jusqu’à l’arrivée de la police. "Théo m’a appelé avec un sang-froid incroyable pour me dire : "Maman, t’es où ? On a essayé de me kidnapper. En arrivant sur place, j’ai découvert une solidarité et une humanité incroyables de la part des sans-abri présents. Ils m’ont réconfortée et assurée que mon fils allait bien." S’en sont suivis des auditions au commissariat, un passage à l’hôpital, un accompagnement par une association d’aide aux victimes, et la comparution immédiate de l’agresseur devant le tribunal correctionnel de Tarascon (lire ci-dessous).
Un lien indéfectible
Au-delà de l’angoisse et des moments difficiles, une relation forte s’est tissée entre les membres de la famille de Théo et ceux qu'ils appellent désormais leurs "anges gardiens". "Ce sont deux héros, mais des héros sans domicile. Sans le sang-froid de Théo et l’intervention spontanée de Farid et Donatien, qui sait ce qui serait arrivé ?", confient les parents du jeune garçon. "Les vrais héros du quotidien sont souvent anonymes, mus par un élan du cœur. Leur bravoure ne peut rester sans réponse. La générosité appelle la générosité."
Une cagnotte en ligne au bénéfice des deux hommes a été lancée par les grands-parents de Théo pour les remercier et les aider à se reconstruire. Relayée sur les réseaux sociaux, cette initiative symbolise le début d’une histoire bien plus grande. "Ils ont besoin de parler. Farid a créé des liens très forts avec les grands-parents de Théo. Ils s’appellent souvent. Quant à Donatien, nous échangeons quotidiennement par WhatsApp. Il me demande chaque jour des nouvelles de Théo."
Si Théo va mieux, l’agression a laissé des traces : des cauchemars notamment. "L’impact sur les autres collégiens a aussi été important. Certains refusent désormais de sortir seuls du collège. Une cellule psychologique a été mise en place au sein de l’établissement, et la principale a salué les bons réflexes de Théo et rappelé aux parents les consignes à suivre en cas d’agression", explique la mère de famille.
Depuis, Donatien a trouvé un travail dans le Loir-et-Cher, mais reste en contact quotidien avec la famille. Farid, lui, a pu intégrer un centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Et tous deux peuvent désormais compter sur la famille de Théo. "On devait croiser leur route, pour les aider à notre tour", concluent les parents de Théo, le cœur plus léger malgré l’épreuve traversée.
Condamné à deux ans de prison
L'agresseur de Théo, un Roumain de 35 ans avec un casier judiciaire et déjà expulsé du territoire français, a été jugé en comparution immédiate par le tribunal correctionnel de Tarascon quatre jours après les faits. Pendant le procès, il a été indiqué qu'il était sur les lieux depuis au moins une demi-heure et que la perquisition à son domicile avait permis la découverte de gants en caoutchouc, de médicaments, d'une bouteille de gaz dans la salle de bains. L'expert psychiatre a estimé que l'homme n'était pas dangereux. L'individu a été condamné à deux ans de prison et à une interdiction définitive du territoire français. Une peine loin d'être à la hauteur pour les parents de Théo qui regrette que les faits de tentative d'enlèvement n'aient pas été retenus mais requalifiés en violence aggravée par deux circonstances (la victime est mineure et les faits se sont déroulés à proximité immédiate d'un établissement scolaire). Cette qualification a limité la peine maximale encourue à deux ans de prison. Ce jugement a laissé les parents de Théo dans une incompréhension et une colère profondes. "Pour requalifier les faits en tentative d'enlèvement, il faudrait demander l'ouverture d'une information judiciaire et mener une enquête approfondie en Roumanie et en France. Cependant, cette démarche nécessite une consignation d'argent importante. Et on nous a averti du faible taux de succès." Bloqués par le coût de la procédure et dissuadés d'aller plus loin, les parents de Théo sont aujourd'hui amers, "nous aurions aimé avoir la garantie que cet homme ne représente plus de risque, qu'il ne revienne jamais."