À 72 ans, le Dr Philippe Durand pourrait profiter d’une retraite bien méritée. Installé au numéro 6 de la rue Molière, en plein centre-ville d’Arles depuis plus de 40 ans, le médecin continue aujourd’hui encore de soigner près de 2 000 patients. Par passion et par devoir. Pourtant, ce n’est pas la fatigue qui le pousse désormais à envisager de fermer son cabinet, mais bien la pression administrative.
Il y a trois semaines, le docteur Durand a reçu un appel, suivi d’une lettre recommandée. "La Sécu m’a indiqué que mon nombre d’IJ (indemnités journalières) était supérieur à la moyenne. J’en ai pris acte. Mais ils refusent d’aborder des cas concrets, de discuter des dossiers de patients pour lesquels ma prescription pourrait poser problème. Pourtant, ils savent tout : l’âge des patients, leurs traitements sur l’année…", confie-t-il, amer. "Via son service de "Maîtrise médicalisée", la Sécu analyse toutes nos prescriptions à la loupe, mais sans jamais ouvrir un seul dossier médical pour en discuter. On me sort des camemberts, des histogrammes, des courbes… Mais quand je demande à voir un dossier précis pour comprendre où est le problème, c'est non !"
"Si on me dit comment je dois soigner, je préfère arrêter"
Résultat : une proposition de procédure de "mise sous objectif" de ses prescriptions d’arrêts maladie, avec la menace d’un contrôle systématique de chaque arrêt. Face à ce qu’il considère comme une humiliation, le Dr Durand a décidé de réagir : "Je ne me laisserai pas contrôler. J’ai 72 ans, je suis retraité et je continue par choix. Si on me dicte comment soigner, je préfère arrêter. Ce n’est pas un chantage, mais un constat : à mon âge, je n’ai plus à me battre contre des murs."
Et le médecin arlésien de revenir sur les incohérences et les aberrations d’un système qui préfère les statistiques à la médecine et qui démotive les nouvelles générations de médecins. "Les jeunes voient ça, cette pression administrative, et se disent : à quoi bon ? Faire 12 ans d’études pour se faire contrôler, humilier et gagner 10 euros de plus pour une visite à domicile ?"
Plus de 6 000 Arlésiens sans médecin traitant
Soutenu par ses patients, le docteur Durand l’est aussi par ses confrères. Parmi eux, le docteur Bernard Giral, qui est à l’origine de la création de la CPTS du Pays d’Arles (communauté professionnelle territoriale de santé). À 79 ans, il continue lui aussi de soigner des milliers de patients, dans son cabinet de Fontvieille mais aussi à Arles, où il fait des visites à domicile trois après-midi par semaine pour les patients qui ne peuvent plus se déplacer. "Arles est un véritable désert médical ! S’attaquer à des médecins qui se lèvent tous les matins pour continuer à assurer le suivi des patients dans un désert médical, c’est fort de café quand même !, lâche le docteur Giral. Quand les contrôleurs de l’assurance maladie sont derrière leurs ordinateurs, à regarder des chiffres, ils n’évaluent pas ni le dévouement du médecin qui continue la prise en charge de la population, ni la situation sur le territoire !"
Une situation particulièrement alarmante au regard de la nette diminution du nombre de médecins généralistes en l’espace de quelques années. En 2018, Arles comptait 53 médecins. Début 2025, elle n’en recensait plus que 37. Et nombreux, parmi les restants, sont en passe d’être à la retraite. Autre chiffre révélateur : en 2024, 6 392 patients arlésiens n’avaient pas de médecin traitant, soit 14,2 % des plus de 17 ans (source : Ameli.fr). La patientèle moyenne par médecin est également préoccupante : 1 327 patients par médecin à Arles, contre 1 097 en moyenne régionale. Des statistiques qui, elles aussi sans doute, mériteraient d’être passées au crible.