FAIT DU JOUR Jean-Luc Chapon : « Beaucoup d’Uzétiens n’ont connu que moi comme maire »
Il y a quarante ans jour pour jour, le 13 mars 1983, Jean-Luc Chapon était élu maire d’Uzès.
Dans son bureau de la mairie, dont le mobilier, précise-t-il, date pour la plupart de sa première élection, l’indéboulonnable élu jette un oeil dans le rétroviseur pour retracer son parcours. Un oeil seulement : à 81 ans, Jean-Luc Chapon n’exclut pas de se représenter en 2026. Interview.
Objectif Gard : Est-ce que vous vous attendiez le 13 mars 1983 à être encore là, quatre décennies plus tard ?
Jean-Luc Chapon : Pas du tout, je ne m’attendais même pas à être élu. Le député de l’époque, Jean Poudevigne, m’avait dit qu’il fallait que je fasse une liste, et que je sois tête de liste, donc j’ai monté la liste. Et le soir où j’ai été élu, je me suis promené en ville tout seul en me disant : « Eh bien voilà, tu as un sacré chantier ». Et je n’avais pas du tout prévu les adjoints parmi ma liste. Je n’avais rien prévu.
Parce que vous ne vous attendiez pas à gagner ?
Au premier tour, on est arrivés en tête devant la liste sortante de M. Rancel, et devant deux autres listes, une liste de Verts, déjà, et une liste menée par la présidente de l’office de tourisme. Le premier dimanche, j’ai rencontré les deux listes opposées au maire sortant. J’ai fusionné avec eux et la semaine d’après j’étais élu.
« J’étais porteur. J’étais le gars dynamique »
Comment expliquez-vous cette victoire, à l’époque ?
Il y a plusieurs phénomènes qui ont fait que. D’abord j’avais 51 salariés en 1983. À Uzès, je devais avoir 25 voitures auto-école qui tournaient puisque j’avais le circuit de Lédenon. J’avais pris la présidence du club de foot. La première année, on est montés de division. La deuxième, un concours de circonstances a fait qu’on a sauté une division, donc j’étais porteur. J’étais le gars dynamique.
Quand vous êtes élu, vous récupérez une ville qui n’est pas forcément celle qu’on connaît aujourd’hui.
Je vais être un peu ambitieux et dire qu’il y avait tout à faire. Donc durant le premier mandat j’ai eu énormément de possibilités d’investissement. On a fait l'avenue Pompidou, la zone du Pont-des-Charrettes, puisque je suis parti du principe que les foires ça n’allait plus marcher, c’était fini, donc il fallait avoir un centre commercial pour que les gens restent à Uzès. Ça a permis à tout un tas de commerçants de se développer alors que c’étaient des petits commerces en ville. J’ai fixé des gens sur Uzès, qui seraient allés à Nîmes, aux Angles ou ailleurs.
Parallèlement à ça, vous créez le marché du mercredi.
D’abord j’ai rendu la place aux Herbes piétonne. Quand j’ai enlevé toutes les voitures, la place aux Herbes était un immense parking. On m’a dit que je tuais le coeur de ville. Puis après j’ai créé le marché du mercredi dans les années 1990. Là aussi les commerçants étaient en colère. J’ai souvent eu les commerçants contre moi. Or je suis commerçant. Je savais ce que c’est que de gérer une affaire, payer les employés, la TVA, l’Urssaf, donc chaque fois j’ai réussi plus ou moins à remettre les commerçants avec moi, mais à chaque fois je les ai eu contre moi au départ. Les commerçants étaient prêts à me tuer quand j’ai créé le marché, aujourd’hui je supprimerais le marché, ils me tueraient (rires).
Quelle est votre plus belle réalisation ?
Quand vous vous retrouvez maire d’Uzès, vous êtes président de l’hôpital. C’était un mouroir. Je détruis donc la maison de retraite, j’en construis une autre, un hôpital, puis la deuxième maison de retraite à l’Escalette. Quand je suis arrivé, j’avais 140 salariés à l’hôpital. Aujourd’hui on a 860 bulletins de salaire. C’est ma plus belle réalisation l’hôpital. On a doté Uzès de quelque chose qui satisfait tout le monde.
« J’ai été un précurseur pour beaucoup de choses »
Ça, et le fait d’avoir petit à petit rénové cette ville, d’en avoir fait un haut lieu touristique…
(Il coupe) Il y a l’hôpital, mais bien entendu il y a tout le reste.
En quarante ans cette ville s’est métamorphosée. Elle est devenue une ville touristique, connue largement au-delà des frontières du Gard.
En 1983 quand j’ai été élu, qu’on me demandait où j’habitais, je disais « j’habite dans le Gard ». Puis (Jean) Bousquet (à nîmes, NDLR) a été élu en même temps que moi. Il a beaucoup fait parler de Nîmes, alors je disais « je suis de Nîmes ». Aujourd’hui, je dis « je suis d’Uzès », et une personne sur quatre connaît Uzès.
Mais à la base vous êtes d’Alès, et vous avez été marqué par la transformation d’Alès après guerre.
J’avais déjà cet exemple de la destruction de très beaux quartiers d’Alès. C’est vrai que ça m’a incité. Il m’a été très difficile de faire comprendre aux gens qu’Uzès était une ville à secteur sauvegardé et qu’il fallait la préserver. Il a fallu se battre. Pendant quarante ans j’ai appris à me battre constamment pour tout ce qu’on faisait. Quand j’ai fait le parking souterrain (inauguré en 1995, NDLR), on disait que je tuais Uzès, que je ruinais la ville. Après, des gens venaient d’autres villes pour voir comment on avait fait. Quand j’ai fait le quartier de Mayac, l’opposition a toujours voté contre. Je pense que j’ai été un précurseur pour beaucoup de choses. Mayac aujourd’hui c’est pratiquement 1 000 habitants, il y a des logements sociaux, le dernier terrain s’est vendu à 80 000 euros, c’est à la portée de beaucoup de bourses.
Est-ce que, quarante ans après votre élection, Uzès ressemble à ce que vous vouliez ? Estimez-vous avoir réussi ce que vous avez entrepris ?
Je n’avais pas la vision future quand j’ai été élu. Quand j’ai été élu il y avait tellement de choses à faire que je ne pensais pas à quarante ans plus tard, et encore moins que quarante ans plus tard je serais encore là. J’ai été réélu sept fois, les dernières fois au premier tour. J’ai 1 514 contacts dans mon téléphone, je n’ai jamais changé de numéro. Et en quarante ans, on arrive à 72 000 personnes reçues ici. J’ai toujours reçu les personnes qui demandent à être reçues.
« Ça fait quarante ans que je ne travaille pas »
C’est ce qui vous a toujours motivé, servir les Uzétiens ?
Oui. Il faut être au service des gens, à l’écoute. Je le dois peut-être à mon père, il était président du Secours catholique, de la Conférence de Saint-Vincent-de-Paul, de la cathédrale d’Alès, des jardins ouvriers, ce qui m’a peut-être incité à faire les jardins familiaux ici.
Il était dans un engagement pour les autres...
Oui, un engagement total, et je crois que j’ai fait de même. Je suis une assistante sociale. Les gens ne vont plus voir l’instituteur ou le curé s’ils ont un problème, mais le maire. Je fais tout. J’ai même reçu des gens qui m’ont dit : « Je suis en train de divorcer, qu’est-ce que je fais ? », qui me demandent conseil. C’est ma vie. Confucius a dit : « Fais un travail qui te plaît et tu n’auras jamais travaillé de ta vie. »
Donc ça fait quarante ans que vous ne travaillez pas...
Ça fait quarante ans que je ne travaille pas, oui (rires).
C’est le plus beau mandat, le mandat de maire ?
Oui, j’ai connu d’autres mandats, mais c’est le plus beau. Quand vous êtes conseiller général, ce n’est pas vous qui décidez. Vous ne recevez personne. Quand vous êtes sénateur, qui recevez-vous ? Vous n’avez même pas de bureau.
Vous auriez voulu être sénateur, quand même...
Oui, une fois. Et pour ne pas faire perdre mon camp, je me suis retiré. J’avais la capacité de faire perdre mon camp, mais j’ai senti que je n’avais pas la capacité de gagner puisque je n’avais pas l’investiture. Donc je me suis retiré.
La retraite, vous y pensez quand même ? Vous avez 81 ans...
J’ai 81 ans, mais j’ai des copains qui ont pris leur retraite à 55 ans. Certains sont déjà morts, et les autres, quand je les croise… Quand vous prenez votre retraite trop jeune, si vous ne faites plus rien, vous dépérissez rapidement. Moi je suis encore là à me réveiller la nuit, à prendre un carnet et à noter ce qu’il faut faire et comment je vois les choses.
Vous n’êtes pas émoussé, fatigué par ces quarante ans de mandat ?
Pas du tout et l’opposition m’excite, me maintient et me donne envie de continuer. Une opposition qui est destructrice et pas constructive, c’est ce à quoi j’ai droit depuis que je suis élu. Ils ont combattu tout ce que je proposais. J’ai réussi car j’ai eu une certaine autorité, une certaine capacité à réaliser ce que je pensais bien pour Uzès.
Et l’intercommunalité, que vous avez présidé pendant des années, qu’en retenez-vous ?
J’avais créé l’Amicale des maires du canton, et la communauté de communes de l’Uzège, parce que certains ne voulaient pas qu’on utilise le nom d’Uzès. Certains maires craignaient qu’Uzès prenne trop le dessus. Ensuite j’ai réussi à ce qu’on l’appelle Pays d’Uzès, car pour beaucoup de gens, l’Uzège ça ne voulait rien dire. Les gens ne retiennent que ça, Uzès. C’est la preuve qu’on a bien réussi.
C’est un mandat dans lequel vous avez pris du plaisir aussi ? Car vous avez fini par le lâcher en 2020...
Oui parce que quand vous voulez vous consacrer pleinement à quelque chose… S’occuper de 120 salariés à la communauté de communes, 120 à la mairie d’Uzès, 800 et quelques à l’hôpital, à un moment il faut voir ce qu’on peut continuer à faire de bien. Actuellement, je me consacre entièrement à la mairie.
Ce n’est pas aussi parce que vous avez vu arriver Fabrice Verdier sur ce territoire, et que c’est une manière aussi de lui passer le relais pour la suite ?
Ça a été peut-être une facilité de savoir que j’avais quelqu’un qui pouvait reprendre, mais ce n’est pas pour ça que j’ai cédé.
Pour être clair, ce n’est pas une forme de début de retraite ?
Non, pas du tout.
On aurait pu l’interpréter comme ça, et se dire que vous alliez ensuite lâcher la mairie pour profiter de votre retraite à Uzès ou ailleurs.
Ou ailleurs. Ça doit être difficile de rester dans une ville que vous avez géré pendant quarante ans. Mais pour l’instant la question ne se pose pas.
Et vos proches, ils ne vous la posent pas, cette question ?
Pas mes proches, certaines personnes me demandent. Mais j’ai plus de gens qui ont peur que j’arrête. Et beaucoup d’Uzétiens n’ont connu que moi comme maire (rires).
La société a évolué, celle d’aujourd’hui n’est plus celle de 1983. Vous arrivez à rester dans le coup ?
J’ai le sentiment d’avoir évolué chaque année. Je suis entouré de jeunes, j’arrive à suivre. Et j’ai aussi ma femme qui m’a beaucoup aidé, elle a toujours été d’accord avec ce que j’ai fait politiquement, et ça je crois que ça compte beaucoup dans la vie d’un élu. Beaucoup de choses ont changé, lors de mes premiers mandats j’ai pu faire des choses que je ne pourrais plus faire aujourd’hui. Aujourd’hui, l’administration s’est complexifiée. L’État se débarrasse de beaucoup de choses, mais par contre il a embauché des gens qui sont là pour compliquer les choses. Il faut constamment se battre. C’est complexe, mais en plus c’est lent.
« Je ne dois rien à personne, ni à aucun parti »
Vous êtes souvent critique contre le Gouvernement. Un Gouvernement présenté comme centriste. Vous, le centriste, n’avez-vous jamais été tenté de rejoindre le parti de la majorité présidentielle ?
Non, car en politique je n’ai jamais couru après personne. Jamais un parti ne m’a donné l’investiture, jamais. Je ne dois rien à personne, ni à aucun parti. Actuellement, il y a des décisions prises par le Gouvernement, vous ne savez pas pourquoi. Par exemple, sur la suppression de la taxe d’habitation, je ne suis pas content du tout. On n’a pas augmenté la taxe d’habitation pendant onze ans. Il y a des mairies qui ont été mises sous tutelle, qui vont toucher une grosse taxe d’habitation à vie. Il faudrait peut-être qu’il y ait un lissage, que ceux qui ne perçoivent pas beaucoup montent un peu et que ceux qui perçoivent beaucoup car c’était mal géré, baissent un peu.
Ne vous aurait-il pas fallu avoir un mandat national pour porter ces combats ?
Ça m’aurait intéressé, je suis pour le cumul des mandats et pas pour le cumul des indemnités. C’est absurde, prenez un maire de petit village, est-ce que ça l’empêche de devenir député ? Ce n’est pas logique, un maire ça touche tous les problèmes que rencontrent les gens. Vous avez le contact avec tout le monde. Si vous êtes député et que vous n’avez plus le droit d’avoir de contact avec la population, vous ouvrez une permanence, mais vous n’avez plus le contact, ce n’est plus pareil.
Le président des États-Unis, Joe Biden, a votre âge et envisage de se représenter. C’est aussi votre cas ? 2026, vous y pensez ?
Je vais suivre Joe Biden, voir ce qu’il fait, pour prendre une décision (rires). L’expérience c’est énorme. Pour se présenter, il faut avoir la santé et toujours la volonté, donc je ne peux pas dire trois ans à l’avance ce que je ferai.
Sur ces quarante ans de mandat, y a-t-il un gros regret qui vous reste ?
(Il réfléchit) Si ma femme était là, elle vous dirait que c’est d’avoir fait de la politique. Quand vous vous occupez d’une ville, vous vous occupez moins de vos affaires. Je me suis consacré à la mairie. Est-ce-que je peux avoir un regret, moi ? Non, je n’ai pas de regret. Je fais quelque chose qui me plaît, j’ai la satisfaction de voir ce qu’on a fait d’Uzès.
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