SAINT-QUENTIN-LA-POTERIE Une nouvelle hypothèse pour la disparition du bourg médiéval de Massargues
C’est une découverte majeure, associée à un mystère épais : le bourg médiéval de Massargues, à quelques kilomètres du village de Saint-Quentin-la-Poterie, tombé totalement dans l’oubli et redécouvert il y a vingt ans par l’archéologue Samuel Longepierre, fait l’objet de fouilles depuis 2018. Un point sur les avancées de ces fouilles a été fait par l’archéologue mardi soir à Uzès devant pas moins de 300 personnes.
L’histoire est désormais connue, mais toujours aussi incroyable : un bourg médiéval de taille respectable, qui correspondrait aujourd’hui à une ville de la taille de Bagnols, complètement abandonné au XIIIe siècle, deux siècles après sa construction, recouvert depuis de garrigue avant d’être exhumé par un jeune archéologue du coin. « Il a totalement disparu sans laisser de trace dans les livres d’histoire, ni chez les anciens », résume le maire de Saint-Quentin-la-Poterie Yvon Bonzi, qui « aurai(t) pu être maire de deux communes à la fois ! », s’amuse-t-il.
Il n’en est rien, et ce site, de trois hectares, est « sans équivalent », rappelle le président de l’association l’Uzège, Henry de Cazotte, association qui a initié les démarches conduisant à des fouilles autorisées par les services de l’État en 2018. L’association finance aussi une partie des fouilles, entre autres grâce au mécénat, accompagné par les communes de Saint-Quentin-la-Poterie et Vallabrix et par la Communauté de communes du Pays d’Uzès. Si Massargues est sans équivalent, c’est que les autres bourgs médiévaux de l’époque ont par la suite donné les villes qu’on connaît aujourd’hui, et ont donc été reconstruits depuis. Pas Massargues, « laissé dans son jus depuis 1280, peut-être 1300 », indique Henry de Cazotte.
« Un bourg économique »
Une fouille probatoire sera réalisée en 2018, puis une vague de trois étés de fouille, avec des archéologues en formation, sera menée en 2022, 2023 et se poursuivra cet été. Fouilles et analyses permettent de mieux comprendre la constitution d’un bourg médiéval et de commencer à dessiner l’histoire de Massargues. Car on partait de rien, ou presque : « En 2018, on avait délimité les contours du bourg et dégagé quelques murs », retrace Samuel Longepierre. Dès 2018, une certitude se dégage cependant, celle de l’existence « d’un plan régulateur, d’une ville, pas d’un ensemble villageois. » Suivra en 2022 la mise au jour d’habitats médiévaux « dans un état de conservation relativement bon », dit l’archéologue.
Massargues était donc une ville neuve. « Aux XIIe et XIIIe siècles, il y a eu un essor démographique, et on va créer des sites ex nihilo comme Massargues, avec un plan régulateur en lanières », développe Samuel Longepierre. Une organisation rationnelle donc, qu’on retrouve encore aujourd’hui dans le quartier Saint-Jacques de Perpignan notamment, même si « on n’a pas d’exemple à mettre en parallèle », rajoute-t-il, caractère exceptionnel de Massargues oblige. Les fouilles de 2023 ont permis de « confirmer pleinement un réseau de rues », mais le plan qui s’est dévoilé « nous a questionnés », avance Samuel Longepierre.
Car, à l’inverse du quartier Saint-Jacques par exemple, il n’y a pas de ligne médiane entre deux lanières, ni de maisons présentant un pignon en front de rue. À la place, « une organisation en grandes unités d’habitations, c’est un modèle qui n’a pas d’équivalent », expose l’archéologue. Il s’agirait donc « d’unités d’exploitation, de fermes », avance-t-il, avec une grande densité. D’autant plus étonnant que Massargues « ne dépend pas d’un pouvoir directement sur place », affirme-t-il, se référant aux écrits qui évoquent le bourg et à l’absence de château, de tour ou d’église monumentale sur place. Le territoire dépendait à l’époque du comte de Toulouse, plus ou moins directement. « Personne ne se revendique seigneur de Massargues, alors que c’est alors le site le plus gros de la région après Uzès », résume-t-il.
Il s’agirait donc d’une communauté d’habitants, « issue du mouvement consulaire qui se met en place à partir du XIXe siècle en Italie et dans le sud de la France, qui correspond à un avènement de la bourgeoisie avec une culture de la légalité, des villes qui restent indépendantes », explique Samuel Longepierre. Tarascon en faisait partie, par exemple. Avec un fort penchant économique concernant Massargues. « C’est une thématique nouvelle de 2023, un bourg économique, le doute n’est plus permis étant donné la qualité des installations économiques retrouvées », expose l’archéologue. On retrouve ainsi plusieurs ensembles de cuves en mortier. Pour l’huile d’olive ou le vin ? Des analyses de chimie organique menées sur une cuve démontrent qu’elle a contenu de l’huile d’olive. « Une production oléicole, c’est sans précédent pour une communauté d’habitants, en Provence et dans le Languedoc, l’olivier correspond à des cultures spéculatives plus récentes, pas avant le XVe siècle », explique-t-il. À l’époque de Massargues, la culture de l’olive existait, mais sur les territoires inféodés à l’aristocratie ou à l’église.
Massargues tué par les taxes sur le sel ?
Massargues devait aussi tirer d’importants revenus du transport par voie terrestre, ponctué de péages. « Le bourg était sur l’axe principal entre Le Puy-en-Velay et le port de l’Ardoise, c’était un point majeur dans les voies économiques de l’époque », assure Samuel Longepierre. C’est là une nouvelle hypothèse pour expliquer la disparition du bourg : « À l’époque, le plus grand commerce était celui du sel. On pensait qu’il était surtout transporté par voie terrestre, mais désormais on sait que jusqu’à 1260, il l’était principalement par voie fluviale, par le Rhône, et l’Ardoise pourrait être un port de première importance dans ce commerce », développe-t-il.
Or, en 1260, les contes de Provence, qui font partie du Saint-Empire romain germanique, décident d’exercer un monopole sur le transport du sel sur le Rhône. « Ils augmentent fortement la gabelle (l’impôt sur le sel, NDLR) à Albaron », avance Samuel Longepierre. Résultat : le transport fluvial devient trop cher, et se voit remplacé par le transport terrestre. La voie passant par Massargues, « si elle était liée à ce commerce, disparaît alors », conclut l’archéologue. Si l’hypothèse « reste à affiner », tempère-t-il, elle est séduisante, notamment par la concomitance historique présumée entre la surtaxation du transport du sel sur le Rhône et l’époque présumée de la disparition de Massargues, définie par l’étude des céramiques retrouvées sur place.
On y a retrouvé quelques céramiques glaçurées, « qui apparaissent dans l’Uzège entre 1260 et 1275, et à Massargues on a le tout début de cette technique », affirme Samuel Longepierre, qui compte encore affiner la date de la disparition mystérieuse du bourg médiéval. Une chose est sûre : on est loin d’en avoir fini avec les secrets de Massargues, puisqu’à l’issue de la campagne de fouilles, seuls 10 % de sa surface auront été fouillés.
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