Publié il y a 8 jours - Mise à jour le 26.11.2024 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 512 fois

FAIT DU JOUR ADN, généalogie… enquête sur une soif d’origines

Malvina et Séléna Comte, natives des Cévennes sont toutes deux devenues archivistes grâce à leur passion pour la généalogie. Durant ses études, Séléna a notamment réalisé un mémoire sur les objets des enfants abandonnés de l’hospice de Nîmes au XIXe siècle siècle. Un lieu où une de leurs aïeules a été abandonnée.

- © Malvina et Séléna Comte

Non il ne faut pas avoir une tignasse blanche et la carte vermeil pour aimer la généalogie. Séléna Comte, 25 ans, et sa sœur Malvina, 27 ans, ont conçu un arbre généalogique avec 10 000 références. Toutes deux ont suivi le DU « généalogie et histoire des familles » de Nîmes et travaillent aujourd’hui dans un service d’archives. Émilie Dutilleul vient d’être recrutée dans le cabinet de généalogistes successoraux de Remoulins. Elle n’est pas encore partie chercher des héritiers en Nouvelle-Zélande comme le responsable de son agence, mais elle a réussi à retrouver les enfants oubliés d’un défunt. Loïc Duchamp, généalogiste familial, propose diverses formules pour découvrir ses aïeux : un arbre, une forêt ancestrale et même un guide personnalisé pour faire du tourisme généalogique… Il s’est aussi formé pour interpréter des résultats ADN. Ces tests sont réservés en France à la Justice ou à des recherches médicales encadrées. Mais des Gardois sont parvenus à les commander et à les faire venir à l’étranger.

« De plus en plus de jeunes veulent faire de la généalogie leur métier »

Faire la chasse aux héritiers comme généalogiste successoral, aider les gens à découvrir leurs aïeux comme généalogiste familial… 350 personnes ont postulé pour la version à distance du diplôme de « généalogie et histoire des familles » d’Unîmes.

Séléna Comte collectionne les albums photo de familles inconnues et effectue leur généalogie, « juste pour le plaisir ». Cette native de Bordezac a seulement 25 ans et pratique la généalogie depuis déjà 10 ans. Avec sa sœur Malvina, elle a même passé en 2018-2019 le diplôme d’université « généalogie et histoire des familles » d’Unîmes. Malvina, 27 ans, est d'ailleurs formatrice pour ce DU.

C'est pour retrouver qui étaient les personnes représentés en photo dans un carton oublié au grenier que les deux soeurs Comte se sont lancées dans des recherches généalogiques.  • © Malvina et Séléna Comte

Cartons de photos et objets des enfants abandonnés

Tout a commencé à cause d’un carton, une boîte oubliée dans le grenier de la maison familiale. Les deux sœurs la découvrent alors qu’elles ont 17 et 15 ans. Elle contient une multitude de photos anciennes. Personne ne sait de qui il s’agit. L’enquête commence. Malvina et Séléna décortiquent tout sur les images : les vêtements portés, le nom du photographe, le grammage du papier. Elles fouillent l’état civil dans les mairies voisines, visitent les cimetières, interrogent famille, voisins, plongent dans les actes numérisés des archives. « On le ressort toujours ce carton, sourit Malvina. On a identifié au moins la moitié des photos ». En parallèle, les deux sœurs construisent leur arbre généalogique. Il contient 10 000 personnes et on peut le consulter sur le site Généanet.

Ce carton est devenu une vocation. Après une première année d’école d’ingénieurs en chimie, Malvina reprend des études littéraires. Elle finit par se retrouver avec sa sœur Séléna en troisième année de licence d’histoire à Unîmes. Elles passent ensemble le DU de généalogie. Séléna embraye sur un master d’archivistique. Malvina obtient elle deux masters : un en histoire médiévale et un en archivistique. Aujourd’hui, les sœurs travaillent au sein du même service d’archives de la région. « De plus en plus de jeunes veulent faire de la généalogie leur métier », constate Malvina. Lorsqu’elle est en permanence à la salle de lecture des archives, elle contrôle les cartes des généalogistes successoraux et voit des années de naissance de plus en plus récentes.

Recherche d’héritiers

« Je n’ai pas l’impression d’aller travailler le matin ». Sourire contagieux, chignon blond flou, Émilie Dutilleul a quitté Bordeaux en janvier 2024 pour se former en généalogie à Nîmes. Celle qui possède également une licence sur les métiers du notariat, travaille depuis cet été pour l’agence de Remoulins du cabinet de généalogistes successoraux Veyron et Perrin. Pour son premier dossier, elle a réussi, grâce aux recensements de population, à retrouver les descendants d’un monsieur. Marié deux fois, il avait coupé les ponts avec ses enfants nés de sa première union. Bouclettes rousses, lunettes carrées, Charlotte Bergen est sa voisine de bureau. Elle suit une licence de droit en alternance. Elle ouvre et clôture les dossiers mais participe aussi aux recherches. Elle consulte les registres de matricules militaires, fait des enquêtes de voisinage par téléphone : est-ce qu’une infirmière ou des proches passaient chez le défunt ? Quel est le numéro des amis ? « On va dans la moindre brèche », lance-t-elle avec gourmandise.

Un engouement dopé par le confinement

Pourquoi un tel engouement pour la généalogie ? « Pendant le confinement, les gens étaient chez eux. C’était une période de crispation, esquisse Malvina Comte. Il y a des personnes qui s’interrogeaient sur leur passé et, comme le futur était incertain, ils en ont profité pour chercher des réponses ». La numérisation des archives leur a permis de faire leurs recherches au chaud chez eux. « La fréquentation de tous les sites d’archives départementales a augmenté pendant le confinement », confirme Corinne Porte qui dirige les archives départementales du Gard depuis janvier. L’association des chercheurs et généalogistes des Cévennes avait mis en ligne ses archives bien avant le Covid. « Le site a été très très fréquenté pendant le confinement », se souvient Simone Meissonier, présidente. L’association a même enregistré une trentaine d’adhésions. Mais cette dame de 87 ans qui cherche en vain un successeur, estime que ces nouveaux adhérents ont « butiné » avant de s’envoler. Bernard Février, organisateur des rencontres généalogiques du Gard nuance : « le Covid n’a fait qu’accentuer l’attrait pour la consultation des archives depuis chez soi ». L’intérêt pour la généalogie a-t-il décru ou pas avec la pandémie ?

Corinne Porte pointe du doigt les chiffres de fréquentation entre le 1er janvier et le début novembre 2024 : au niveau physique, il y a eu 880 nouveaux inscrits aux archives départementales. Même si l’année n’est pas terminée, le chiffre de 2023 a déjà été atteint. « Plus de 52% du lectorat de cette année sont des généalogistes », complète-t-elle. Sur le net, cela flambe. 196 194 visiteurs ont visité la salle de lecture virtuelle des archives depuis début 2024 et ont téléchargé 414 000 documents. Certains utilisent des sites collaboratifs. Romain, 43 ans, a réussi à faire remonter son arbre généalogique jusqu’en 1522 sans quitter son canapé. Ce Nîmois utilise le site MyHeritage. Il inscrit des aïeux avec leurs dates de naissance et de décès et peut avoir un « match » avec d’autres personnes qui partagent les mêmes ancêtres. Les arbres se complètent de manière collaborative.

Des formations très demandées

Les formations se multiplient autour de la généalogie. La prestigieuse école des chartes qui forme les conservateurs du patrimoine a lancé un DU spécialisé en 2023-2024. L’université du Mans propose deux formations. Unîmes en a trois. Le DU « généalogie et histoire des familles » se passe en un semestre. Même si la version à distance est facturée 1300 €, l’université a reçu 350 candidatures pour 60 places. Pour la version en présentiel, 50 personnes ont postulé pour 20 places. Ce DU a été créé en 2010. « On avait constaté que dans les salles d’archives, il y avait beaucoup d’amateurs de généalogie qui butaient sur de nombreux obstacles comme la paléographie », se souvient Isabelle Ortega, responsable pédagogique. En 2015, deux sessions supplémentaires à distance de 30 places chacune sont rajoutées. « Pour la première promotion, on a eu un militaire qui était à Abou Dhabi. Puis on a eu des étudiants aux Antilles, au Danemark, à l’île Maurice… » égrène-t-elle. En janvier 2020, pour répondre à l’appétit croissant des étudiants, l’université lance un DU d’approfondissement. Il comprend notamment du droit successoral, des cours de « psychogénéalogie » et de « généalogie et génétique ». Il existe aussi un DU d’une semaine sur l’installation comme généalogiste professionnel.

Isabelle Ortega, responsable pédagogique des DU de généalogie d'Unîmes. Le DU de généalogie et histoire des familles est facturé 150 € pour les étudiants inscrits à l'université.  • DR

« Les premières années, il y avait beaucoup de cheveux blancs, admet Stéphane Cosson qui enseigne à Unîmes depuis 2010. Aujourd’hui on a des gens entre 21 et 75 ans. Mais la catégorie la plus représentée, ce sont les 20-40 ans ». Dans la pile de candidatures, Isabelle Ortega trouve beaucoup de personnes souhaitant se reconvertir. Elle observe une « flambée » pour la généalogie successorale. Certains candidats lui écrivent vouloir faire ce métier qu’ils ont vu à la TV. France 3 puis TF1 ont chacun consacré une série d’émissions à cette profession.

"On a plus de 44 000 registres de notaires", souligne Corinne Porte, directrice des archives départementales. Son prochain projet est de numériser les données nominatives des mineurs des compagnies minières des Cévennes. • Sabrina Ranvier

Est-ce un effet de mode ? Non, répondent Corinne Porte et Stéphane Cosson. Eux voient monter l’intérêt pour la généalogie depuis au moins une vingtaine d’années et pensent que cela ne va pas se tarir. « Les gens sont très incertains de l’avenir avec le dérèglement climatique, les guerres un peu partout. Se recentrer sur les familles et la généalogie peut être rassurant », souligne Corinne Porte. « La généalogie permet de relativiser sur notre vie actuelle », complète Bernard Février. Quand on consulte les registres des matricules d’un aïeul soldat, on trouve soudainement sa vie plus confortable.

Une partie de l'équipe du cabinet Veyron et Perrin de Remoulins : Charlotte Bergen en rose, Emilie Dutilleul avec un chignon blond et Ludovic Thomas, directeur général. • Sabrina Ranvier

Généalogiste : un métier non réglementé

Ceux qui ont fait des études d’histoire se tournent en général vers la profession de généalogiste familial. Grosso modo, ils font des arbres à la place des autres. Ceux qui ont suivi un cursus de droit visent la généalogie successorale. Ils cherchent des héritiers pour les notaires. Ce n’est pas un métier règlementé. Il n’y a pas un « ordre » des généalogistes successoraux mais plus de 95% des cabinets sont rattachés à l’organisme professionnel « généalogistes de France ». « On a adopté un code éthique. On a l’obligation d’avoir une responsabilité civile professionnelle. Un audit est fait chaque année », précise Ludovic Thomas du cabinet Veyron et Perrin.

Sabrina Ranvier

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