FAIT DU SOIR Robert Leydet : chanteur et défenseur de l'artisanat
Chanteur, il a enregistré des disques pour financer l’installation du téléphone dans une vallée cévenole perdue. Relieur-doreur itinérant, il a transmis ses gestes séculaires à 100 000 écoliers. Ce joyeux bavard a un objectif : redonner ses lettres de noblesse à l’artisanat. Cet article est issu du numéro 62 du magazine Objectif Gard paru en février 2023.
« Les sous ces années-là n’étaient pas gouleyants… On reliait les mots, on reliait les hommes. Artisan, c’est un mot qui n’est pas salissant. » La voix grave de l’actrice Anny Duperey s’échappe d’un confiturier provençal. Une chaîne hi-fi grise est cachée à l’intérieur. À côté de ce meuble ancien, un monsieur à la tignasse blanche ébouriffée écoute sagement. Mais la tentation est trop forte. D’un coup, ses mains battent la mesure et il se met à fredonner. Des lunettes dorées cerclent ses yeux clairs. Robert Leydet est l’auteur de ce Chant des artisans. Il vient de rééditer douze de ses chansons pour l’association gardoise Terre des enfants. Anny Duperey en interprète trois.
Chanteur par accident
Mais qui est donc cet homme à la bouille ronde qui fêtera ses 89 ans en février prochain ? « Je suis devenu chanteur d’utilité publique par accident », confesse-t-il. Au début des années 1960, un ami journaliste marseillais l’emmène explorer les vallées cévenoles reculées. Coup de foudre. « Il y avait des hameaux où les maisons coûtaient le prix de deux mobylettes », se remémore-il. Il y retourne en famille. « Au dernier virage du col d’Asclier, on a vu deux petits vieux agenouillés auprès d’une chèvre en sang. Je leur ai dit qu’il fallait appeler le vétérinaire. Ils m’ont répondu qu’il n’y aurait jamais le téléphone ici. » Qu’importe.
Le Marseillais, qui a grandi à côté de la bruyante Canebière, craque et achète une maison à retaper au hameau des Millierines, au-dessus de l’Estréchure, en direction du col d’Asclier. « On a fait les maçons et on écrivait. On écrivait aux PTT. On nous a répondu qu’avec 150 M d’anciens francs (environ 2,6 M€, NDLR), on nous tirerait la ligne. Mais on n’avait rien. » Robert Leydet est relieur-doreur. C’est son père qui a fondé l’atelier à Marseille en 1922. « J’ai appris la dorure à 10 ans avec des grands doreurs d’Europe centrale qui avaient fui les nazis et que mes parents cachaient », confie Robert Leydet.
À 15 ans, il commence à dorer pour des clients
À Marseille, il se lie d’amitié avec le chanteur Mouloudji. Un beau jour, ce dernier se déplace dans la tanière cévenole de Robert pour lui porter deux bouquins à relier pour « faire plaisir à Jacques Prévert ». La soirée est arrosée. Mouloudji chantonne, Robert aussi. On évoque le problème de ligne téléphonique. Le chanteur s’exclame : « Si vous chantiez, vous auriez déjà le téléphone. » Qu’à cela ne tienne ! Trois semaines plus tard, Robert Leydet enregistre des poèmes sur les Cévennes. « Mes parents étaient désespérés. À cette époque, les chanteurs étaient considérés comme ayant tous les défauts », s’amuse Robert Leydet. Le relieur qui chante pour financer des lignes de téléphone pour les bergers des Cévennes fait le buzz.
« La presse me prenait sans doute trop au sérieux », sourit celui qui avoue vivre aujourd’hui comme « un sauvageon ». Il se produit dans les villages cévenols : « On avait un sac poubelle dans lequel on mettait l’argent pour le téléphone. » C’est finalement la sénatrice gardoise Suzanne Crémieux qui fait craquer le ministre des PTT. « 180 lignes téléphoniques ont été tirées. Cela a dépassé le hameau des Millierines », se souvient Robert Leydet. Lui, a ensuite enregistré quelques disques « pour donner un coup de main à des gens qui en ont besoin ». « Pour mes parents, l’argent qui ne venait pas de mes mains était un péché », confie-t-il. Clin d’œil à son métier de relieur-doreur, son album « Chanson pour Estérelle », est aussi édité dans une version collector reliée dans une peau de taureau de combat.
Relieur-itinérant
Dans les années 1970, Robert Leydet se déplace en camping-car pour aller dans les mairies relier les registres d’état-civil qui ne peuvent pas quitter les hôtels de ville. C’est ainsi qu’il rencontre Marie-Jo, sa seconde épouse, dans les Ardennes. En 1978, le journaliste Jacques Chancel le sollicite pour qu’il évoque dans son émission Radioscopie son métier de relieur itinérant. « J’étais en bonne compagnie. Je suis passé entre Valéry Giscard d’Estaing et Salvador Dali », plaisante l’intéressé. Il narre son métier, son camping-car. Il y dévoile comment il a connu Jean Giono, un écrivain qui deviendra son client. Il lit un poème sur l’artisanat.
« J’ai passé ma vie à redonner ses lettres de noblesse à l’artisanat. On menaçait les enfants d’un établi comme on les aurait menacés de huit jours aux Baumettes », analyse ce père de quatre enfants. Il a même martelé au Sénat, en 2003, qu’il fallait envoyer des artisans dans les écoles pour donner envie aux enfants. Le Gard, Rome, Tunis… Il estime avoir fait des démonstrations de son métier à plus de 100 000 écoliers. Il montre une photo où il est entouré d’enfants à Pékin. Il est même intervenu dans une école russe pour les enfants des danseurs du Bolchoï.
La technique de la dorure demande une précision extrême. « L’or fond à 99,3 degrés. Les feuilles d’or, c’est fin comme un soupçon », décrit ce passionné. « Les enfants étaient ébahis. Ils avaient du mal à croire que l’or pouvait être une feuille », décrit Angèle Luna, qui enseignait aux Mages. « Il est très pédagogue. C’est un homme de communication, un conteur très habile », confirme Daniel-Jean Valade. Cet élu nîmois a vu Robert Leydet à l’œuvre lorsqu’il était directeur de l’école Marie-Soboul, mais aussi à l’académie de Nîmes.
Pour chaque démonstration, Robert Leydet vient avec des feuilles d’or et laisse en souvenir un morceau de cuir décoré. Le sien est encore en vitrine à l’académie. Il en est d’ailleurs devenu membre correspondant dans les années 1990. « C’est intéressant d’avoir dans une structure intellectuelle un relieur d’art. Il est à la fois artisan et artiste, abonde Daniel-Jean Valade. Ce qui l’a fait connaître à l’international est qu’il a fait relier des documents importants à la bibliothèque du Congrès américain. »
« Lire c’est vivre »
L’atelier de Robert Leydet est caché dans un repli de garrigue, à Domessargues, entre Nîmes et Alès. Le relieur y a fait construire une maison en 1980 dans quatre hectares de nature. Une grande presse attend les visiteurs derrière la porte de l’atelier. Aigle impérial, fleur de lys, luth… Dans des petits casiers, sont classés plus de 2 000 outils décorés de motifs. Chacun a été gravé à la main. Sur un établi, un rectangle de cuir rouge affiche un slogan en lettres dorées : « lire c’est vivre ». Le mas de Robert Leydet déborde de bouquins. Une lampe basse, dont le pied a été fabriqué avec des livres sculptés en bois, éclaire l’escalier.
Une grande table trône non loin. « C’est la salle à manger de mes parents », indique Robert Leydet avant de tendre la main vers une chaise : « C’est là que l’abbé Pierre s’est assis. » Puis il montre une photo, sur laquelle on voit l’académicien et ancien président sénégalais Léopold Sedar Senghor installé dans un fauteuil du salon. Il les a tous reçus pour « le magazine des arts » qu’il animait pour FR3 Marseille. Relieur, chanteur… Robert Leydet a aussi été un peu journaliste. Son entrée dans la presse s’est faite elle aussi presque par accident quand il était relieur à Marseille : « Comme je n’avais pas les moyens de me payer les voyages, j’écrivais des billets d’humeur sur les bateaux pour le journal Le Méridional. »
Transmission
Il est maintes fois intervenu sur les ondes. « Un jour, j’ai entendu sur la radio Canal 30, un homme qui parlait avec enthousiasme et charisme de son métier de relieur. Je me suis précipité sur un stylo pour noter ses coordonnés », se remémore Jean-Luc Gonzalez. Cet opérateur géomètre a un travail « sympa » mais il réserve quand même deux stages pour le mois d’août 1983 au hameau des Milliérines. Il demande ensuite au relieur d’être son mentor : « Il m’a d’abord répondu : qu’est-ce que je peux faire pour vous en dissuader ? C’est un métier merveilleux mais nous sommes un peu les artisans de l’inutile. »
L’avertissement ne le bloque pas. « Robert m’a aidé à trouver le matériel et m’a conseillé d’être relieur-itinérant. Il m’a donné tout un stock d’enveloppes avec des adresses en me disant que je n’avais qu’à mettre mes flyers dedans. » Entre les deux hommes, l’affection est réciproque. « Robert a 36 000 idées par jour. C’est un chouette bonhomme. Je lui dois beaucoup », reconnaît Jean-Luc Gonzalez qui s’est établi à Anduze. Tout jeune retraité, il vient de passer le flambeau à une jeune femme, Émilie. La passion et les gestes insufflés par Robert perdurent. On pourra bientôt tous les découvrir. Ce jongleur de mots s’est lancé un défi : écrire ses mémoires. Histoire de montrer qu’artisan ce n’est pas un mot salissant.
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