Publié il y a 1 an - Mise à jour le 21.11.2023 - Propos recueillis par Stéphanie Marin - 4 min  - vu 301 fois

NÎMES Guylaine Maroist, réalisatrice de "Je vous salue salope" : "Le but de toutes ces insultes est de faire taire les femmes"

Guylaine Maroist, co-réalisatrice avec Léa Clermont Dion, du documentaire "Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique".

- La Ruelle Films

Sorti le 4 octobre dans les salles de cinéma en France, le documentaire canadien signé Guylaine Maroist et Léa Clermont Dion, "Je vous salue salope", dénonce le cyberharcèlement fait aux femmes. Il sera présenté ce mardi à 20h30 au Sémaphore à Nîmes. La séance sera suivie d'un débat animé par Attac Nîmes et la chorale féministe les Simones.

Synopsis : Sur deux continents, quatre femmes sont victimes de cyberviolences extrêmes. Abandonnées par les forces de l'ordre, la classe politique et les géants du web, elles décident de se battre et de ne plus se taire. Avec Marion Séclin, comédienne française, Laura Boldrini, ex-présidente du parlement italien et Donna Zuckerberg, la sœur de Mark Zuckerberg, qui sonne l’alarme : « les réseaux sociaux ont élevé la misogynie à un niveau de violence sans précédent».

Guylaine Maroist, co-réalisatrice avec Léa Clermont Dion, du documentaire "Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique". • La Ruelle Films

ObjectifGard : Je vous salue salope est un documentaire sur la misogynie au temps du numérique. Avant d’aller au fond du sujet, le titre d’abord, forcément impactant puisque détourné de la prière à la Vierge Marie. Quel est votre message à travers ce titre ?

Guylaine Maroist : Nous avons mis longtemps à trouver un titre, aucun de ce que nous trouvions avant celui-ci, arrivait à évoquer la violence telle que nous l'avons découverte tout au long de notre travail. Il est choquant, peut-être, mais c'est une façon de se réapproprier cette insulte. Vous savez "salope", est une des insultes qui revient le plus souvent. Alors nous avons eu envie de saluer toutes ces femmes qu'on traite de salopes et qui pourtant continuent leur combat et ne se taisent pas. Parce qu'au final, le but de toutes ces insultes est de faire taire les femmes. 

Depuis 2017 et la création du hashtag MeToo, la parole des victimes de harcèlements et agressions à caractère sexuel s’est libérée. Mais également celle des agresseurs et de leurs soutiens et cela par le biais du numérique, souvent sous couvert d’anonymat. Le combat semble toujours inégal, que reste-t-il aux femmes pour se défendre ?

Il est certainement inégal à cause de l'impunité aussi. Ça commence par là, tenter d'arrêter, de punir par des lois les agresseurs. Et puis, une pensée misogyne est en train de se propager à travers toutes ces insultes proférées à l'égard des femmes. En effet, la parole des misogynes s'est libérée. C'est un combat injuste parce que les femmes d'une manière inconsciente souvent se taisent. Je le vois beaucoup chez les jeunes femmes notamment dans les domaines du Gaming, du Streaming, des milieux masculins. Lors de différentes rencontres organisées autour de la diffusion du documentaire, des jeunes femmes ont déjà avoué avoir renoncé à investir la sphère politique ou même publique, parce qu'elles savaient qu'en le faisant, elles prenaient le risque de se faire insulter. En plus de créer un climat de peur, de douleurs - cela peut aller jusqu'au suicide - on empêche toute une génération de femmes à s'épanouir comme elles l'auraient souhaité. 

Vous évoquiez l'impunité et l'absence de sanctions face à ces actes, pourquoi selon vous ? 

Plusieurs de ces hommes insultent à visage découvert, on peut donc les identifier. Dans plusieurs pays, les lois s'adaptent à cette réalité, c'est-à-dire que la cyberviolence est punie au même titre que la violence. Mais on a tendance à banaliser ces actes, alors les femmes se sentent découragées. On a besoin d'une mobilisation massive par les membres de l'appareil judiciaire. Ça commence par les policiers qui reçoivent les plaintes jusqu'aux avocats, les procureurs, les juges aussi. Le but de notre film est de montrer aux gens que la cyberviolence n'est pas quelque chose de banal, à travers les portraits de ces quatre femmes que nous suivons, harcelées de manières différentes. On voit le cauchemar dans lequel elles sont plongées dans leur quotidien. 

Marion Séclin, comédienne française, est l'une des victimes de cyberharcèlement suivies par les réalisatrices du documentaire "Je vous salue salope". • La Ruelle Films

Vous avez suivi quatre femmes, mais aussi un homme, le papa d'une jeune fille qui s'est suicidée après la diffusion des images de son viol sur les réseaux sociaux. Cinq histoires, cinq parcours différents. Pourquoi avoir choisi ces cinq personnalités parmi, on imagine, des dizaines, des centaines ?

On a interviewé plusieurs personnes, des spécialistes dans divers domaines et une cinquantaine de victimes. Suivre seulement une femme, ça aurait été trompeur. Nous voulions montrer que, quels que soient ton origine, ton âge, ta classe sociale, ton métier, cette violence est identique. On voit aussi l'impact que cette violence a sur leur propre entourage, il y a beaucoup de victimes collatérales.

Au fil de votre enquête, des choses auxquelles vous n'aviez pas pensé en démarrant vos investigations, vous sont-elles apparues ?

Plusieurs choses. Nous savions qu'il y avait un problème, nous avions par exemple l'impression que les jeunes femmes étaient principalement concernées. Mais tout au long de notre travail qui a duré sept ans, Léa et moi avons vu grandir un phénomène sous nos yeux. Par exemple en ce qui concerne l'idéologie misogyne qui circule sur internet, il y avait quelques influenceurs sur YouTube en 2015. Aujourd'hui, TikTok est envahi de misogynes qui propagent leur violence et leur idées rétrogrades sur les femmes. Je n'aurais jamais pu imaginer non plus que les droits des femmes puissent un jour régresser. Force est de constater aujourd'hui que c'est un état de fait, on le constate. Le directeur général de l'ONU en mars dernier a dit que les droits des femmes régressent dans la plupart du pays du monde, même en Occident.  

Quelles sont les solutions pour lutter contre la cyberviolence ? 

Certainement d'éduquer les jeunes. Beaucoup de jeunes agresseurs ne comprennent pas l'impact de ce qu'ils font, ni même qu'il s'agit d'un crime. Quant aux victimes, il faut qu'elles comprennent et accceptent qu'elles ne sont pas à l'origine du problème, qu'elles ne doivent pas en avoir honte ni le cacher. Il y a toute une campagne de prévention menée au Québec en ce moment, elle connaît un véritable succès et on aimerait bien qu'elle soit reprise en France. On est en discussion avec certains organisme français pour y parvenir. Il faut aussi former les personnes qui travaillent dans le système de la Justice, avoir une réflexion collective sur les enjeux liés à la cyberviolence et punir davantage les agresseurs. 

Propos recueillis par Stéphanie Marin

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