FAIT DU JOUR La Clède face aux restrictions budgétaires et à des choix politiques qui la fragilisent

De gauche à droite, Nicolas Ferran, directeur de la Clède, Marytine Arena, trésorière-adjointe de l'association, et Mauriec Gay, trésorier
- François DesmeuresL'association alésienne à vocation sociale fait face à un mur de défis, pas uniquement financiers, dont la fermeture récente du service d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) est un symptôme. Elle dénonce notamment la multiplication des appels à projet, qui éloignent les structures qui s'en emparent des problématiques locales, le désengagement de l'État sur ses missions sociales et des besoins qui ne partent plus des territoires mais sont décidés de façon verticale.
"On est dans le dur depuis plusieurs années", entame Nicolas Ferran, directeur de l'association la Clède depuis le 1ᵉʳ janvier 2022. De son premier exercice, il constatait une explosion du taux d'activité (relire ici). Désormais, ce n'est même plus le sujet : si l'association reste force de proposition pour combler les manques sociaux qu'elle constate sur le territoire, elle tente déjà de préserver ce qui existe, sentant les subventions se réduire et les finances se détériorer, souvent au profit d'appels nationaux qui ne font pas dans le détail des besoins locaux.
"La question sociale en général, et l'accompagnement des personnes en grande précarité, sont de plus en plus compliqués, poursuit Nicolas Ferran. Et la fermeture récente de l'HUDA est révélatrice de quelque chose de plus structurel. La structure d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA) de la Clède n'existe plus depuis le début de l'année. Elle accueillait 65 demandeurs et 5 salariés en équivalent temps plein. Et, surtout, la fermeture s'est jouée à une vitesse folle pour une structure qui gère de la matière humaine.
"La vérité, c'est surtout que l'État veut moins de demandeurs d'asile"
Maurice Gay, trésorier de l'association la Clède
"La circulaire est sortie en novembre, elle prévoyait la suppression de 6 500 places dans le dispositif national d'accueil, pour une économie de 45 millions d'euros. Avec un discours officiel évoquant une logique en phase avec la baisse des demandeurs d'asile, ce qui est faux", affirme le directeur de la Clède. Sans compter les 35 % de gens qui ne font pas appel au service, mais devraient pourtant en dépendre, selon l'estimation de la fédération des acteurs de la solidarité. "Mais la vérité, c'est surtout que l'État veut moins de demandeurs d'asile", se désole Maurice Gay, trésorier de l'association.
"À partir de la circulaire, tout s'est passé très vite, poursuit Nicolas Ferran. L'objectif de fermeture initiale correspondait à une baisse de 40 % d'activité sur le premier trimestre 2025." Les 65 places du bassin alésien correspondaient à 450 000 € de budget. Et les échanges téléphoniques, de fin novembre à janvier, n'ont rien changé. Le courrier de fermeture du préfet est intervenu le 16 janvier. À la fin du mois, "nous avons sollicité un rendez-vous avec le sous-préfet, poursuit Nicolas Ferran, en présence de la directrice de la DDETS (direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités, NDLR). On a pu poser les interrogations qui étaient les nôtres."
"Des familles se sont donc retrouvées à la rue du jour au lendemain"
Nicolas Ferran, directeur de la Clède
"Où va le public ? Que fait-on du personnel ? Dans les demandeurs d'asile, détaille le directeur de la Clède, certains ont été déboutés, d'autres ont pu se retourner. On voulait surtout prévenir les sorties sèches, mais les hébergements d'urgence sont saturés. Des familles se sont donc retrouvées à la rue du jour au lendemain." Côté salariés, la Clède a lancé des procédures de licenciement économique pour les "gens en CDI" parmi les cinq équivalents temps plein. "C'est une grosse procédure, nouvelle aussi pour nous", se désole Nicolas Ferran. Avec la difficulté supplémentaire, pour les salariés, de devoir fermer leur propre service, tout en continuant à se démener pour trouver des solutions pour les personnes accueillies. "Ils ont été assez remarquables de professionnalisme", constate, amer, le directeur de la Clède
"On nous demande de mettre les gens dehors, alors que notre rôle est d'accueillir, s'offusque Maurice Gay. C'est à l'État de mettre les gens dehors !" La situation provoque logiquement des remous au sein de l'association, "du conflit interne, une dissonance", retranscrit Nicolas Ferran. "Mais il faut revenir sur la réalité : si les gens en procédure de demande d'asile sont déboutés, ils sont en présence indue sur le sol français. Donc, la question de la sortie se pose. On donne l'information. Mais comme il n'y a plus de solution de sortie, on est face à une contradiction qui nous dépasse."
"On a une vraie inquiétude : que les économies budgétaires attaquent le développement qu'a connnu notre secteur depuis 15 ou 20 ans"
Nicolas Ferran
Le sous-préfet et la directrice de la DDETS ont, d'après le directeur de la Clède, son trésorier et l'adjointe de celui-ci, Martine Arena, "fait preuve d'une vraie écoute. Mais on doit dire les incohérences, reprend Nicolas Ferran : sur les risques de remise à la rue sèches, c'est à l'État d'en assumer les conséquences". Et surtout, pour l'association, "l'attaque est aussi idéologique, là où ça fait le moins de bruit". Les demandeurs d'asile ne votent pas, "et la nature même du financement de l'HUDA (une subvention votée annuellement, NDLR) fait que c'est une économie plus facile à réaliser, à court terme. Et puis, on avait fait des contre-propositions qui couvraient l'économie demandée. La décision de fermeture n'est donc pas que budgétaire."
Et après cette économie, quelle sera la prochaine ? "On a une vraie inquiétude pour tout le secteur : que les économies budgétaires attaquent le développement qu'a connu notre secteur depuis 15 ou 20 ans", s'inquiète Nicolas Ferran. "Chaque année, il faut courir après les dossiers, remplir des papiers pour sécuriser les financements", relate Maurice Gay, qui sait, en trésorier, de quoi il parle. En somme, "de quoi la fermeture de l'HUDA est-elle le nom ?", interroge Nicolas Ferran.
"Toute l'histoire du déploiement de l'action sociale, dans le cadre de partenariats, est en train de s'effilocher"
Nicolas Ferran
"On perd en richesse humaine", se désole la trésorière adjointe, Martine Arena. "Et sur notre bassin, ce n'est pas nous qui attirons la pauvreté", poursuit Nicolas Ferran. "Mais la Clède est là pour essayer d'y répondre", embraye Maurice Gay. "Ce qui fait notre sève, c'est de repérer un manque, de proposer une solution, reprend Nicolas Ferran. Mais l'assèchement des ressources et la nature même des subventions imposent une volatilité forte et peu de sécurisation sur le long terme. 60% de notre activité dépendent des subventions." Et celles-ci ne permettent pas d'inscrire, avec certitude, une activité sur quelques années.
Le secteur "a toujours essayé de faire au mieux", plaide Nicolas Ferran, qui sait que l'activité de ses agents relève parfois du sacrifice personnel pour aider plus misérable que soi. "Mais il y a une prise de conscience à avoir : il faut savoir instaurer un rapport de force qui soit constructif, avec des lignes rouges." Et, surtout, "travailler en partenariat", insiste Maurice Gay. "On n'a plus de relations avec les services de l'État, illustre Nicolas Ferran. On est des comptables. Toute l'histoire du déploiement de l'action sociale, dans le cadre de partenariats, est en train de s'effilocher. Et les agents de l'État ont de moins en moins de marges de manœuvre."
"Ou alors, il faut le dire clairement, s'emporte Nicolas Ferran, 'les associations loi 1901, vous avez florès. Aujourd'hui on veut des opérateurs'". Et à la question de savoir si le secteur ne file pas vers un plan social gigantesque, Nicolas Ferran constate simplement : "C'est déjà ce qui se passe à bas bruit." Avec, notamment, les appels à projet à échelle régionale lancés par l'État et auxquels peuvent répondre des associations nationales comme Coallia, par exemple, qui commence à gagner des marchés dans le Gard.
"Nous n'avons pas l'ambition et ne sommes pas 'câblés' pour répondre à des appels à projet régionaux"
Nicolas Ferran
Mais le modèle, en conséquence, s'en trouve renversé : le service ouvert ne vient pas du constat d'un manque sur le territoire, réalisé par une association de proximité qui connaît ce même territoire. Mais du choix discrétionnaire d'un service administratif. "Nous n'avons pas l'ambition et ne sommes pas 'câblés' pour répondre à des appels à projet régionaux, enterre Nicolas Ferran. Et cela ne rentre pas dans notre projet associatif. Cela ne veut pas dire 'Small is beautiful'. Mais il ne peut pas y avoir une réponse unique pour tout le monde."
"On prend la suite de ce qu'ont vécu l'hôpital ou le handicap, contextualise le directeur de la Clède. La vague est en cours. On voit les nouvelles attentes, on doit s'y conformer. Mais comment monter en compétence pour répondre à la demande institutionnelle ? Ce n'est pas mécanique. Mais ce qui nous semble essentiel, c'est le maintien des associations loi 1901 comme les nôtres." Aux plus près des besoins qui, eux, ne diminuent pas. "On voit désormais arriver des travailleurs pauvres, des personnes âgées isolées, avec des minima sociaux très bas." Quand la Clède n'est pas contrainte de prendre en charge - sans compétence sur la question - des personnes aux problèmes psychiatriques, en raison d'une carence de service. Le tout pour des salaires toujours très modestes face à l'engagement mis par les agents. La vue du contexte général laisse donc, malheureusement, le sentiment qu'un secteur social est en train de craquer. En omettant, au passage, qu'il est essentiel pour que la société tienne...