L’INTERVIEW Dominique Bona : « Nîmes est pour moi le cœur battant de l'Occitanie ! »

Dominique Bona est membre d'honneur de l'académie de Nîmes (Photo Anthony Maurin)
Dominique Bona de l’Académie française vient d’être nommée membre d’honneur de l’académie de Nîmes.
Objectif Gard : Vous voilà membre d’une autre académie.
Dominique Bona : Je suis honorée d'être invitée à l'académie de Nîmes où j’ai appliqué la méthode « académie », qui est celle de la Française, mais qui est aussi celle de la Nîmoise, c'est-à-dire que j'ai écrit un texte et je l’ai lu.
Vous êtes du sud de la France, mais votre accent a disparu ?
Lorsque mon père parlait anglais, qu'il avait appris sur le tard, on le prenait pour un Brésilien. Lorsque je parle français, on me prend, hélas, presque toujours pour une Parisienne ! Le soleil a disparu de ma voix, la petite fille que j'ai été l'a volontairement effacée, mais le jour où j'entrais en douzième, l'équivalent du CP, j'ai dû lire un texte à haute voix. Je savais très bien lire, mais à ma grande surprise, à mon humiliation, loin d'être complimentée, ce fut un éclat de rire général, toutes les petites filles riaient avec la maîtresse.
Vous connaissez bien Nîmes, n’est-ce pas ?
C’est une belle et ancienne académie, par son histoire, par sa culture, la plus proche des origines romaines. Nîmes est pour moi le cœur battant de l'Occitanie et l’académie en maintient la flamme de siècle en siècle. Comme les champions olympiques qui se passent le relais, ils assurent sa vigueur et transmettent le flambeau.
Les académies sont nées pour cela non ?
C'est le plein sens du rôle des académies, faire en sorte que la culture ne s'éteigne pas ni ne s’affadisse pas afin qu'elle conserve son identité, son allégresse et qu’elle demeure vivante. L'Académie française veille, depuis 1635, sur la langue française. Elle enregistre et en accepte les mouvements, les évolutions, les innovations, car rien n’est plus triste qu'une langue de musée, figée, momifiée, mise en boîte.
Comment évolue le français ?
La langue française est constituée de strates extraordinairement diverses qui, sur le socle solide du latin, se mêlent et se confondent. Elle s'enrichit encore chaque jour et c'est une chance de la regarder bouger, changer, se modeler sous nos yeux. La langue est un ciment entre tous ceux qui la parlent, elle est un gage d'unité, une main tendue, une promesse de vie.
Vous êtes Catalane, les aspérités de la langue sont en danger ?
Nous sommes un petit nombre à les défendre, un petit nombre de combattants prêts à mettre la main à l'épée ! Quelques Bretons, quelques Corses, quelques Normands qui se souviennent de leur passé épique… Il faut maintenir la richesse de ces sources par la variété des expressions qui viennent du plus profond de ces terroirs, par la variété de ces prononciations. La Catalogne est faiblement représentée après le maréchal Joffre. Je suis le deuxième académicien catalan et la première académicienne catalane.
Masculin, féminin ?
Hélène Carrère d'Encausse est morte académicien, historien et secrétaire perpétuel. Au masculin, elle a pourtant permis que se constitue la commission où j'ai évidemment tenu un rôle actif et qui, après des semaines de réflexion et de débats, a fini par conclure dans le style mesuré propre à l'académie qu’il n'y a pas de raison de s'opposer à la féminisation ! Elle a bien voulu, elle a accepté le verdict et a parfaitement accepté le changement, l'inévitable évolution des mentalités. Sans elle, rien n'aurait pu se faire. Un autre combat, non moins essentiel, nous attend tous du nord au sud et de l'est à l'ouest. Il consiste à rappeler aux Françaises et aux Français, comme à tous les membres de la francophonie, l'importance de la langue, son rôle fédérateur et à quel point elle demeure l'indispensable outil de nos libertés et de nos égalités à l'heure où les mots anglais et américains, souvent dénaturés ou refondus en un incompréhensible globish. Cela prolifère dans nos bouches et dans nos écrits à la manière, bien moins jolie, des posidonies dans la Méditerranée !
Le changement est rapide…
Ces mots se mettent à remplacer les mots français à une vitesse jamais vue jusque-là, au point qu'on aurait besoin d’un lexique ou d'une traduction simultanée pour s'y reconnaître. Il est bon de souligner notre amour et notre fidélité, sans aucun chauvinisme, sans aucune intention de freiner le progrès ou de contrer l'avenir, bien au contraire.
Vous avez remis un livre à Alain Aventurier, le secrétaire perpétuel de l’académie de Nîmes.
Armée d'humour et de ténacité, l’Académie française a publié à l'automne dernier un petit livre rouge ou bleu, fruit de plusieurs mois de réflexion et de labeur. Il se trouve qu’on m’en a confié la question et la préface. Le titre résume à lui seul son intention, « N’ayons pas peur de parler français », il ne contient aucune pause, aucun précepte et aucune leçon de morale. C'est un saint relevé d'exemples, hélas éloquents. C'est la mission des académies de travailler ensemble main dans la main. Ce petit livre porte nos espérances, il est aussi, comme tous les livres, une bouteille à la mer. Voyez-y de ma part un gage et un symbole d'amitié.
Les Nîmois ont offert la médaille de l'académie de Nîmes à son nouveau membre.