Me Darrigade, conseil de Husamettin D., a demandé la diffusion de photographies contenues dans les scellés. « Si un de ces scellés, dans lesquels les enquêteurs eux-mêmes ont décidé d’y placer ces photos, venait à manquer et surtout en appel, ce serait une cassation », a menacé l’avocat. Le président a finalement accepté de montrer trois images montrant une femme attachée dans un garage, les yeux bandés par un bandeau noir, ressemblant à Gisèle Pelicot.
« Il aurait pu être le héros de cette affaire »
Ainsi, les photos évoquant des scènes se déroulant dans un garage où une femme ressemblant à Gisèle Pelicot, bandeau noir sur les yeux, attachée devant plusieurs hommes, ont été diffusées. Quatre autres photographies ont été diffusées à la demande de la partie civile. Elles montrent Gisèle Pelicot allongée sur un matelas, dans le salon, avant l’arrivée de Husamettin D.. L’une d’elles, prise en plein jour, témoigne du moment où tout allait encore commencer.
La parole est ensuite donnée à maître Babonneau. Il ouvre sa plaidoirie d’une voix posée : « On n’écrit pas ici le dernier acte de l’histoire des viols de Mazan. C’est le procès de Monsieur D. » Il reconnaît que l’accusé « n’est pas le pire des violeurs du premier procès », mais qu’il « se singularise par un hermétisme, une manière de refuser la main tendue par la partie civile, à savoir reconnaître le viol ».
Pour lui, Gisèle Pelicot « n’a jamais cherché la vengeance, ni à devenir une icône ou un objet d’admiration ». Elle est venue « pour demander une seule chose, que l’on reconnaisse ce qu’elle a subi, qu’on ne remette plus en cause ce qu’elle a vécu ».
« Son projet de vie a été pulvérisé par ce viol », poursuit-il. « Ce qu’elle attend aujourd’hui, c’est que la justice dise que ce qu’a commis Monsieur D. est un viol. » Il insiste sur la gravité des faits : « Il y a des viols qui frappent la conscience, et celui de Monsieur D. en fait partie. Il a été imposé avec une absence totale d’humanité. La vie de madame Pelicot a été mise en danger lors des pénétrations buccales. En voyant ce corps inerte, il aurait pu partir, il aurait pu dénoncer. Il aurait pu être celui qui aurait arrêté cette folie. Il aurait pu être le héros de cette affaire. S’il ne l’a pas été, c’est son choix. »
Le magistrat conclut. « Madame Pelicot, ce n’est pas vous qui avez perdu la dignité. Ceux qui l’ont perdue, ce sont les deux hommes qui vous ont violée. Vous n’avez aucune honte à avoir de ces vidéos. »
Plaidoirie magistrale d'Antoine Camus
La salle retient son souffle lorsque maître Antoine Camus prend la parole. Sa plaidoirie est précise, structurée, brillante. « Ce viol est un échantillon représentatif des viols de Mazan, explique-t-il. Même chambre, même lit conjugal, même mari, même femme. Il n’y a que l’invité qui change. »
Pour l’avocat, Husamettin D. voulait, en faisant appel, « un regard neuf », se désolidariser « de la masse des autres accusés ». « Il n’est pas un violeur, dit-il, il veut nous le faire croire. Mais ici, nous avons les vidéos. Pas parole contre parole comme dans les affaires de viol classiques. Ici pas le doute. L’image, le son, la preuve. »
« Une femme inconsciente, un corps qui subit, voilà ce que nous avons vu. En cela, Gisèle Pelicot est la victime ultime, absolue, parce qu’elle est dans un état de vulnérabilité incontestable. Ces images, aussi insoutenables soient-elles, lui ont sauvé la vie. Elle ne serait plus là aujourd’hui sans elles. »
« Le consentement est personnel »
Maître Camus poursuit : « Lorsqu’il a compris que les enquêteurs détenaient ces vidéos, Monsieur D. s’est souvenu soudainement que oui, il était allé à Mazan ce soir-là, qu’il avait joué cette scène. Nous ne sommes plus dans le champ du doute. Ce que nous voyons, c’est un viol. »
Il s’interroge ensuite sur le déni persistant de l’accusé. « Est-ce une stratégie, ou est-ce culturel ? Dans son logiciel, le violeur, c'est Dominique Pelicot. Lui se voit comme l’instrument d’un autre. Il refuse le mot “viol”, comme s’il était réservé à ceux qui forcent, comme il dit. Mais le viol, c’est la volonté libre de pénétrer un corps dont on a parfaitement conscience qu’il n’est pas consentant. Depuis le XIXe siècle, c’est la loi : on ne viole pas une personne endormie. »
La voix de l’avocat se fait plus grave. « En voyant ce corps inerte, il a choisi de continuer. C’est cela le cœur du procès. L’intention, ici, n’est pas un débat. Elle est dans le geste. Dans la volonté. »
Antoine Camus conclut. « La décision que vous allez rendre demain est presque plus importante que celle d’Avignon. Après le parcours du combattant mené par madame Pelicot, on espère que les droits de l’homme seront aussi ceux de la femme. Que le consentement est personnel et qu’il ne se délègue pas. Qu’un homme doit répondre de ses actes, même quand il refuse de se percevoir comme un violeur. Qu’il n’est pas besoin d’être Dominique Pelicot pour violer. »
Demain, c'est au tour de l'avocat général, puis celui des deux avocats de la défense. Verdict attendu demain soir ou après-demain.