NÎMES Des escargots, des arènes, voici la « snail’s stroy »

Maxime Ducasse (Photo Anthony Maurin)
Maxime Ducasse, auteur de La cour des grands (éditions Au Diable Vauvert), était banderillero dans son ancienne vie. Voici une nouvelle concernant… Les escargots des arènes de Nîmes. Bonne lecture !
Lundi de Pentecôte, arènes pleines à ras bord. Nîmois ou pas, ils sont tous là. Jeunes et âgés, toutes générations confondues. Seul ou en couple, en bande ou en famille, on est aux arènes. Et eux... aussi.
Pour les toros ou les toreros, pour l’ambiance et la fête, pour poser ou parader mais… y être !
Billets achetés deux heures avant, ou places réservées, abonnements renouvelés depuis des décennies faisant de l’endroit une sorte d’extension de leur domicile pour eux… le leur.
Et ça cause, raconte, explique les faenas passées ou à venir. Cent ans de toreo en boucle. Le grand-père, dont le père a vu El Gallo et Belmonte, a vu Ordoñez et Dominguin. Un jeune, José Tomas, à qui son père préférait Ojeda. Jusqu’au plus petit qui préférait hier, sa première, parce qu’on lui avait payé... des chouchous. Ce public ? Une machine à remonter le temps !
Dans une famille, pas des plus riches, pas domiciliée au boudin ni même aux places numérotées, mais sur les hauteurs de l’amphithéâtre, sur les pierres ou entre, ça remonte à... l’inauguration.
Discrets et silencieux, stoïques et patients, leur présence ressemble à l’absence. Un peu reclus, mais pas solitaires car il y a des milliers de personnes autour d’eux, chez eux. Dynastie de concierges toujours là dont la première génération a vu la construction du bâtiment. Et de leur loge, ils en ont vu et entendu.
Il en a défilé du monde aux balcons, du beau et du célèbre à tous les étages et époques confondues et dans leur cour une corrida de trois siècles. Chaque année, à part quelques exceptions rares dues à deux guerres mondiales, un mois de mai agité et un virus chinois. Et dans leurs conversations, les souvenirs se mêlent aux anecdotes, mais que du vrai, pas de salades, à elles, ils leur réservent un autre sort.
L’oncle, qui un matin de corrida a passé deux heures sous les fesses d’Ava Gardner et qui chaque fois que toréait Luis Miguel Dominguin la cherchait sur les gradins, ne s’en étant jamais totalement remis, garde depuis une antenne dressée.
Elle était apparue tôt un matin de feria avec Pablo Picasso, l’amphithéâtre était désert et avec le maître, ils avaient grimpé au plus haut. Vision de l’espace, couleurs et perspectives pour lui, chaleur et fatigue pour elle. Un moment de repos, ils font une pause, s’assoient et discutent. Le cul de la star sur l’oncle, deux heures sous l’Américaine sans répit. Une antenne est restée bloquée et lui aussi. Il se faisait appeler Franky à la fin de sa vie.
27 septembre 1959, au cartel Ordoñez, Chicuelo II et Jaime Ostos. Dans le callejon, l’imposant célébrissime, journaliste et écrivain, le plus taurin des Américains, Ernest Hemingway. Dans le callejon, dos à la piste, le regard en l’air. Devant cette attitude provocante et dédaigneuse, la rumeur court. Ernest fait la gueule.
Toreros décevants ? Présentation des toros ? Alors que tout simplement...
Lyon, trois jours qu’il campe à attendre son ami Scott Fitzgerald pour un retour sur Paname dans une voiture sans toit qui restera mémorable dans les annales et dans un routier où on leur présenta… le Mâcon blanc. Lors d’une nuit sans Scott ni le sommeil, il avait parcouru le canard de la ville récupéré à la réception de l’hôtel.
Un article l’interpelle, un célèbre écologiste, naturaliste et botaniste Lyonnais, Poutagne Georges parle des arènes de Nîmes. Corrida ? Feria ? Fêtes ? Aucune allusion taurine, non, l’article parle d’une particularité identitaire rencontrée sur les gradins, connue et reconnue. On les prend en photo, on leur fait des articles. Poutagne les connaît et les a rencontrés aux arènes.
Ernest, il en connaît des célébrités qui vont aux toros, toutes d’ailleurs puisqu’il fait lui-même partie de la Peña. Mais eux ? Jamais entendu, jamais parlé. Et ça, ça le tracasse !
Du même geste, il dézingue whisky et cigare, éteint. Il attend Scott et le sommeil en pensant à la bande Pouatgne. Alors, en ce jour du 27 septembre 1959, il les cherche… tout simplement.
« Un jour, tu vas te faire écraser ou tomber de l’autre côté », gronde le grand-père. C’est qu’il passe son temps à bader le minot, du meilleur poste qu’il y a, du haut des amphis. Et en plus il se penche, car sa corrida à lui, elle est dehors et en bas. Tempête humaine qui marche, mange, boit, chante ou danse dans une guerre de décibels. Sonos des cafés, une pesa devant La Bourse, une voiture de police sirène hurlante. Ça vient de partout à la fois. Ébloui de ce qu’il voit, qu’il vit. Times Square c’est la seconde division, ici, c’est la Champions League. Des milliers d’acteurs pour un seul spectateur, lui.
Seule à un coin du parvis, elle reste immobile et silencieuse, aussi discrète que majestueuse ? Elle en impose. On la regarde, la fixe, détaille, se photographier avec et même, on lui offre des fleurs.
Et ça l’intrigue, le gosse, toute cette déférence et politesse envers elle. Là il y a du mystère. « Pépé, c’est qui la statue ? » L’ancêtre le regarde, surpris mais content. Enfin, il va pouvoir lui parler de toros. « C’est la statue de Nimeño II, le matador nîmois, Christian Montcouquiol, la première figura française connue et reconnue au-delà des frontières et océans. »
« Tu l’as vu ? » De l’alternative, à la Cape d’Or en passant par ses premières passes en capea jusqu’à l’historique corrida de Guardiola de 1989. Il lui balance l’intégrale dans un monologue de dix minutes. Silence. Il est scotché le gosse. La piste est devenue une scène de vies, d’histoire et de magie ».
« Mais pourquoi il a le numéro II si c’est le premier ? » Alors, il lui raconte tout, Alain Montcouquiol et Simon Casas, l’histoire des toreros français au fil du temps et des passes. « Mais tu sais, son frère, tu peux le voir passer, il habite en face. »
Il puise dans ses modestes souvenirs taurins et d’un ton timide lui dit qu’il a vu El Rafi et Lalo. Il avait jeté un œil, succinctement.
« Son grand-père, à Rafi, c’est le premier qui rentre dans les arènes, tous les jours. Quand tout est désert et silencieux, il allume son local. Premiers signes de vie, c’est notre levée de soleil. Quant à Lalo, sa maman était rejoneadora, une star du toreo à cheval, française et nîmoise d’adoption. »
Le minot se tait et baisse la tête en signe de respect. Maintenant affranchi et aficionado, il le bade son papy. Il l’a baptisé… Google ! Ils sont toujours là, ils y ont toujours été, malgré la grande rafle d’un matin de printemps 2017. Toute la famille, tous. Arrestation, transport, prison, la totale. Bon, on les a bien traités. Ils ont rapidement su que c’était pour cause de réfection de... l’immeuble. Ce fut comme des vacances, certains ont pris du poids à ne rien faire.
Faut dire que toutes les attentions furent prises envers eux. Et puis leur syndic, c'est la Fondation Internationale des monuments Romains, même le ministère de la Culture file des sous. Un an sur les bords de l’étang de Mèze avec… salade à gogo ! Et retour à la maison. Toujours pas d’ascenseur, mais c’est propre.
Puis, la vie a repris son cours, le petit a grandi et ne regarde plus dehors pendant les corridas, à part pour voir passer un homme devant une statue. Le grand-père vieillit et bugue de plus en plus. Mais ils sont heureux. Pas comme leurs cousins de Rome où dans les arènes ne passent que des touristes et quelques soutanes dehors.
2 000 ans qu’ils sont là. À Nîmes dans les arènes, et à Rome dans les collines. Les deux seuls endroits au monde. Ils seraient arrivés dans les bagages des Romains, suppositions, hypothèses, recherches.
Poutagne s’y est collé et en a… bavé. XXI siècles, ça en fait des miles… pour des escargots ?
PS : Les crocodiles, eux, seraient arrivés par… le canal de la Fontaine.