Publié il y a 1 an - Mise à jour le 02.01.2023 - Sabrina Ranvier - 6 min  - vu 918 fois

FAIT DU SOIR Cévennes : le campus est dans le pré

Campus connecté Le Vigan
Photo DR

Université de Lille, école d’agronomie de Dijon... Ils sont 15 à suivre des formations partout en France... sans quitter les châtaigniers du Vigan. Cette commune fait partie des premiers sites français à avoir créé un "campus connecté". Mais le Vigan veut aller plus loin et ouvrir en 2024 un "campus cévenol" pour 120 étudiants.

« On a reçu la bonne nouvelle hier. » Un sourire éclabousse le visage de Rachid Mdaam. Ce grand brun désigne du doigt une colonne de chiffres : « Mélody a eu sa deuxième année de licence d’AES (administration, économie et social). Elle l’a validée en ayant deux enfants de moins de deux ans. » Ce Gardois est le premier tuteur recruté au campus connecté du Vigan en 2019. La première année, il a cocooné 13 étudiants. Cette année, ils sont deux de plus.

Pommes, oignons et leçons

Mélody Carpentier n’est pas présente ce jeudi-là au campus. Après avoir terminé la cueillette des oignons doux, elle a enchaîné avec celle des pommes. Cette jeune femme de 20 ans, qui fait aussi des ménages, est en attente pour des places en crèche pour ses enfants. Elle jongle entre ses études, ses bébés et des petits boulots. « C’est énormément de travail mais c’est carrément faisable. Je n’ai pas de raison de me plaindre », lâche-t-elle. Cette Cévenole était enceinte quand elle a obtenu son bac S avec mention très bien au lycée du Vigan. 

« Si le campus connecté n'existait pas, je n’aurais pas pu faire d’études supérieures »

C’est son assistante sociale qui l’a aiguillée vers le campus connecté. « Sinon, je n’aurais pas pu faire d’études supérieures », reconnaît-elle. Cette Cévenole choisit une licence AES de l’université de Besançon : « C’était la seule qui autorisait à passer ses examens au campus sous surveillance d’un tuteur. Entre deux épreuves, je changeais les couches. » Melody va terminer sa dernière année de licence au campus. Après, fini les études. Elle confie avoir un employeur prêt à l’embaucher dès qu’elle aura son diplôme.

Contrat de présence avec le campus

En entrant au campus, les étudiants signent un contrat et s’engagent à venir au moins 12 h par semaine, aux horaires qu’ils préfèrent. Les néo-bacheliers qui n’ont pas de travail à côté doivent être présents 18 h. Chaque fois qu’il se rend au campus, l’étudiant signe une feuille d’émargement. Il doit prévenir de ses absences. S’il flanche et oublie de plus en plus de venir, au bout d’un mois, un entretien est organisé avec les tuteurs. CV, gestion du stress avec une sophrologue... Les étudiants doivent aussi s’engager à suivre au moins cinq ateliers collectifs parmi les 32 proposés cette année.

Campus connecté Le Vigan
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Longs cheveux bruns, créoles aux oreilles, Manon Chalvidan, 23 ans, est une fidèle du campus connecté. Depuis 2019, elle vient tous les jours en voiture de Mars, un village situé à 10 minutes du Vigan. Manon avait auparavant passé trois ans à l’université Paul-Valéry à Montpellier. Malgré ses bourses, elle devait cumuler les boulots : de l’animation en semaine dans des écoles et un poste au supermarché du Vigan le week-end. Elle est ainsi parvenue à valider deux années de licence ''sciences de l’éducation''. Pour la troisième, changement d’aiguillage : elle retourne au Vigan au campus connecté. Elle grimpe les échelons : licence, master 1 avec l’université de Cergy-Pontoise. Elle accepte même de faire huit semaines de stage dans des écoles de l’académie de Versailles. Pour le master 2, elle choisit Rodez en présentiel. Elle lâche au bout de deux jours, « trop de pression » sur le concours. La voilà donc revenue avec sa trousse gigantesque au campus connecté pour suivre un BTS "support action managériale".

Garder un lien social

Ce jeudi, sur le tableau, il y a encore les traces du cours d’économie accéléré que lui a donné Rachid Mdaam. Titulaire d’un master de STAPS (sport) et de sociologie, il n’hésite pas à déverrouiller avec les étudiants les notions sur lesquelles ils butent. Le mercredi soir, de 17 h à 18 h, pour lutter contre les effets pervers de la sédentarité, il donne même un cours de sport adapté aux étudiants volontaires. Les anciens du campus connecté sont invités. « On est bien accompagné. Ce campus cela permet d’avoir du lien social. Dans mon village il y a 180 habitants. Je suis un peu la seule de ma tranche d’âge », reconnaît, amusée, Manon.

Campus connecté Le Vigan
Photo Sabrina Ranvier

Casque connecté vissé aux oreilles, Romain Berthézène, son voisin de table, décroche de temps en temps du PDF qui défile sur son ordinateur pour échanger avec elle. Ce jeune homme de 19 ans vient de Molière-Cavailhac. Sa grand-mère le conduit le matin au lycée en même temps que sa sœur. « J’ai eu un bac pro accueil ici. J’ai embrayé directement en BTS au campus. » Il sourit puis avoue : « J’ai une famille essentiellement composée de montagnards, de bûcherons, de chasseurs. Je ne me sentais pas d’aller en ville et de me retrouver au milieu de tout le monde, oppressé ».

Quatre étudiants sur les 15 inscrits au campus suivent des études en université. Les autres sont en BTS. Les cours de culture générale sont sensiblement les mêmes d’une filière à l’autre. « On peut s’entraider. L’an dernier, on a fait de la culture économique et managériale à quatre ou cinq, ajoute le gaillard. Quand on est chez soi, on a tendance à être distrait. »

Café, gâteaux et sonneries

Le campus connecté a grignoté trois pièces au rez-de-chaussée de la cité scolaire André-Chamson. Vingt ordinateurs avec casques connectés ont été installés dans deux anciennes salles de classe. Même si juste en face il y a la cour des collégiens, tout a été fait pour créer une ambiance cosy. Le lino rouge a été remplacé par un revêtement imitation parquet. Un bleu indien a couvert les portes et certaines dalles du plafond. Dans la salle de repos, un canapé jaune côtoie des fauteuils gris et un micro-onde. Au mur, Shaun le mouton observe une affiche sur le passage du tour de France au Vigan. Un jeu d’échecs traîne. « Le café, le thé, les gâteaux c'est gratuit. Ils nous font une petite liste et on les approvisionne, indique Rachid. On a aussi neuf ordinateurs que l’on peut leur prêter pour l’année. » Il n’y a que les virulentes sonneries musicales qui rappellent toutes les heures que l’on se trouve dans un lycée.

Campus connecté Le Vigan
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Les étudiants pourraient manger à la cantine de la cité scolaire. Franchement, cela ne les tente pas. « Je me suis inscrite au campus connecté car, à 29 ans, je ne me voyais pas en présentiel avec des gosses de 20 ans en classe », éclate de rire Anâhitâ. Robe, boots et béret noir, cette jeune femme franco-iranienne est notamment diplômée d’une école d’art en Belgique. Son projet : créer un jardin botanique et artistique accueillant des festivals, de l’éducation à l’environnement... Elle travaillait dans le Tarn et s’était inscrite à distance dans un BTS "gestion et protection de la nature" proposé par Sup agro Dijon. Elle suivait les cours seule chez elle. Lors d’un rassemblement en présentiel, un autre étudiant lui parle du campus connecté. Anâhitâ fait ses valises : « Au campus, tu gères ton emploi du temps comme tu veux. C’est top. »

Rejoindre une université pour de vrai

Une cinquantaine d’étudiants sont passés par là depuis 2019. 5 % ont abandonné. Environ 70 % ont réussi leurs exa- mens. Le campus doit servir de tremplin pour poursuivre des études supérieures en présentiel. Chaïma y est parvenue. Après un BTS obtenu au campus, elle est partie en troisième année de licence à Montpellier. « La première année a été difficile. Il lui a fallu deux ans pour la valider. Maintenant, elle travaille à la Société Générale à Ganges », témoigne Rachid Mdaam.

Le campus connecté travaille en partenariat avec l'université de Nîmes, Unîmes, pour que les étudiants se familiarisent peu à peu avec le monde universitaire "en vrai". Les élèves du campus ont accès à la bibliothèque universitaire, participent à des temps forts d’Unîmes. Deux étudiantes de la promotion actuelle du campus veulent intégrer l’an prochain un master psychologie en présentiel dans la ville-préfecture.

Pour certains ce sera mission impossible. Un garçon, qui habite à 1 h 30 de route du Vigan, fait le trajet deux fois par semaine avec ses parents pour venir au campus. « Il souffre de troubles de la sphère autistique. Il est inscrit en master histoire de l’art à l’université de Lille, raconte Jana Boivin, l’autre tutrice du campus connecté. Il avait commencé ses études seul chez lui. Il vient ici depuis l’an dernier. Là, il est dans un milieu protégé. C’est celui qui est resté le plus longtemps à notre fête de fin d’année. »

Cet article est issu du magazine Objectif Gard, numéro 52 sorti le 28 octobre 2022. Vous pouvez le découvrir dans son intégralité en cliquant sur la Une :

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Sabrina Ranvier

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