NÎMES EN FERIA Un final en solitaire et en silence

Un exemplaire de Victorino Martin pour Borja Jimenez (Photo Anthony Maurin)
Solo de Victorino Martin pour Borja Jimenez (silence, silence, discrets applaudissements, silence, silence, silence, et silence).
Nous y voilà… La course de la feria. Le geste. Une belle histoire pour une course qui arrive peut-être avec deux ans de retard. Mais comment peut-on dire qu’elle arrive trop tard ? Sur la planète taurine, le temps est insolent et les aiguilles s’arrêtent parfois, rarement.
Borja Jimenez, comme les toros de Victorino Martin, voire les arènes de Nîmes en tant qu’édifice, sont des paramètres que l’empresa Simon Casas a su aligner pour tenter l’insolent pari d’entrer dans l’histoire.
Pour la première fois, un matador de toros devait confirmer son alternative en faisant, dans le même temps, un paseo en solitaire. Comment est-ce possible ? Avec Casas, tout est possible !
Seul face à son destin, Borja Jimenez se présente dans la cité des Antonin après n’y être venu qu’une fois de novillero en 2014. Seul ? Pas tout à fait. Au paseo, on voit Fernandez Pineda et Salvador Ruano en sobresalientes. Mais, comme il s’agit d’une confirmation d’alternative, une ascendance doit être là pour assurer la filiation taurine. Qui de mieux qu’Espartaco ?
En effet, les deux maestros sont d’Espartinas et se connaissent bien. Espartaco a déjà donné son doctorat au jeune suivant donc il est fort logique, même si c’est incongru car le maestro retiré est resté en habits civils, de les voir réunis sous l’œil d’un Simon Casas heureux de voir ce revivre.
Une émotion de revoir l’un des héros nîmois des années 1990, une satisfaction de voir la relève s’enfermer ici avec six Victorino Martin, toros qu’il connaît parfaitement, qu’il affectionne particulièrement et qu’il saura toréer et montrer au public. L’aficionado venu en ce soir de clôture est un passionné amoureux des grands rendez-vous.
Hélas, les grands rendez-vous ne deviennent pas automatiquement des grandes dates mémorielles.
Le public applaudit le maestro qui s’enferme dans sa bulle pour l’encourager avant de le revoir une fois qu’il sera un peu plus relâché. Il faut couper vite et mettre les bouchées doubles pour s’assurer le triomphe mais Borja Jimenez n’est pas pressé. Couper ? N’allons pas comprendre le suspense mais aucun trophée ne sera donné, aucune salutation, même pas un début d’ovation, rien. Avec ce premier toro, faible et dénué d’intérêt, le maestro met les volontairement les pieds dans le plat et tente. Il tente une faena simple mais efficace, posée et placée. Le public ne voit pas trop. Peut-être a-t-il été déstabilisé par la présence d’Espartaco, pour quelques secondes en piste et en civil, qu’il n’avait pas revu depuis des lustres ? Silence.
Après ce premier duel, place à un deuxième. Si la course n’est pas partie sur les chapeaux de roue, peut-être qu’elle sera lancée sur ce toro ! Ce nouveau Victorino est bien différent du précédent. Il se retourne vite et laisse un goût amer à l’œil car Victorino pensait avoir apporté un lot intéressant. Il se comporte un peu mieux sous le fer du picador mais rien de fou. La faena se passe sans un mot, dans le calme le plus plat et froid. Le piéton prend l’épée et va au charbon mais quand ça ne veut pas… Les sifflets commencent à pleuvoir doucement. Silence.
Avec le troisième toro du Sorcier de Galapagar, Borja Jimenez aurait pu, dû, couper mais c’est une nouvelle fois à l’épée qu’il perd le bénéfice du doute et de son travail d’orfèvre. Le public ne comprend toujours pas mais Borja y met du cœur et de la volonté. Dans les bons sitios, le torero propose quelques séries fortes, surtout à gauche. Comme le toro transmet davantage, qu’il est à la fois bravito et noble, le natif d’Espartinas peut développer un toreo que, jusqu’ici, le public n’a pas trop vu. Rien à faire, silence.
La moitié de la course est désormais derrière le torero qui n’a pas le luxe de se reposer ou de se relâcher. Lors d’un solo, on est toujours seul. Quoi qu’on entende, quoi qu'on lise sur les lèvres des proches ou sur les pancartes des fans. À Nîmes, on a entendu qu’on aurait préféré voir les Zalduendo ou les Yonnet. On entend les notes d’Intervilles, les gens crient, le désordre se met en ordre de marche. Ce quatrième est un des seuls auquel Jimenez montre une bricole au capote. Avec la muleta, idem mais pas suffisant pour espérer autre chose que le silence. Concentré et toujours appliqué, Jimenez et ces toros ne transmettent pas. Les gradins s’échauffent… Silence pardi.
Le cinquième toro déboule. Au corral lors de la présentation, la course a plu aux élus et aux professionnels. Tomas Ubeda fait partie, comme Jérémy Banti ou Jean-Loup Aillet, de ce solitaire. Il posera par ailleurs de belles paires de banderilles. Enfin une chose positive dans ce qui s’apprête à devenir un fracaso. Les spectateurs n’y croient même plus, certains prennent la poudre d’escampette pour finir plus en beauté un week-end bien rempli. Silence, comme toujours.
Voilà, c’est fini ! Nous sommes déjà au dernier toro de la feria, l’ultime de ce rendez-vous pour l’histoire. Nul n’en tirera d’enseignement, le souvenir sera bien vite effacé, espérons que les arènes de Nîmes, comme Victorino Martin et Borja Jimenez n’en pâtissent pas plus tard... Le toro déboule, on le sent compliqué, Jimenez prend l’épée de mort. Le public chambre une dernière fois. Mal au cœur. Piqué à vif, Jimenez réagi et se lance dans une folle dernière aventure. Il se remet à y croire, réalise une paire de belles séries dans l’indifférence avant de mettre une dernière estocade et d’écouter le silence, quelques maigres applaudissements et une belle bronca. Dur dur…