Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 03.06.2022 - corentin-migoule - 3 min  - vu 816 fois

ALÈS "Rendre la justice" : les magistrats alésiens face à des sommités de la profession

Céline Simitian, présidente du tribunal judiciaire d’Alès, François Schneider, procureur de la République d’Alès, Bérangère Le Boedec, juge d’application des peines, et Fabien Assié, coordonnateur du Conseil départemental d’accès au droit du Gard, ont assisté à la projection du film "Rendre la justice". (Capture d'écran)

Ce mardi soir, dans une salle du Cinéplanet, les magistrats de la juridiction alésienne ont visionné le film-documentaire Rendre la justice, réalisé par Robert Salis et sorti en 2019, lequel propose une réflexion sur l’acte de juger à travers le regard, le vécu et les témoignages de ceux qui ont la lourde responsabilité de juger leurs semblables.

Nécessaire. Tel est le mot qui qualifie sans doute le mieux la promotion d'un film-documentaire (2h) sorti il y a - déjà - bientôt trois ans. Projeté ce mardi soir dans une salle du Cinéplanet en présence de plusieurs magistrats alésiens, réalisé par Robert Salis, Rendre la justice compile des entretiens d'une grosse vingtaine de magistrats et dresse ainsi le tableau d’une institution à la fois imposante et vulnérable.

Enveloppés par des plans académiques – façades de palais de justice, statues, boiseries, sur fond de Bach et de Vivaldi  – ces riches entretiens réalisés avec des sommités du monde de la justice racontent le poids de "la violence légale" qu’ils exercent à l'égard de ceux qui commettent des "violences illégitimes". En véritable punchlineur, l'excellent André Potocki, juge français à la Cour européenne des Droits de l'Homme, est peut-être celui qui résume le mieux cette "violence" : "Les gens qui viennent devant la justice apportent la dentelle de leur vie. Et la justice, elle, a la délicatesse d’un 35 tonnes qui se gare dans un magasin de porcelaine."

"Ne jamais avoir affaire à la justice"

Comme le dernier nommé, les autres témoins mesurent avec lucidité l’écart entre les principes qui doivent les guider et la réalité à laquelle ils sont confrontés. Ces audiences surchargées que l’on quitte tard dans la nuit, "avec un sentiment de fatigue", voire de "honte" pour certains, d'avoir statué dans "de telles conditions". Cette justice qui n’a de commun que son nom, selon qu’elle s’exerce dans l’urgence d’une audience de comparution immédiate ou dans l’atmosphère cotonneuse d’une chambre spécialisée dans la délinquance financière.

Imposante, voire effrayante, au point que plusieurs robes rouges conseillent à leurs concitoyens de ne "jamais avoir affaire à elle", la justice sait aussi exprimer sa vulnérabilité. Comme ces quelques secondes où le regard bleu de celui qui incarna l’autorité de l’antiterrorisme, François Molins, se brouille à l’évocation de la nuit d'horreur du Bataclan, et du souvenir encore douloureux d'une sonnerie de portable provenant du sac à main d'une jeune femme qui venait de perdre la vie.

Quand une magistrate s'inquiète de la vision qu'ont certains justiciables à l'égard d'une justice qui serait semblable à "une loterie", Fabienne Siredey–Garnier, présidente de Chambre correctionnelle au tribunal de grande instance (TGI) de Paris, reconnait qu'elle peut-être "une véritable machine à broyer". Dans la même veine, Renaud Le Breton de Vannoise, président du TGI de Bobigny, livre son témoignage : "On doit se garder d’humilier les personnes que l'on juge. Car toute humiliation est un gage de non réinsertion. En les humiliant, on en fait des révoltés !"

"Il vaut mieux être jugé à Alès qu'à Paris"

Être condamné à juger autrui serait-il le pire des châtiments ? Dans Le testament d’Orphée de Jean Cocteau, le personnage incarné par François Perrier est condamné à vivre pour crime d’innocence et à juger ses semblables. Son immense détresse face à cette condamnation, "nous ne pouvons être condamnés à pire, à juger les autres, à être des juges", vient en effet clore le documentaire de Robert Salis, comme un symbole.

Après quoi, face à une trentaine de personnes, François Schneider, procureur de la République d'Alès et coorganisateur de cette soirée, a livré sa vision d'un métier qui n'est "plus du tout le même qu'il y a 20 ans". Fort de son expérience, celui qui a écumé 14 juridictions estime que "c’était bien plus facile avant", car "nous (les magistrats, NDLR) étions infiniment plus libres d’exercer". Et d'ajouter : "La pression de la société est extrêmement forte. Les justiciables ont des attentes démesurées. Les médias ne fonctionnent plus de la même manière avec nous depuis que sont apparues les chaînes d’info en continu. Mais je crois que la justice est plutôt pas mal rendue dans nos contrées plus rurales. Très franchement, il vaut mieux être jugé à Alès qu'à Paris."

Aux côtés de Céline Simitian, présidente du tribunal judiciaire d’Alès, Bérangère Le Boedec, juge d’application des peines, et Fabien Assié, coordonnateur du Conseil départemental d’accès au droit du Gard, le procureur de la République a ensuite répondu à une demi-douzaine de questions émanant des spectateurs. L'un d'eux s'est enquis de l'impact du procès sur la victime et ses proches, l'espérant "réparateur". "Les procès sont faits pour la société, pas pour la victime qui, je vous l'assure, sort bien souvent en miettes de l'audience", a exposé François Schneider.

Corentin Migoule

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