Pas de carte au trésor, ni de coffre en bois scellé du sceau d'un empereur, ni de traces du butin d'un pirate. Pourtant, le Rhône vient une fois de plus de livrer un trésor tout droit sorti d'un roman d'aventures. Il y a deux semaines, à 7 mètres sous la surface, près de la rive droite du fleuve, les archéologues plongeurs du programme de recherches collectif "Le Rhône antique dans la traversée d'Arles" (lire en encadré) ont exhumé 847 pièces de monnaie enfouies depuis l'Antiquité. Une découverte qui s’ajoute à la longue et prestigieuse liste des trésors arlésiens sortis des eaux troubles du fleuve roi.
La campagne de fouilles, menée du 25 août au 3 octobre, avait pour objectif principal l’exploration d'épaves repérées lors de précédentes missions. Mais c’est en sondant l’extrémité arrière de l’Arles-Rhône 7 — non pas dans l’épave, mais sur le dépotoir qui la recouvre — que l’équipe a fait cette découverte. "Dès la première plongée, 60 pièces sont remontées dans le tapis tamis, puis 80, puis plus de 600", raconte David Djaoui, archéologue au Musée départemental Arles antique (MDAA) et codirecteur de la mission aux côtés de Sabrina Marlier (MDAA) et Pierre Poveda (Centre Camille-Jullian). "Certaines étaient même empilées, renversées." Comme une scène figée dans le temps.
Mardi, à l'heure de dresser le bilan de cette campagne de fouilles, aux côtés de leurs précieux partenaires, les trois archéologues sont revenus sur cette découverte qui pourrait faire grand bruit. "Pour la plupart, les pièces datent du IIIe siècle et du IVe siècle après J.-C., et sont dans un excellent état de conservation. Certaines proviennent même de l'atelier monétaire arlésien ! Il y en a aussi des plus anciennes, des sesterces de Trajan (IIe siècle)."
L'étude de ces pièces s'annonce d'ores et déjà passionnante et "extrêmement intéressante". "On va pouvoir confronter la datation de ces monnaies avec celles des amphores et des céramiques retrouvées. Ces pièces vont aussi nous permettre d'avoir une image plus précise du rayonnement commercial d’Arles à l’époque." Un numismate spécialisé a déjà entamé un tour des musées européens pour vérifier si certaines pièces sont inédites.
Le travail qui reste à faire sur ces 847 pièces est important. Évidemment fragilisées par leur immersion, elles devront d’abord être restaurées et stabilisées. Et si leur identification pourrait être relativement rapide, le décryptage de leur iconographie (symboles religieux, messages politiques, etc) et leur recontextualisation pourraient être bien plus longs, "au moins deux ans".
Mais déjà les questions abondent. À qui appartenait ce trésor ? Comment et pourquoi s'est-il retrouvé dans le Rhône, à Arles ? "L'hypothèse d'un accident, une chute depuis le quai, ou depuis un bateau, semble la plus plausible", selon Pierre Poveda. Et une question toute particulière taraude les archéologues : celle du contenant. Pas encore retrouvé à ce stade. S'agissait-il d'un contenant textile, d'une céramique ou peut-être même d'un coffre ? Des questions qui, pour le moment, restent sans réponse mais peut-être pas pour longtemps. Alors que cette campagne s’achève vendredi 3 octobre, l’équipe évoque déjà la suite et la campagne de 2026. "On n'est pas à l'abri d'une nouvelle découverte exeptionnelle", glisse David Djaoui.
Il faut dire que le Rhône est à lui seul un trésor archéologique d'une richesse inouïe. Un Pompéi subaquatique. "Nulle part au monde, vous ne trouverez quelque chose comme ça", affirme l'archéologue du MDAA, pour qui ce fleuve est "un terrain de jeu pour des centaines, des milliers d’années". Assurément, le Rhône n'a pas fini de nous surprendre.
Un programme de recherches collectif pour percer les mystères du port d'Arles
Dix ans. C’est le temps qu’il aura fallu aux archéologues pour retourner explorer les fonds du Rhône, après la fouille historique du chaland romain de 31 mètres, aujourd’hui exposé au Musée départemental Arles antique (MDAA). En 2013, son renflouage et l’inauguration de l’extension du musée marquaient l’aboutissement d’un projet pharaonique, suivi d’une décennie de recherches, de publications scientifiques (plus d’une centaine d’experts mobilisés) et de médiation grand public – livres, BD, expositions à Arles comme à Marseille. Mais depuis, le fleuve était resté silencieux. Jusqu’à l’été 2023, où une équipe, menée par les archéologues du MDAA David Jaoui et Sabrina Marlier, et Pierre Poveda (Centre Camille-Jullian), a enfin pu rechausser les palmes. À la suite de cet état des lieux est né un projet collectif de recherches baptisé "Le Rhône antique dans la traversée d'Arles". Un programme triennal auquel participent le MDAA, le Centre Camille-Jullian, le CNRS, l'Inrap, le Musée national de la Marine, le Drassm, le Service régional de l'Archéologie et Ipso Facto. Objectifs : lancer l'étude exhaustive des épaves romaines et percer le mystère du port d'Arles.
Pour cette première année de fouilles -- lesquelles se sont déroulées du 25 août au 3 octobre -- deux épaves ont été ciblées : Arles Rhône 15, une petite barque, et Arles Rhône 7 un bateau à fond plat. La première, dont les opérations étaient dirigées par Pierre Poveda, correspond à une petite embarcartion de moins de 5 mètres, dotée d'une extrêmité en tableau arrondi, plutôt rare. "Peut-être une horeia, ces bateaux dont on a retrouvé une poignée d'exemplaires vers Toulon", explique l'archéologue. À quoi servait-il ? À la pêche, ou à remorquer de plus gros bateaux ? "On espère que les analyses vont répondre à nos questions mais en attendant ce petit bateau révèle tout un pan de l'activité portuaire". Il est aussi un marqueur chronologique clé pour dater les carottes sédimentaires prélevées autour. Du côté des fouilles sur l'Arles Rhône 7, dirigées par Sabrina Marlier, les conditions très compliquées ont empêché d'atteindre les objectifs fixés mais l'équipe a pu rouvrir partiellement la poupe enfouie sous des mètres de sédiments. Ce qui semble être une allège à fond plat servait sans doute de navettes entre le port d’Arles et les avant-ports de Fos ou des Saintes-Maries-de-la-Mer. "Sans doute utilisée pour alléger les gros navires marchands incapables de remonter le delta", explique Sabrina Marlier. "On espère terminer la fouille en 2026-2027", précise-t-elle.
Autre axe de travail ces 6 dernières semaines : sondages et prospections dans le dépotoir. Car toutes ces épaves ne reposent pas sur un lit de fleuve ordinaire, mais sur un dépotoir portuaire géant -- des millions d’amphores, de céramiques, et autres vestiges du commerce antique. Pour restituer le rivage d’il y a 2 000 ans, les archéologues collaborent avec Ipso Facto pour des carottages terrestres et sous-marins. "On veut comprendre comment le port s’étendait, et comment le Rhône a évolué", détaille David Djaoui. Au cours de ces prospections qui visent à trouver de nouvelles épaves, des madriers de 17 mètres de long ont été découverts. Reste à savoir s'ils sont antiques ou pas. La surprise est venue d’un sondage mené avec Alex Sabatia (Inrap). Au milieu de conserves de bord de marins, d'Italie et d'Espagne, "on a eu la chance de trouver un élément en bois de bateau antique. On a pu faire une photogrammétrie et restituer un bateau. Un bateau maritime et long de 20 mètres !" Une découverte majeure qui aide à retracer un axe commercial. "C'est pour nous une nouvelle épave, baptisée Arles Rhône 25."
Cette année, sur 27 jours de plongée prévus, 5,5 ont été perdus à cause de la dégradation du Rhône : courant, visibilité quasi nulle. "En 2024, on a dû annuler purement et simplement à cause du Rhône en crue", regrette David Jaoui. Mais l’équipe reste optimiste, et se projette déjà sur la prochaine campagne de fouilles, prévue en 2026.