"On ne laissera aucun pylône être installé sur nos terres ! Que l’État et les industriels en soient conscients. Nous allons nous battre pour nos élevages, notre production, nos paysages, notre mode de vie !" Le ton est ferme, déterminé. Cédric Bernardi, agriculteur et éleveur de chevaux Camargue aux Saintes-Maries-de-la-Mer, ne mâche pas ses mots. Depuis quelques jours, il co-préside, aux côtés de Guillaume Meiffre, oléiculteur à Saint-Martin-de-Crau, l’association de Sauvegarde des terres de Camargue et de Crau. Une structure déjà forte de plus d’une centaine d’adhérents -- éleveurs, agriculteurs, propriétaires --, tous unis contre un projet qui les impacte directement et menace leur quotidien : la ligne très haute tension (THT) reliant Jonquières-Saint-Vincent à Fos-sur-Mer, avec ses 180 pylônes d'environ 60 mètres de haut.
"C’est chez nous que ces pylônes vont être installés. C’est chez nous que ça va passer !", rappelle Cédric Bernardi. Pourtant, malgré la mobilisation de nombreux acteurs locaux, les informations se faisaient rares et les voix individuelles peinaient à être entendues. "Nous n’arrivions pas à obtenir de réponses claires, et il était très difficile de se faire entendre", confie-t-il. Face à cette impasse, les Bucco-Rhodaniens se sont tournés vers leurs voisins gardois et l’association Sauvegarde Terre d’Argence, laquelle a depuis longtemps désigné un interlocuteur unique pour porter la voix des impactés. "Ils ont réussi à obtenir des rendez-vous directs avec le préfet, ce qui était impossible pour nous, isolés. Nous avons voulu reproduire ce modèle ici." Soutenus par leurs homologues du Gard, les agriculteurs et propriétaires de Camargue et de Crau ont structuré leur propre association. Désormais, ils parlent d’une seule voix. Et celle-ci porte plus loin.
Une opposition unanime, une unité inédite
L’association a réussi un exploit : rassembler des acteurs qui, habituellement, ne se parlent pas ou peu. Agriculteurs bio et conventionnels, syndicats professionnels (FNSEA, Chambre d’agriculture, Coordination rurale), éleveurs, et même des représentants de la Confrérie des gardians se sont unis. "L’opposition à ce projet est unanime !", souligne Cédric Bernardi, fort de cette unité. "Nous sommes déjà des acteurs de la décarbonation, avec nos élevages bio et nos cultures durables. Nous ne voulons pas en devenir les victimes." Et l’agriculteur de regretter que, dans ce débat, "on oppose l’industrie à un territoire potentiellement désert. Pourtant, nous aussi nous créons des emplois et nous produisons de la richesse, au-delà de la simple production alimentaire."
Les membres de l’association - dont la première des actions sera d'adhérer au Collectif Stop THT 13/30 -ne se contentent pas de dire non. Ils exigent une solution technique alternative : l’enfouissement des lignes. "Cette solution a été validée par des expertises indépendantes, notamment dans le cadre de la commission nationale du débat public", rappelle Cédric Bernardi.
"Elle est techniquement réalisable, mais elle nécessite une volonté politique et financière." L’association demande donc à l’État, aux industriels et à RTE de financer et de mettre en œuvre cette alternative. "Sinon, ils iront au-delà de graves difficultés, car nous ne laisserons aucun pylône être installé sur nos terres", avertit-il. Et si les agriculteurs craignent que la Camargue, région emblématique, ne serve de vitrine pour masquer les impacts sur d’autres zones, comme la Crau ou la Terre d’Argence, le mot d’ordre est clair : "Zéro pylône, ni d’un côté, ni de l’autre ! ".
Mobilisation et médiatisation nationale
Pour faire entendre sa voix, l’association compte mobiliser massivement. "Nous allons faire marcher le réseau de nos adhérents, faire du porte-à-porte, organiser des actions pour médiatiser cette lutte au-delà du local", annonce le co-président de l'association qui prévoit aussi de mettre en avant des témoignages, comme celui d’un éleveur de la Manche ayant gagné un procès contre RTE pour des dégâts causés à son cheptel par les champs électromagnétiques. Occuper l'espace médiatique, témoigner pour montrer la réalité, pour dénoncer aussi "un système à deux vitesses". "À titre d'exemple, sur mon exploitation, je me suis vu refuser par deux fois la construction d’un hangar avec panneaux voltaïques, au motif que le projet ne respectait pas la loi paysagère. C'est d'une incohérence totale !"
Et le co-président de la toute nouvelle association de conclure : "Nous ne voulons pas être privilégiés, mais nous ne voulons pas non plus être sous-estimés. Nous allons faire entendre notre voix, peser dans le débat public et obtenir des solutions respectueuses de notre territoire et de notre activité."