LE DOSSIER « En 30 ans, 45 gardois sont devenus millionnaires grâce à l’offre de jeux FDJ »
Entretien avec Nicolas Denonfoux
Vous êtes responsable du secteur commercial Occitanie Est de la Française des jeux. Combien comptez-vous de points de vente dans le Gard ?
Le département du Gard compte 350 commerces partenaires FDJ de différentes tailles. Les plus importants se trouvent dans les agglomérations comptant le plus d’habitants, comme la ville de Nîmes qui comptabilise 55 commerces partenaires. Notre objectif est d’avoir un réseau de distribution stable sur l’ensemble du territoire, ce qui est le cas dans le département.
L’agence Occitanie Est de la FDJ se situe à Nîmes. Est-ce que le Gard est le département où on joue le plus ?
L’agence Occitanie Est compte 37 employés qui se répartissent entre les métiers commerciaux et les métiers administratifs. Le rôle de notre agence est de piloter les relations commerciales avec les 1 900 commerçants partenaires de FDJ dans les départements de l’Aveyron, Aude, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales, Tarn et Vaucluse. Certains gagnants viennent également retirer leurs gains en agence lorsqu’il s’agit de montants importants. Notre agence est implantée à Nîmes depuis janvier 2019. En 2023, nous avons eu l’opportunité de nous agrandir dans le même immeuble afin de mieux accueillir nos collaborateurs et nos commerçants partenaires pour leur formation initiale. Nous sommes donc restés à Nîmes.
Selon l’ANJ, la FDJ a eu des résultats en hausse en 2023 ainsi qu’au premier semestre 2024. Est-ce que les Français jouent de plus en plus pour conjurer l’inflation ?
La FDJ possède un modèle de croissance relativement acyclique, qui repose sur un très grand nombre de clients, 27 millions, qui misent de petites sommes. Les clients de FDJ conservent leurs habitudes de jeu, ne jouant ni plus, ni moins, quand l’économie va bien ou va mal. Quand on regarde la croissance de FDJ ces vingt-cinq dernières années, elle n’est pas corrélée aux cycles économiques. Globalement, 68 % des mises sont redistribuées aux joueurs, soit 14,5 milliards d’euros en 2023. Évidemment, tout le monde ne gagne pas de gros lots. Néanmoins, près de 200 clients de FDJ ont remporté plus d’un million d’euros en 2023.
Que deviennent les sommes qui ne sont pas reversées aux joueurs ?
Les prélèvements publics sur les jeux sont de l’ordre de 20 %, soit 4,2 milliards d’euros. Le reste, c’est notre chiffre d’affaires, notamment grâce auquel nous rémunérons nos 29 000 commerçants partenaires (près d’un milliard d’euros en 2023). L’an passé, nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 2,62 milliards d’euros en augmentation de 6,5 % et un bénéfice net de 425 millions d’euros.
Quels sont les jeux les plus achetés dans le Gard ? Y a-t-il eu de gros gains ?
Les jeux de grattage constituent la première habitude de jeu des Gardoises et des Gardois. Viennent ensuite les jeux de tirage puis les paris sportifs. En 30 ans, 45 gardois sont devenus millionnaires grâce à l’offre de jeux FDJ. Le record de gain du département depuis 1994 est de 15 millions d’euros à l’Euro Millions en 2015. Au loto, le record est de 9,1 millions au loto en 1994 et de 9 millions en 2017.
Les tickets du loto du patrimoine coûtent 15 euros. Ils servent à financer la restauration de monuments. Mais est-ce que cela a un impact localement ?
Temple de Gallargues-le-Montueux, escalier monumental Saint-Pierre à Pont-Saint-Esprit, observatoire du Mont-Aigoual… Depuis le lancement de Mission Patrimoine en 2018, le département du Gard a reçu plus de 600 000 euros pour contribuer à la rénovation de monuments et sites historiques du territoire.
Entretien avec Thomas Amadieu, sociologue
« D’une certaine façon, les jeux d’argent sont une taxe sur les pauvres »
Le marché des jeux d’argent a enregistré un niveau record en 2023. Cela semble se poursuivre en 2024. Pourtant la situation économique est difficile. Vous êtes enseignant-chercheur à l’école de management Essca, comment analysez-vous ce paradoxe ?
On a un contexte global d’inflation. On pourrait se dire que c’est un paradoxe que les jeux d’argent croissent alors que la situation économique est difficile. Mais c’est un paradoxe uniquement en apparence. Les jeux d’argent jouent sur un certain nombre de difficultés, de frustrations. Quand on regarde les motivations selon les types de jeux, ce qui ressort de toutes les enquêtes, c’est que les gens sont attirés car il y a une promesse d’opportunité de changer de vie d’un coup, de pouvoir acquérir une maison, une voiture. On le retrouve dans le loto, dans les jeux à gratter.
Les paris sportifs ont eu une belle croissance au premier semestre 2024. Pourtant on n’a pas la possibilité de remporter des sommes aussi importantes qu’à l'EuroMillions. Qu’est-ce qui motive ces joueurs ?
L’autre motivation des joueurs c’est l’idée d’acquérir rapidement de quoi arrondir les fins de mois, de quoi résoudre les problèmes financiers. Pour les paris sportifs, on est moins dans l’idée de « je vais changer de vie ». On a quelques connaissances et on espère que l’on va remporter 50 ou 100 euros.
Vous avez déclaré que les jeux d’argent sont « plutôt une taxe sur les pauvres ». Cela signifie que ce sont plutôt les plus défavorisés qui jouent ?
En chiffre absolu, les classes sociales défavorisées ne sont pas celles qui ont le montant de dépense dans les jeux les plus importants. Mais, si on regarde ce qu’elles dépensent par rapport au montant de leurs ressources, ce sont elles qui dépensent le plus. Donc oui, d’une certaine façon, les jeux d’argent sont une taxe sur les pauvres. C’est une forme d’impôt sur les sentiments de frustration que génèrent le contexte économique, l’ascenseur social bloqué.
Vous avez écrit La fabrique de l’addiction aux jeux d’argent. Est-ce que l’on pousse les Français à jouer ?
De la part des opérateurs de jeux, il y a tout un ensemble de techniques marketing qui jouent sur des biais cognitifs, sur la difficulté qu’ont les gens à se représenter les chances de gagner, qui conduisent à exagérer la répartition des gains. Il y a toujours l’idée de faire en sorte que les joueurs reviennent. Le jeu peut emmener à une spirale de perte de contrôle. En France, plus d’1 million de personnes ont une pratique à risque qui peut avoir des conséquences financières, d’endettement, de stress. Cela peut créer des conflits familiaux. Pour beaucoup de Français, le jeu peut cesser d’en être un.
Pourtant il y a des messages de prévention, des numéros d’appel apposés sur les publicités pour les jeux d’argent. Ils sont interdits aux mineurs... Ce n’est pas suffisant ?
Il y a encore des choses à faire pour mieux réguler. Beaucoup de mineurs jouent. Il n’y a pas toujours de contrôles stricts, on peut utiliser le compte d’un autre. Chez les voisins européens, certains interdisent les publicités pour les jeux d’argent ou ne les autorisent qu’à une certaine heure. D’autres les interdisent pendant les rencontres sportives. La limitation de la publicité ne coûte rien mais a des bénéfices importants. On peut aussi limiter les mises maximales, développer la prévention.