AUTOUR DES ARÈNES Joris Alvarez : "Je n'espérais rien de la course camarguaise, c'est devenu ma vie"

Joris Alvarez, président de course camarguaise.
- S.MaChaque vendredi de l'été, ObjectifGard & Arles vous emmène à la rencontre de ceux qui font battre le coeur de la tradition camarguaise. Pour ce sixième épisode, coup de projecteur sur Joris Alvarez, président de course et voix incontournable des arènes.
À 41 ans, Joris Alvarez, originaire de Port-Saint-Louis-du-Rhône, est une des figures incontournables de la course camarguaise. C’est une cousine installée à Mouriès qui lui a fait découvrir cet univers singulier. Il avait 6 ou 7 ans lorsqu’il s’est retrouvé pour la première fois dans des arènes, happé par l’odeur, l’atmosphère et surtout la présence du taureau. Une passion est née. "J’étais fasciné par le taureau. Je ne savais pas encore à quel point ça allait compter dans ma vie."
Adolescent, il s'autorise quelques escapades. En stop, en cachette, il se rend à des courses. En 1999 par exemple, il file seul à la finale du Trophée des As, sans prévenir sa mère. Mais une maman finit toujours par connaître la vérité, elle lui avait été révélée par le chauffeur du jeune homme, un Saint-Louisien lui aussi. Un souvenir qui fait sourire Joris aujourd’hui et ravive son coup de coeur pour le taureau Tristan de la manade Saumade. Il l'a suivi partout et se vante, un brin provocateur, d’avoir touché une de ses cornes alors qu’il se trouvait pour la première fois en contre-piste. Une erreur de débutant, qui lui avait valu des remontrances de la part de quelques anciens.
"Je me suis senti à ma place"
Peu à peu, la passion s’organise. Au début des années 2000, le club taurin de Port‑Saint‑Louis renaît. Joris est un de ses membres - avant d’en devenir le président quelques années plus tard - et navigue dans les coulisses, observe, apprend. Très vite, on lui confie le micro lors d’un taureau piscine. « Je me suis senti à ma place. J’ai toujours aimé parler en public, parfois un peu trop » , reconnait-il rieur. En 2007, il passe son diplôme pour devenir président de course, sans pour autant avoir établi un plan carrière. Il vit l’instant, suit le raseteur Mathieu Marquier sur les routes, assiste à une centaine de courses par an. « Je n'espérais rien de la course camarguaise, c'est devenu ma vie », se réjouit Joris Alvarez.
La première qu’il a présidée relève d’une anecdote bien particulière. Le jeune homme était pressenti pour une course complète dans les arènes de son village. Mais au dernier moment, le président du club taurin lui indique qu’il ne fera que le dernier taureau. « J’ai refusé de prendre le micro, rembobine-t-il. J’ai un tempérament de boudeur. » Après négociations, il a finalement animé la finale du trophée Titi Boncoeur. En 2010, Jérôme Dumas du club taurin de Saint-Martin-de-Crau lui propose de prendre le micro à l’occasion de la finale du trophée honneur du groupe 2. Quatre ans plus tard, Joris Alvarez, reçoit un appel de la part de Daniel Siméon, alors directeur des arènes du Grau-du-Roi, avant de prendre la tête des arènes de Beaucaire.
Les arènes de Nîmes, ses préférées
« J’étais en train de me balader avec ma compagne, dans un zoo à Rome. Je décroche et il me propose d’assurer la saison. Ce coup de téléphone est mémorable. J’avais fait mine de devoir y réfléchir, mais dans ma tête, c’était la folie », s’amuse-t-il. Dans ces grandes arènes, la course du 15 août avait été remarquable, avec Garlan de la manade des Baumelles en piste, « Amine Chekade avait levé la ficelle à 3 000€ », rappelle Joris. La saison suivante, la délégation revient à Vincent Ribera, le Saint-Louisien trace sa voie, dans les arènes de Nîmes, il y officie depuis une dizaine d’années. « Ce sont mes arènes préférées, mon endroit préféré, j’aime le cadre et quand c’est très bon en piste, on le ressent de suite. » Quelques instantanées lui reviennent en mémoire, les gradins bien fournis, le frisson créé par Cobalt de la manade Saumade lors des Jeudis de Nîmes, lui, seul en piste, cravate autour du cou, en préambule de la finale du Trophée des As… Et puis il y a eu les arènes d’Arles et la Cocarde d’Or qu’il a présidé à quatre reprises, celles de Beaucaire et la Palme d’Or, les arènes d’Alès, des Saintes-Maries-de-la-Mer, Lunel, le trophée Montpellier Méditerranée métropole.
« Je commente la course comme je la vis. » Bien sûr, en tant que président de course, Joris Alvarez doit tenir son rôle d’arbitre, mais il regrette que parfois le contrôle l’emporte sur la passion, car, pour lui, le taureau doit être au cœur de l’animation. Lui « vibre avec ces taureaux en piste et ces hommes en blancs qui jouent leur vie », « l’excès de passion n’a jamais nui à personne », plaide-t-il. Il peut par contre surprendre son assesseur, Martial Moro, lequel doit essuyer quelques coup de coudes, ou le conduire devant le conseil de discipline de la Fédération française de course camarguaise. « Ça ne m’est pas encore arrivé cette année, lâche-t-il taquin. Les émotions sont les seuls critères dans la course camarguaise et c’est ce que j’essaie de transmettre au micro. Ça plait ou pas peu importe. Avant je m’en inquiétais maintenant je n’y fais plus attention. J’ai tellement d’exigence envers moi-même que j’évite de me soucier de ce qu’on peut penser de moi. » Une exigence qu’il s’impose jusque dans la tenue. « Quand j’arrive en costard-cravate lors des grandes finales, ce n’est pas pour faire le beau, mais par respect envers les hommes en blanc qui jouent leur vie en piste et montrer aux spectateurs l’importance que ça représente. »
"Le fossé entre les hommes et les taureaux s’est creusé"
Ces raseteurs justement, en presque 20 ans d’expérience, le président de course, les a vus évoluer. « Le fossé entre eux et les taureaux s’est creusé. Les hommes sont beaucoup trop forts pour les taureaux. On entend dire qu’il n’y a plus de grands taureaux, qu’il n’y a plus de vedettes. Je pense qu’en moyenne, les taureaux sont meilleurs qu’avant sauf que les hommes sont devenus trop forts. Les six premiers du trophées des As sont affûtés comme des sportifs de haut niveau. » Pour le quadragénaire, « il faudrait revenir à quelque chose de plus culturel. La communion est bonne que lorsque les taureaux sont mis en valeur. La bagarre d’hommes c’est une fois par an, lors de la Cocarde d’or voire deux fois avec la Palme d’Or. La clé du succès, ce sont les taureaux », insiste-t-il.
Joris les côtoie en dehors de la piste, dans les manades, celle de Frédéric Bon avec qui il travaille depuis plus de dix ans, en tant que guide. Il a également créé avec Patrick Baille et Hadrien Poujol, responsable de la programmation de la course camarguaise aux arènes de Nîmes ; le magazine Taureaux, en 2023. Infatigable et fervent supporter de l’Olympique de Marseille, le Saint-Louisien vient tout juste de lancer une série de podcasts intitulée « Aux Armes », inaugurée par un entretien avec Éric Di Meco. Le bleu azur de son club de coeur reflète dans ses yeux, lesquels se remplissent de larmes de joie lorsque Joris vient à parler de son fils, Alessandro, âgé de 10 ans, de son soutien tout aussi important que celui de sa compagne. « Il me suit de partout, au stade, dans les arènes, il connaît tous les taureaux. Partager tout cela avec mon fils, c’est inestimable, il est ma plus grande fierté. » Un jour viendra peut-être où, plutôt que le flambeau, il lui transmettra le micro, qui sait ?