ALÈS L'aide active à mourir mise en débat dans les locaux de l'IFSI
Ce mercredi 19 avril, l'amphithéâtre de l'institut de formation en soins infirmiers (IFSI) du centre hospitalier d'Alès recevait le professeur Jacques Bringer à l'occasion d'une rencontre citoyenne au cours de laquelle l'assistance pour mieux mourir a été évoquée.
Le sujet n'est pas réjouissant, mais il est particulièrement d'actualité depuis que le gouvernement a engagé une convention citoyenne au début de l'hiver. Après quatre mois de travaux, les membres de la convention ont rendu leur rapport sur la fin de vie au début du mois d'avril. Ils s'accordent tout particulièrement sur un point. Pour 97% d’entre eux, le cadre actuel de l’accompagnement de la fin de vie doit être amélioré. Aussi, à près de 76%, les membres se sont prononcés pour l’aide active à mourir sous la forme du suicide assisté et de l’euthanasie. Cette seconde modalité pouvant être soit un choix ouvert à la personne, soit un acte envisagé dans des cas exceptionnels.
C'est en quelque sorte une synthèse de cette convention citoyenne qui se voulait la plus impartiale possible qu'est venu livrer le professeur Jacques Bringer ce mercredi soir, à l'occasion d'une rencontre citoyenne organisée dans les locaux alésiens de l'institut de formation en soins infirmiers (IFSI). Devant 200 personnes à Montpellier, près de 120 à Nîmes, le président du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine en avait de même quelques jours plus tôt.
À Alès, l'endocrinologue a dû se contenter d'une petite assistance d'une douzaine de personnes, notamment composée d'infirmières de l’hôpital, d'une coordinatrice du service oncologie, d'une représentante d’Ehpad, et de cadres formateurs de l’IFSI. Claire Frachebois, coordinatrice du comité éthique de l’hôpital d'Alès, s'est chargée d'introduire les débats relatifs à une éventuelle révision de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016.
"Je suis là pour que tout ne se décide pas à Paris et que nous puissions discuter des sujets de société dans les territoires", a amorcé le Pr Jacques Bringer, ardent défenseur de l’éthique qui ne relève "ni de ma morale, ni de ma conviction". "Il faut laisser la conviction à la politique et au syndicalisme", a clamé le septuagénaire, qui considère que l'éthique "se discute à plusieurs" et consiste à "faire le moins mal possible" dans des situations "délicates".
Un dilemme cornélien
Faisant face à une majorité de professionnels de santé, le professeur brandissait un exemple concret : "On peut avoir, en tant que soignant, la conviction de ne pas vouloir tuer l’autre, et pourtant arriver à concevoir que certains puissent vouloir abréger des souffrances atroces. Notre principe "tu ne tueras point" se retrouve alors confronté à l’inhumanité de ne pas apporter la délivrance à qui la réclame."
Depuis de nombreuses années, en France, le débat éthique relatif à la fin de vie se cristallise en effet autour d’une opposition entre partisans du respect de la vie et défenseurs de l’euthanasie. "Le respect de l’autonomie du malade, dans les pays anglo-saxons, c’est le sommet de l’éthique !", affirme Jacques Bringer, qui reconnaît que "c’est moins le cas chez nous où l’idée qu’il faut entourer les plus vulnérables, ne pas les abandonner, le faire avec un certain paternalisme, nous conduit parfois à ne pas dire la vérité au malade."
Ces deux formes "d'éthique" s'affrontent alors, y compris du point de vue des patients, entre ceux qui revendiquent le droit à disposer de leur corps et estiment que ce droit "s’accentue en raison de leur maladie", et "ceux qui vous disent qu’ils n’en peuvent plus de cette vie qui les dégrade vis-à-vis des autres". À la question "qui a raison, qui a tort ?", le scientifique de renom ne s'est pas risqué à une réponse ferme et irrévocable, préférant la nuance dans chacune de ses interventions, tant il sait que le sujet peut occasionner des échanges "vifs".
"Laisser mourir" ou "faire mourir" : une frontière ténue
Mais le médecin admet toutefois que certaines propositions font "l’unanimité" à l’issue de la convention citoyenne, dont le fait que "la qualité des soins palliatifs diminue le recours à l’aide active à mourir". Et s'il préconise de renforcer cette qualité des soins, le professeur déplore les "fortes inégalités" qui subsistent dans l'Hexagone où "21 départements n'ont pas de compéteces en matière de soins palliatifs".
"Entre le "laisser mourir" avec une sédation douce, et le "faire mourir" avec une sédation plus forte, où est la limite avec l’euthanasie ?", interroge par ailleurs le président du comité d'éthique de l'Académie nationale de médecine. Avant d'enchaîner : "C’est ambigu ! Certains disent que c’est hypocrite, et je dois avouer qu’on est sur le fil du rasoir en matière de définitions."
Parmi les arguments qu'ils avancent, les partisans d'une aide active à mourir estiment que d'aucuns contournent l'interdiction en France en se rendant à l'étranger, dans les pays qui ont dépénalisé cette aide active à mourir depuis longtemps, ce qui aurait pour effet d'accroître les inégalités entre les plus démunis, et ceux qui sont "les plus informés, autonomes et assez aisés pour se rendre à l'étranger".
La nécessité d’une décision collégiale
Face à eux, les opposants pointent du doigt les "dérives" qui s'y produisent, notamment aux Pays-Bas où "beaucoup de dépressifs ont eu le droit d’avoir recours au suicide assisté alors qu’ils n’ont pas eu accès aux traitements de la dépression". "Ça avait interpellé l'opinion publique et influencé les psychiatres qui, alors qu'ils étaient favorables à l'aide active à mourir, y sont aujourd'hui majoritairement opposés", se souvient le Pr Bringer.
Dans la même veine, le dernier nommé garde en mémoire ce cas récent survenu en Belgique. Une jeune femme de 23 ans, victime de stress post-traumatique après les attentats du Bataclan en 2016, qui avait réclamé une aide active à mourir, a fini par l'obtenir à l'issue d'un long parcours thérapeutique. "Ça ne devrait pas arriver !", se positionne l'endocrinologue, indiquant que "c'est la raison pour laquelle l'Académie de médecine a décidé d'exclure les maladies psychiatriques de tout accès à l'aide active à mourir".
Alors que le chef de l’Etat a chargé son gouvernement d’établir un projet de loi sur la fin de vie "pour la fin de l’été", le professeur Jacques Bringer a proposé une conclusion mesurée à son auditoire. "En France, on s'accorde sur la nécessité d’une décision collégiale pluriprofessionnelle impliquant médecins, soignants, infirmières, famille et patient lui-même s’il est lucide." En effet, la maladie altère parfois le discernement, ce qui constitue un sérieux écueil. "Dans chacun des positionnements, que ce soit pour ou contre, transparaît une part de vérité. On ne pourra pas faire une loi sans sacrifier une valeur", prévient le médecin.
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