GRAND ANGLE. De Madrid à Nîmes, la réalité sociale dans les yeux du syndicaliste Luis Serrano
Luis Serrano n'est même pas fatigué. Après sept heures de voiture, d'embouteillages et de multiples péages pour relier Zaragoza à Nîmes, le syndicaliste de la CGT espagnole (Confédéracion General del Trabajo), délégué aux relations internationales, est toujours plein d'entrain pour alerter les Gardois sur la "situation critique" de son pays. Notre voisin Ibérique, touché de plein fouet par la crise financière de 2008. Invité par le syndicat Solidaires 30, les hôtes tiennent à prévenir : "la CGT espagnole n'a rien à voir avec la CGT française (…) Ce syndicat se rapproche plus de l'anarcho-syndicalisme". Un syndicalisme révolutionnaire, qui ambitionne de renverser le système capitaliste. La cadre est posé.
Baisse des salaries de 20%
A 46 ans, le syndicaliste n'a jamais vu une telle crise déferler sur son pays : "Nous avons 6 millions de chômeurs. Le taux de chômage des jeunes est de 51%. (…) Entre 7 et 8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, pour 46 millions d'habitants", déplore Luis Serrano. En comparaison, la France compte 4 millions de personnes "pauvres" pour 65 millions d'habitants. Cette situation, le responsable syndical l'explique par cette "finance folle" qui a fait exploser l'économie espagnole, reposant essentiellement sur l'immobilier. "Vous savez, en Espagne, la location ça n'existe pas. Les Espagnols veulent acheter leur maison, faire construire. C'est pour cela que le secteur immobilier représentait le principal moteur de croissance économique du pays", explique Luis.
Globalisation de la finance oblige, la crise des subprimes se propagea outre-Atlantique. "Les gens ont du rembourser tous leurs prêts immobiliers. Ne pouvant le faire, plus de 700.000 personnes ont été mis à la porte". Dés lors, les banques sombrèrent dans une crise des liquidités, si bien que l'Etat espagnol, en bon Zoro des temps modernes, partit à leur rescousse en empruntant massivement sur les marchés. "Si en 2007 la dette publique s'élevait à 30 du PIB, aujourd'hui nous en sommes à plus de 80%", rapporte Luis.
Aujourd'hui, le gouvernement Rajoy applique une véritable politique de rigueur. "L'état a changé la Constitution pour faire du remboursement de la dette une priorité". En résulte, les coupes dans les dépenses publiques. "Je suis fonctionnaire à la mairie de Zaragoza. Mon salaire à baissé de 20%. J'ai perdu des jours de vacances. Beaucoup de contractuels ont été licenciés. Dans le secteur privé, il y a eu des licenciements massifs (…) La sécurité sociale et les missions de service public sont petit à petit privatisées". Bien que la situation économique soit tendue, le climat social est plutôt "bon (...) les Espagnols sont solidaires", assure le responsable syndical. Pourtant, les incidents entre immigrés et Espagnols se sont multipliés en 2008.
Hier, Luis a donné une conférence à Alès, territoire reconnu pour ses luttes sociales. "J'appelle à la révolution sociale et à la solidarité. Je sens que les Gardois sont très militants. Le capitalisme est à l'agonie, il faut changer de système", scande l'Espagnol tout en reconnaissant que les mobilisations des premiers jours ont perdu de leur superbe... "Les gens ne veulent pas faire la grève et perdre un jour de salaire". Le capitalisme n'a visiblement pas encore dit son dernier mot.
Coralie Mollaret
coralie.mollaret@objectifgard.com
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