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Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 28.02.2021 - anthony-maurin - 6 min  - vu 1509 fois

NÎMES Jean Abessolo, écrire, survivre et revivre

Avec son livre " Architecture de l'abîme ", Jean Abessolo (Photo Anthony Maurin).

Jean Abessolo (Photo Anthony Maurin).

Un deuil n'est jamais plaisant. La vie est ainsi faite que l'Homme est bien souvent confronté à voir disparaître ses proches toujours trop tôt. Pour combler le vide, certains écrivent. C'est le cas de l'avocat Jean Abessolo qui nous livre son " Architecture de l'abîme. "

Annie est partie trop tôt. C'était en 2017 et depuis, la vie de Jean n'est évidemment plus la même. Plus qu'une épouse, Annie était pour lui une amie et une muse, son Anouchka. Né au Cameroun, Jean rencontre Annie à Pau, où il fait toutes ses études supérieures à l'université. Des études qui font de lui un avocat au bureau de Nîmes. Mais l'homme est dense et ne saurait être réduit à sa seule fonction de défenseur ou d'homme endeuillé.

" C'est ce livre qui m'amène à en parler, je pense que ça participe au processus naturel. Notre parole doit être portée et la presse peut aussi servir à cela. J'ai fait ce livre pour dire ce que les gens qui ne parviennent pas à trouver les mots peuvent ressentir dans ces situations " entame Jean Abessolo, un gaillard dont le regard est rempli de souvenirs.

Écrire pour ne pas oublier

Avocat, poète. Difficile de voir le lien cependant on ne peut pas dissocier l'un de l'autre. Abessolo l'avocat a permet au poète de survivre et l'Abessolo poète a offert une nourriture intellectuelle à l'avocat. Dans ce petit livre poétique, une quarantaine de poèmes et une préface signée de Daniel Jean Valade. " Les premiers poèmes datent de 1984, c'est dans la partie intitulée 'Temps d'ivresse.' Je les ai fait à mon arrivée à Pau, ce sont des moments de félicité, des instants fugaces mais qui ont survécu au temps qui passe et aux déménagements successifs " ajoute Jean Abessolo.

Tout se passait bien dans le meilleur des mondes quand un AVC survient. Annie, durement touchée, ne s'en relèvera jamais. Le deuil débarque dans la vie de Jean, le manque de sa moitié aussi. Il lui faut alors trouver un remède efficace pour ne pas se laisser sombrer. " Tout ne s'achève pas avec la disparition physique. J'ai cette révolte en moi, une révolte camusienne, je refusais l'absurdité de la mort, nous refusions de nous quitter. Je ne voulais pas qu'elle souffre et elle ne voulait pas me laisser seul. Je voulais, à travers l'écriture, qu'elle continue de vivre car c'est quand on ne parle plus des gens qu'ils meurent... Elle n'avait que 53 ans et elle avait encore beaucoup de choses à vivre. " Une vie, une histoire, une page, un livre, l'éternité. Pari réussi. On parle d'Annie et de la femme qu'elle était.

Pour l'auteur qui traite encore quelques affaires en tant que spécialiste du droit public, il était temps de coucher sur papier ces sentiments diffus et confus, de les canaliser, de les exorciser. " L'écriture a été une bonne solution. Je n'aime pas raconter ma vie à un psy ou à des gens qui me sont proches. L'écriture me libère et la poésie, en particulier, a cet effet sur moi car je suis quelqu'un de discret. Pour les funérailles de ma femme, au temple, j'ai lu un de mes poèmes, " À nouveau seul " et c'est à ce moment que mes confrères ont su que j'écrivais. Je voulais dire des choses avec mes mots. Ma femme adorait la poésie, à la maison, nous avons au moins 3 000 livres ! " De la poésie bien sûr mais aussi de la littérature classique, de l'histoire, de l'histoire africaine...

Un poète révolté

La quarantaine de poèmes vient susciter quelques chose dans les tripes du lecteur. Les mots percutent, touchent, ils viennent naître, vivre et mourir en ne faisant qu'un. L'intensité sentimentale est forte, parfois dure mais elle est nécessaire. " C'est dur mais il y a plusieurs niveaux de lecture. C'est de la poésie, je suis en quête d'esthétisme, c'est une sorte de magie de la destruction. Je ne parle pas avec la même prose qu'habituellement, je m'attache au rythme. J'aime le jazz et mes poème doivent être rythmés, j'aime quand ça swingue, j'y tiens. La poésie est une chose libre qui me permet de trouver la bonne puissance de certaines assonances. Je compare ma poésie à mes rêves, c'est onirique, il y a des choses à interpréter. Pour moi, la poésie, c'était Baudelaire, j'ai ressenti une vive émotion à la première lecture des Fleurs du mal. J'ai poursuivi avec les surréalistes et notamment Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas ou Robert Desnos. "

Tous ces gens avaient des choses à dire. Ils portaient un idéal inaccessible mais le feu qui les animait était inextinguible. Jean Abessolo entretient le feu sacré qui est en lui. " Je suis un descendant du peuple Fong au Cameroun. Mon peuple se trouve au sud du Cameroun, au nord du Gabon et du Congo et sur une grande partie en Guinée équatoriale. Ces peuples revendiquent des origines égyptiennes, nous avons un récit fondamental et pour préserver cette oralité, un instrument à cordes, le mvet, qui met en musique tout cela. Ce peuple a fui la région égyptienne et j'ai trouvé un livre, en chinant avec Annie comme nous en avions l'habitude, qui en parle parfaitement ! J'avais retrouvé les récits oraux de mon enfance, ce peuple en quête d'immortalité, ces récits fantastiques. Un autre livre chiné par ma femme parle de l'histoire du peuple Fang, dont les Fong sont sous-ensemble. "

Français, pourquoi ?

De cette histoire découle un caractère, une âme forgée sur les braises d'une enfance marquante. Jean Abessolo a la tête sur les épaules mais c'est une bouilloire qui s'agite en son sein. " Au début des années 1950 au Cameroun il y a eu un gros mouvement de grève. Les gens voulaient avoir des droits fondamentaux et cela s'est transformé en lutte pour l'indépendance. Cette guerre a duré jusqu'en 1970 et ma famille était très engagée. Nous cachions des leaders opposants, mon père a été arrêté et torturé, un oncle poète que j'admirais a été emprisonné plus de dix ans... J'avais une dizaine d'années mais je me souviens de tout ça. "

Ces dignes combats perdus résonnent encore en lui. Arrivé en France, seul et loin des siens, il écrit déjà. " Le premier poème que j'ai écrit en France était destiné à mon père, en 1976, " l'indépendance ". Ma mère est morte l'année de l'indépendance... En fait, ceux qui voulaient l'indépendance au Cameroun sont morts avant de la connaître, souvent tués ou exilés, et ceux qui l'ont connu ne la voulaient pas réellement. J'ai une sorte de traumatisme des indépendances. À cause de toutes les histoires entre France et Cameroun à cette époque, il était difficile pour moi de devenir français. Par exemple et plus tard, ma femme voulait qu'on se marrie mais mon père m'avait dit de ne surtout jamais épouser une blanche, une française. Quand, au bout de cinq ans, j'ai demandé à mon père si je pouvais me marier avec elle en lui expliquant que je n'aimais qu'elle, il m'a dit qu'il ne pouvait pas tenir un de ses fils prisonnier de sa parole et il a accepté. Il a même donné un surnom à Annie qui, traduit, donne ça : Merveilleux être des Abessolo. Quand il est mort il avait la photo de ma femme avec lui... " Annie n'aura jamais pu aller au Cameroun, hélas.

Des combats engagés, un couple uni à jamais

Autre combat mené dans un autre pays, celui de la mémoire d'un homme spécial. Le 15 octobre 1987, le président du conseil national, Thomas Sankara, était assassiné dans son pays le Burkina Faso. Il s'agit alors d'une icône qui deviendra au fil du temps aussi importante en Afrique que le Che peut l'être ailleurs. Jean Abessolo en parle avec des trémolos dans la voix et une admiration certaine dans les yeux. " J'étais un jeune avocat à peine installé, il était l'idole de la jeunesse africaine. Sa veuve était venue en France, elle habitait à Montpellier et je lui avais fait savoir qu'elle pouvait compter sur moi même si je n'étais pas pénaliste. L'affaire était étouffée car le combat de Thomas Sankara revêtait une dimension universelle. Elle m'a demandé de m'en occupé et je l'ai fait. " Dans cette affaire, Jean Abessolo plaidera même devant la cour suprême du Burkina Faso. Sa femme Annie l'a suivi dans tous ses combats car " elle était très engagée. "

Finalement et en retraçant une partie de la vie bousculée de l'auteur, on arrive à une finalité indéfinie. Pour l'immense majorité des gens, sa vie est réussie mais pour lui, une amertume s'en dégage encore. L'encre aidera sans doute à adoucir les mots, à voir plus loin, à voir tout court. Le deuil, comme l'amour, rend aveugle mais Jean Abessolo entrevoit un rayon de lumière. " Je suis arrivé en France avec 200 francs en poche. J'ai été éboueur, menuisier ou veilleur de nuit pour payer mes études. J'ai rencontré des gens incroyables, je suis au barreau de Nîmes, une ville qui m'a beaucoup donné. Mes confrères m'ont énormément soutenu à la perte de ma femme. Nîmes a été porteuse. Cette ville a joué un rôle très important dans ma vie. Ici, tout le monde a toujours été bienveillant. "

De 1984 à 2020, Jean Abessolo écrit des poèmes. Pau, bien sûr, mais aussi les Saintes-Maries-de-la-Mer, le cimetière du Pont de Justice... Musique (il compose), photographie, histoire et littérature sont ses autres passions, bref, nous entendrons encore parler de Jean Abessolo !

Jean Abessolo, Architecture de l'abîme, paru chez Edilivre, 90 pages, 12 euros. Vous pouvez acheter le livre à la librairie Teissier rue Régale à Nîmes.

Anthony Maurin

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