L'INTERVIEW Stéphan Maurin, président du Parc national des Cévennes : "L'État se tirerait vraiment une balle dans le pied !"

De gauche à droite, Alexandre Vigne, Stéphan Maurin et Vincent Cligniez
- François DesmeuresLe conseil d'administration du Parc national des Cévennes se réunissait, ce jeudi, en son siège de Florac, inquiet d'une éventuelle fusion des onze parcs nationaux souhaitée par le Gouvernement. Président, vice-président et directeur de la structure exposent leurs craintes, si le projet venait à bout, d'un éloignement des décisions, et brossent l'actualité de ce qui est - encore - une instance de concertation et de démocratie locale. Entretien croisé avec le président, le premier vice-président et le directeur du Parc : Stéphan Maurin, Alexandre Vigne et Vincent Cligniez.
Objectif Gard : Vous avez adopté, ce jeudi en conseil d'administration, une motion contre le projet de fusion éventuelle des parcs nationaux (relire ici). Que savez-vous du projet de fusion à ce stade ?
Vincent Cligniez (directeur du Parc national des Cévennes) : Il y a plusieurs hypothèses. Soit tous les parcs nationaux dans un seul établissement ; ou bien un rattachement direct à l'Office français de la biodiversité (OFB) ; ou un plus gros établissement public qui contrôlerait l'OFB, les parcs nationaux et le Conservatoire du littoral.
Avec quel fonctionnement dans les territoires ? Un délégué ou responsable par parc, qui transmet les décisions ministérielles ?
V. Cligniez : C'est un peu tôt pour le dire puisque, pour l'instant, on est dans les potentielles décisions politiques. Tout cela se fait dans le cadre de la diminution du nombre d'opérateurs. Par la voix de la ministre Amélie de Montchalin, l'État a annoncé il y a quelques semaines qu'il comptait un tiers d'opérateurs en trop. Il y en a qui disparaîtraient, nous ce n'est pas vraiment le cas : ce serait plutôt un statut différent, un regroupement, un rattachement.
Quels changements craignez-vous pour le Parc national des Cévennes ?
Stéphan Maurin (président du Parc national des Cévennes) : C'est la perte de l'ancrage territorial ! Une fusion, ça présente un certain nombre de limites.
V. Cligniez : Il n'y a plus lieu, ensuite, d'y avoir un conseil d'administration. La gestion serait donc certainement centralisée quelque part, parisienne sans doute, avec des budgets délégués. Mais l'atout des parcs, qui sont à la fois des objets nationaux ancrés sur le territoire, avec un conseil d'administration piloté par les élus et les acteurs du territoire, comment le garder dans cette situation ?
"On va déshumaniser un espace exceptionnel"
Stéphan Maurin
Cela aboutira, selon vous, à un éloignement des centres de décision...
S. Maurin : Il va y avoir une position hors sol par rapport au territoire dans lequel nous vivons. Nous nous nourrissons de certaines problématiques pour pouvoir échanger et y remédier. Se détacher du territoire de vie qu'on doit gérer, c'est ne pas répondre aux enjeux et aux problématiques de ces territoires-là. Aujourd'hui, on n'arrête pas de dire qu'il faut lier les problématiques au réchauffement climatique, gérer des enjeux comme l'eau, l'agropastoralisme, la présence du loup... Ça veut dire qu'on a vraiment besoin de l'humain sur le territoire. Et qu'on va déshumaniser un espace exceptionnel.
Concrètement, vous craignez que le territoire n'ait plus son mot à dire ?
Alexandre Vigne (1ᵉʳ vice-président du Parc national des Cévennes) : C'est ce que j'ai dit avant le conseil d'administration au personnel du Parc qu'on a reçu : c'est aussi une perte d'outil démocratique. Aujourd'hui, dans le conseil d'administration, il y a le directeur du Parc, les élus, les représentants des éleveurs, des chasseurs... On retrouve la société civile. Et, ensemble, on discute. Sur les problèmes d'environnement, on n'est pas toujours d'accord, mais on les discute ensemble, et on vote. Souvent, on dit, pour les maires, qu'on est les derniers remparts de la République (Alexandre Vigne est aussi maire de Lanuéjols, NDLR). Mais pour la gestion du parc, un conseil d'administration, c'est aussi un rempart de la République, ça permet une expression. Au CA, on a longuement discuté des problèmes de loups par exemple, avec des situations dramatiques pour les éleveurs qui nous en ont fait part. Si on supprime cet outil, où on peut recevoir la parole et les difficultés des gens qui habitent le territoire, ça donnera lieu à une augmentation des tensions. C'est un outil indispensable !
Quand les ordres tombent d'en haut sans avoir été discutés localement, cela pourrait pousser à un non-respect des règles, selon vous ?
V. Cligniez : On demande aussi aux serviteurs de l'État de s'adapter au contexte local, dans un cadre national défini, évidemment. Si cet échelon local n'a plus l'autonomie ni l'ancrage au territoire, on va faire du hors-sol, comme disait le président.
A. Vigne : Et puis, il y a aussi un temps de réaction quand les choses viennent d'en haut. Ici, on traite directement les problèmes. Le 25 avril, on avait une réunion sur la question du loup, avec tous les partenaires. C'est une urgence pour le territoire et il y a des tensions. Donc, il est important que nous, on soit présents sur le terrain, et qu'on puisse expliquer la position du parc - qui est actuellement très inconfortable sur la question du loup - car les gens pensent que c'est le parc qui décide.
S. Maurin : Un autre écueil à mes yeux est que les parcs nationaux sont des laboratoires. Et on expérimente beaucoup de choses qui viennent de la base, du terrain, du territoire. J'ai peur, si on rentre dans une gouvernance beaucoup plus élargie, qu'on ne puisse pas le faire. Ou moins bien. Et puis chacun, dans nos parcs nationaux, on apporte une plus-value en matière touristique. Réserve internationale de ciel étoilé... Avec une gouvernance plus éloignée, aurait-on abouti à cela ? En menant l'extinction de l'éclairage public et des petites expériences qui ont fonctionné. Et se sont étendues à l'ensemble du territoire. L'État se tirerait vraiment une balle dans le pied. On gère un nombre incalculable de difficultés sur le territoire, qui vont remonter au plus haut sommet de l'État. Et on va cultiver encore cet état d'esprit qui dit qu'à Paris, ils sont vraiment hors-sol par rapport à la province.
En mars dernier, le parc rencontrait les agriculteurs, principalement des éleveurs, à L'Espérou (relire ici). M. Cligniez disait alors vouloir fluidifier les relations. S'améliorent-elles ?
V. Cligniez : On prend les dossiers un par un. On est content d'un résultat, cette histoire de chemin évoquée lors de la réunion (à l'estive de la Barraque neuve, NDLR). On a obtenu un accord oral de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) pour traiter le dossier nous-mêmes. Et on l'a fait. Et j'ai même eu les remerciements de l'éleveur, lors de la fête de la transhumance. Même si on a d'autres sujets à traiter avec lui, on avance. Après, sur le sujet du loup, on essaie d'améliorer la communication. Quand le parc a connaissance de la présence d'un loup, par un piège-photo ou autre, on le communique instantanément aux éleveurs pour leur permettre de se protéger. Cela n'empêche pas les attaques, il faut être très humble.
Le sujet de l'écobuage avait également été débattu...
V. Cligniez : On passe commande à notre conseil scientifique de travailler sur une objectivation de ce qu'est le brûlage pastoral. Les scientifiques doivent s'exprimer.
Sur les zones qui ont plus ou moins d'intérêt à être brûlées, vous voulez dire ?
V. Cligniez : Voilà. Ici aussi, c'est une question d'équilibre. Il faut trouver les moments où le brûlage pastoral est effectivement bénéfique - il y en a, et c'est reconnu, mais il faut qu'on le fasse savoir, y compris en interne au parc. Et aussi des moments où ça ne sert à rien. Le tout, en accord avec les arrêtés préfectoraux, Lozère ou Gard. Mais il faut qu'on aille sur le fond.