À Madrid, devant un public de fans et d’experts, il y avait le cinéaste Pedro Almodóvar. À Nîmes hier soir, il y avait le dessinateur et figure locale Eddie Pons. Et ce fut aussi magnifique !
Calentamiento
Pendant que le public s’installe sur les sièges rouges du théâtre de Nîmes, Rocío Molina est déjà sur la scène. Tenue de sport, chignon haut serré, elle enchaîne pompes, étirements, gainage, abdos… Elle sera la dernière à quitter la salle, les cheveux en bataille, emportée par ses frappes de pieds frénétiques, coups de talons, qui semblaient ne plus vouloir s’arrêter.
Et puis la danseuse et chorégraphe présente aux Nîmois connaisseurs, sa nouvelle pièce, Calentamiento (« échauffement »). Un tour de force, tant physique que technique et théâtral, jetant par-dessus son jupon à volants les clichés tout en restant magnifiquement flamenca.
Pablo Messiez signe la dramaturgie et Niño de Elche dirige la musique. L'artiste associée au Théâtre de Nîmes propose un spectacle rituel centré sur ses thèmes habituels. Le corps, la rupture des conventions, une énergie tournée vers la vie plus que vers la virtuosité.
Calentamiento est un rituel d’échauffement avant spectacle qui devient performance, cette répétition de gestes effectués continuellement pendant de longues minutes depuis qu’elle a sept ans. Une ode à la persévérance, 35 minutes consacrées à la “tabla de pies” (travail des pieds) deviennent un manifeste existentiel, l’essence même de la danseuse.
No hay guitarrista
Elle raconte, sous-titres en français grâce à un prompteur, la fatigue du corps, la douleur nécessaire à l’apparition du duende, l’artiste s’approche de l’épuisement physique. Et puis recommence, avec l'aide d'Oruco, José Manuel Ramos, en guise de coach.
Ici pas de guitare, mais une batterie qu’elle chevauche elle-même. La suite dévoile un espace plus onirique et plus fou. Molina glisse vers la danse plus classique et aussi vers une écriture scénique nourrie de silence, de voix parlée, de chant et de batterie. Autour d’elle, un dispositif de chaises empilées. Une colonne de verre abrite quatre cantaoras incroyables (Ana Polanco, Ana Salazar, María del Tango et Gara Hernández), et explose régulièrement en couleurs et en son, jusqu’à la rave-party.
On peut y voir une réflexion intime sur la solitude de la création, le cycle du travail, la douleur et la peur de s’arrêter, assimilée à la fin. La pièce célèbre aussi un flamenco en liberté, issu de la tradition, mais ouvert au risque, à l’expérimentation. Le Théâtre de Nîmes offre une performance physique, aboutie et absolument exceptionnelle, que l'on peut voir encore ce soir. « Eso es » !