Publié il y a 17 jours - Mise à jour le 28.01.2025 - François Desmeures - 5 min  - vu 2146 fois

FAIT DU JOUR À Anduze, Ergo Santé, entreprise adaptée à ses salariés, à ses clients et à son environnement

Dans l'atelier de la Manufacture des Cévennes

- François Desmeures

Créée à Anduze en 2012, Ergo Santé a été pensée par son fondateur, Samuel Corgne, comme un outil pour participer, à sa manière, à la société qui l'entoure. L'entreprise conçoit de quoi décharger et soulager les muscles et squelettes de ses usagers et compte, dans son atelier, 70% de personnel en situation de handicap. Samuel Corgne essaie de créer son "entreprise idéale", inclusive, responsable et actrice du tissu local. Et, surtout, toujours créative et réactive. 

Dans l'atelier de la Manufacture des Cévennes • François Desmeures

Ce n'est qu'au bout d'un bon quart d'heure d'entretien que Samuel Corgne donne les véritables raisons qui le font se lever le matin. Même si celles-ci transpiraient dans tous ses propos précédents. "Ce qu'on développe ici est un prétexte : j'ai essayé de créer mon entreprise idéale, rentable et utile pour les gens." Et l'expression "les gens", dans la bouche de l'entrepreneur, englobe plus encore les salariés que les clients. Au siège de la plaine de Labahou, à Anduze, ils sont 150 à oeuvrer dans les bureaux d'ingénierie et les ateliers de fabrication d'Ergo Santé ou de la Manufacture des Cévennes. La partie usine abrite 70% de travailleurs en situation de handicap. L'entreprise emploie directement 340 personnes en France, avec un autre site de production et une agence de commercialisation. "Cette entreprise, on peut s'y engager comme on le ferait en politique, ou dans le milieu associatif. C'est un outil", enfonce Samuel Corgne.

Samuel Corgne dans le studio aménagé pour les podcasts qu'il compte produire régulièrement • François Desmeures

Ergo Santé est, donc, un "simple" outil qui, d'Anduze, a d'ores et déjà révolutionné l'exosquelette. Ou plutôt le "dispositif d'assistance physique", tant le terme exosquelette donne le sentiment d'avoir basculé dans le salariat bionique. Il n'en est évidemment rien et le mot effraie autant que ce que le dispositif est léger à l'utilisation. Le modèle Hapo a ouvert les portes d'entreprises où les lombaires et les cervicales sont régulièrement sollicités, et pas forcément les plus évidentes. "Nos plus gros clients, en ce moment, ce sont les chirurgiens : certaines opérations durent assez longtemps, avec une position penchée vers la table. 70% des chirurgiens souffrent de troubles musculo-squelettiques." C'est localement que l'outil a d'abord pénétré les professionnels de santé, via Xavier Nicolay, de la clinique Bonnefon.

"Sur les six premiers mois de 2024, on était à 35% de croissance. Mais la dissolution est arrivée"

Samuel Corgne, PDG d'Ergo Santé

Et ce marché représente une manne importante à l'heure où l'activité se grippe, en raison d'une conjoncture très française. Depuis sa création, l'entreprise croît chaque année de 30 à 40%. "Sur les six premiers mois de 2024, on était à 35% de croissance. Mais la dissolution est arrivée", commente Samuel Corgne.

Dans l'atelier, 70% des travailleurs sont en situation de handicap, sans aucune influence négative sur la production, insiste Samuel Corgne • François Desmeures

Depuis, tous les achats publics sont bloqués, faute de visibilité. Soit entre 20 et 30% de chiffre d'affaires qui a disparu, du jour au lendemain. "On pousse à l'étranger, car il faut bien équilibrer le business." Ergo santé a eu le nez creux de créer une antenne en Caroline du Nord, il y a une paire d'années, avec des relais à San Diego ou au Kentucky. Un nez plus creux que pour la sortie du premier exosquelette de l'entreprise, lancé un certain jour de mars 2020, alors que la France entrait en confinement. Ce qui n'a, néanmoins, pas empêché que le talent de l'entreprise soit reconnu avec le temps. Et que la croissance s'en ressente très rapidement. 

10 000 exosquelettes vendus

La société en est désormais à 10 000 exosquelettes vendus, sur les six modèles qu'elle propose. Ce qui fait d'elle "la plus grosse boîte du monde" en la matière, avance, sans vantardise, Samuel Corgne. Deux nouveaux modèles doivent sortir ce premier semestre 2025. "Le besoin est là en entreprise, mais il y a encore beaucoup d'appréhension." Certaines craignent aussi, sans doute, le tarif de l'exosquelette. Qui reste pourtant relativement contenu, entre 1 500 et 3 000 € selon les modèles. "Mais si on veut fabriquer en France, c'est pour faire de l'excellence." Grâce à sa filiale américaine, Ergo Santé devrait bientôt intégrer le catalogue de "la plus grosse boîte mondiale de matériel de chirurgie" dont le PDG est originaire de... Florac. 

Ergo Santé élabore et produit tout sur place, à l'aide d'imprimantes 3D, ce qui permet d'adapter rapidement des modèles qui évoluent très vite, de faire des tentatives avant confirmation. "On doit avoir une approche probabiliste, précise Samuel Corgne, dans un marché encore peu matûre. L'imprimante injecte directement, dans la tige de l'exosquelette, de la fibre de verre, ou encore du kevlar. On veut que la tige soit iso-élastique, c'est-à-dire qu'elle ait la même résistance au début et à la fin du mouvement. Finalement, ce sont des systèmes simples, en décompléxifiant"... 

La mousse des fauteuils en cours de pose • François Desmeures

En installant dans les locaux d'Ergo Santé une salle d'analyse bio-mécanique, Samuel Corgne s'est là aussi attaché à décompléxifier son processus, en testant sur place les prototypes sortis de la tête de ses ingénieurs. "Avant, comme 100% des concurrents, on utilisait l'université pour nos tests. Mais on n'est pas dans le même espace-temps... On a besoin de résultats en 15 jours, c'est six mois avec l'université..."

La Porte des Cévennes, logo de la Manufacture • François Desmeures

Un couloir plus loin, les locaux d'Ergo Santé passent de la haute technologie à une usine plus classique, bien qu'à taille humaine et dans un bruit très contenu. Ici commence la Manufacture des Cévennes, cette entreprise adaptée qui ne se contente pas des 55% de travailleurs en situation de handicap nécessaires au statut, mais en compte 70%. Parce que "le chômage frappe deux fois plus les travailleurs handicapés que les autres, dans un région déjà très concernée par le chômage", analyse le PDG d'Ergo Santé. 

Trois modèles de fauteuils neufs sont produits par la Manufacture : Anduze, Espérou et Aigoual • François Desmeures

La Manufacture produit trois fauteuils neufs, préventifs ou curatifs - Anduze, Espérou et Aigoual - qui se vendent bien. Puis, Samuel Corgne s'est lancé dans une aventure qu'il ne regrette pas, mais qu'il cessera prochainement. Ce souci d'avoir eu raison trop tôt... "250 000 tonnes de sièges sont jetés chaque année. La loi AGEC (anti-gaspillage pour une économie ciculaire, NDLR) oblige désormais les entreprises à prendre 20% de réemploi. Alors on s'est mis à faire des sièges neufs avec des sièges d'occasion." 

De vastes lieux de stockage sont dédiés à ce qui a été collecté. "On a même remporté un appel d'offres de France Travail sur du mobilier reconditionné. Mais le marché est assez aléatoire, il n'intéresse personne." Et comme aucune sanction n'est prévue pour les entreprises qui ne respecteraient pas la loi, celles-ci continuent d'acheter très majoritairement du mobilier chinois. "C'est dommage, déplore Samuel Corgne. C'est de l'emploi local, pas délocalisable, écologique, etc..."

Des stocks de fauteuils usagés que l'entreprise remet à neuf • François Desmeures

Délocalisable, Samuel Corgne ne l'est pas non plus. Il a monté toutes ses entreprises avec sa compagne, ses enfants ont grandi dans les Cévennes, sa manufacture porte le nom du territoire, il subventionne les festivals Lol&Lalala et Jazzoparc d'Anduze, et se prend même à rêver de réussir à faire renaître une vieille industrie cévenole. Récemment, l'entreprise a acquis un métier à tisser en provenance d'Italie, mais selon les modalités fixées par la Manufacture. "Le but, c'est de refaire du tissu en Cévennes, s'enthousiasme Samuel Corgne. Du tissu d'ameublement, il n'en existe plus en Europe. Mais si le bois et le tissu sont français, moi, ça me parle." 

Malgré les difficultés conjoncturelles, les idées continuent donc de foisonner. En finissant de faire visiter son entreprise idéale en évolution, Samuel Corgne se rappelle juste de préciser que l'entreprise aménage des lieux de travail, a effectué "64 recutements l'an dernier" et a créé "une succursale de 50 personnes à Madagascar". Il évoque aussi, rapidement, une activité qui lui tient à coeur, lui qui est déjà très présent sur LinkedIn : la production de podcasts, notamment sur l'inclusion professionnelle. Comme un écho aux propos tenus en début de rencontre, deux heures auparavant : "On travaille sur les performances de l'entreprise mais, sa finalité, ça reste l'humain. Pour moi, l'emploi est le socle d'une vie sociale." Et, tout autant, du foisonnement créatif. 

François Desmeures

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