Economie
Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 05.06.2023 - François Desmeures - 5 min  - vu 865 fois

SAINT-ANDRÉ-DE-MAJENCOULES Les délices de l'Anatolie se dégustent sous la bannière "Mutfak"

Gürkan Aslan et Anouck Mangeat ont implanté leur atelier-boutique au bord de la RD 986 en direction de Valleraugue, à cinq minutes de Pont-d'Hérault, quelque trois cents mètres après la coopérative Oriogine Cévennes

- François Desmeures

Anouck Mangeat et Gürkan Aslan délivrent des plats aux parfums et épices de Turquie et de Grèce, au pied du mont Aigoual. Une cuisine apprise sur le tas dans différents pays par Gürkan, réhaussée par Anouck, et qui a trouvé son public. Parce qu'aller à la Mutfak, c'est aussi en apprendre sur d'autres cultures, à travers la gastronomie. 

L'atelier-boutique est ouvert deux fois par semaine, les mercredi et vendredi, et propose, en plus des spécialités cuisinées, des produits originaires de Turquie ou de Grèce  • François Desmeures

Diffiile de rater l'étal d'Anouck et Gürkan sur le marché du Vigan, le samedi matin. Devant l'hôtel de ville, c'est celui dont la file déborde largement ses limites, sans compter les gens qui attendent leur commande, en discutant à proximité. En moins de trois ans, la Mutfak a trouvé son public sans même avoir besoin de traduire son nom. Et l'expression "Cuisines d'Anatolie" qui accompagne le nom - dont Anouck craignait qu'elle n'éveille pas forcément les papilles pour ceux qui ne feraient pas le lien avec la péninsule occidentale de l'Asie - a soit bénéficié d'une bienveillance, soit, au contraire, réuni sur son nom, une référence au Levant. On y vient pour déguster différents mezze, mais aussi apprendre de nouveaux mots, comme börek, haydari ou gözlemés. Et découvrir ce que ces mots renferment. 

Des influences kurdes, turques, espagnoles, françaises, grecques, etc.

À commencer par l'enseigne, Mutfak, au-dessus d'une part de pastèque - "on a hésité avec la grenade", confie Anouck Mangeat. Un mot qui signifie tout simplement cuisine, "en même temps le lieu et la pratique. Mais plutôt une cuisine familiale." Parce que si le traiteur d'Anatolie du pied de l'Aigoual se sert auprès de producteurs locaux de qualité, très majoritairement bio, c'est avant tout une cuisine du quotidien que Gürkan et Anouck pratiquent et font connaître. Et comme beaucoup de cuisines populaires, celle-ci rivalise d'imagination pour combiner opportunément des ingrédients facile d'accès. Les börek, haydari, gözlemés ou kurabiye ont donc une base d'ingrédients abordables en Turquie ou en Grèce, comme des pois chiches, de la feta, des fruits secs ou des agrumes (lire encadré). 

Restait à mettre ce potager des dieux en musique, en forme et en mets. D'un côté Gürkan Aslan, kurde d'origine, mais né en Allemagne en 1977 et véritable citoyen européen quand son pays d'origine s'en éloigne de plus en plus. Retourné dans ce sud-est de la Turquie qu'est le Kurdistan pour ses années de collège et lycée, il s'installe ensuite à Istanbul et rencontre "des gens de toutes sortes" alors qu'il passe un CAP d'électricien. "Je n'ai jamais aimé", tranche-t-il. La sortie de secours prend la forme de sa cousine, de trente ans son aînée "qui tenait une meyhane - c'est comme une taverne grecque, très fin en gstronomie - et m'a pris pour faire des courses. Elle m'a appris ce que sont les mezze." Gürkan devient serveur. "Mais quand je les voyais cuisiner, j'avais envie d'être avec eux." 

Petit lexique de gastronomie d'Anatolie servie à la Mutfak

Si l'houmous est une purée de pois chiches à la crème de sésame bien connue, et qui s'assaisonne selon ses désirs, d'autres noms rencontrés à la Mutfak sont bien plus obscurs. Comme l'Haydari, un yaourt crémeux assaisonné à la menthe et à l'aneth. Le nom est connu mais pas forcément la composition : les falafels sont des boulettes frites de pois chiches aux épices, recouvertes de sésame. Les Börek sont des cigarettes roulées et frites, fourrées à la feta et aux herbes. Les Gözlemés sont des galettes kurdes fourrées avec des ingrédients salés, comme des pommes de terre et des poivrons, ou de la feta et des herbes. Côté dessert, le baklava - un millefeuille aux noix, arrosé de sirop de fleurs d'oranger - fait évidemment penser à une pâtisserie marocaine. Alors que l'Hurma se présente comme un muffin moelleux à la datte et aux graines de courge. Le reste est à découvrir directement à la Mutfak.

Il commence alors à laver la salade, à couper des oignons, "à faire des boulettes de lentilles ou à préparer du tzatziki". Une introduction au métier de cusinier, écourtée quand Gürkan doit repartir vers l'Allemagne, où il retrouve son père. "Il m'a appris les tapenades, à préparer les olives, les épices qu'il faut mélanger pour les marinades, ainsi que la façon de cuisiner les légumes." 

"La cuisine d'Anatolie est vraiment un mélange"

Anouck Mangeat

Une invitation au voyage, à base de mets d'une région qui a toujours été un carrefour entre Europe, Moyen-Orient et Asie. Si la gastronomie offre un voyage, celui d'Anatolie est multiculturel. Gürkan va faire de même : en retournant à Istanbul, il rencontre une Espagnole et part cuisiner aux Baléares. Soit huit années à apprendre "le reste du métier". C'était avant la rencontre avec Anouk, à Istanbul à nouveau, tandis qu'elle vivait un coup de foudre pour la Turquie. Les deux viennent finalement à Paris, où "tous les cuistots du monde rêvent d'aller travailler". Mais si on lui propose un CDI sur place, Gürkan trouve Paris trop cher et se verrait bien à la campagne. Après des visites en Ariège ou à Granville, "en arrivant, on s'est dit c'est ici", rembobine Anouck Mangeat. 

Le Portakal, un gâteau très moelleux aux oranges et pamplemousses confits et poudre d'amande, et à l'esthétique appétissante • François Desmeures

"En 2009, j'étais en voyage en Grèce, se souvient Anouck Mangeat pour raconter sa moitié de l'histoire. Je voyais la côte turque." Elle franchit alors le détroit du Bosphore pour un séjour... "Je suis un peu tombée amoureuse. J'ai passé beaucoup de temps à la campagne en Turquie. J'étais en Capadoce mais je n'ai pas vraiment visité." Anouck découvre plutôt la cuisine et rencontre Gürkan "et ses amis musiciens, qui jouaient dans la rue", elle qui a suivi une école de musique en région parisienne. "Ils avaient un grand appartement, on a fait beaucoup de musique et beaucoup de cuisine." Entre 2010 et 2013, ils travaillent à aider un ami dans la restauration de vieux appartements. Anouck Mangeat se souvient qu'elle a pratiqué la réalisation de films et se lance dans un documentaire sur les migrants dans leur parcours entre la Grèce et la Turquie (1).

Un tressage de poivrons et d'aubergines séchés • François Desmeures

Mais depuis leur installation dans le Gard, la cuisine est le fil conducteur. En travaillant notamment dans le restaurant d'un foyer pour jeunes mineurs isolés de Salagosse, pendant deux ans. En passant un CAP cuisine en validation d'acquis... "On a aussi construit un four à pain chez nous, on a fait goûter autour de nous. Et les gens nous disaient "il faut que vous lanciez votre truc." Les confinements successifs ont permis au couple d'affiner ses recettes. Et la Mutfak a vu le jour, au départ grâce au fourgon du frère de Gürkan. Et, désormais sous un toit en dur, dans ce mazet du bord de la RD 986 qui monte à l'Aigoual par Valleraugue. Une ancienne épicerie de vente de produits du terroir que le couple a transformée et qui vient valider le succès de la Mutfak sur les festivals où leur cuisine s'est promenée (2). "L'épicerie nous permet de rapporter des choses particulières de Turquie ou de Grèce."

Deux pays qu'on dit en conflit larvé mais à la gastronomie souvent proche, même si les noms diffèrent. Avec quelques inspirations balkaniques et surtout kurdes, qui forment l'essentiel de la cuisine de la Mutfak. "La cuisine d'Anatolie est vraiment un mélange", confirme Anouck, qui relève aussi que les ingrédients, entre Grèce et Turquie, "sont souvent les mêmes, tout comme la façon de sécher les aubergines". Gürkan introduit aussi des touches de "cuisine ottomane ou française". De quoi confirmer que, comme la musique, la gastronomie est bien vecteur de communion entre des peuples dits irréconciliables. Gürkan et Anouck, qui partagent les deux, en savent quelque chose et se chargent de diffuser cette idée auprès des autres. Sous cette forme, c'est un régal..

(1) Et nous jetterons la mer derrière vous (2014) réalisé en collaboration avec Noémi Aubry, Jeanne Gomas et Clément Juillard. . 

(2) La boutique est ouverte le vendredi, entre 11h et 19h30. 

www.facebook.com/la.mutfak/ et www.instagram.com/la.mutfak/ Tél. : 06 95 93 34 70

François Desmeures

Economie

Voir Plus

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio