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Publié il y a 1 an - Mise à jour le 27.06.2023 - François Desmeures - 6 min  - vu 318 fois

LE DOSSIER Mammouth de Durfort : l’indispensable restauration d’un colosse aux os fragiles

La restauration a pris place dans le hangar de taxidermie du Jardin des Plantes.

- Romain Cura

L'usure naturelle, le chauffage au charbon, la pollution automobile... Difficile pour un squelette de mammouth préhistorique, exposé 120 ans durant sous ce régime et des verrières majestueuses, de conserver sa teinte initiale. Quand le mammouth de Durfort est démonté pour restauration, en juin 2022, il est marron, cuivré diront les plus admiratifs. Si la souscription est lancée, c’est bien que tout le monde s’accorde à dire qu’il ne s’agit pas d’esthétique, mais bien de sauvegarde.

Non, la galerie de paléontologie et d’anatomie comparée du Muséum national d’histoire naturelle n’a tout de même pas été construite autour du mammouth, bien qu’il en constitue une pièce maîtresse lors de son ouverture, en 1898. « Mais la place du mammouth dans la galerie de paléontologie, et même au sein du Muséum national d’histoire naturelle, est importante », résume Cécile Colin, justement responsable de la galerie de paléontologie et d’anatomie comparée. Et le projet de restauration a même permis de mieux prendre la mesure du rôle joué par le squelette en son temps, à la faveur de nouvelles recherches dans les archives. « Parce que, finalement, poursuit Cécile Colin, il participe aux arguments du XIXe siècle en faveur de la construction de la galerie de paléontologie : quand le mammouth arrive - il est acquis dès 1872 par la Muséum national mais ne sera exhumé qu’après, NDLR - la galerie n’existe pas. »

Le mammouth de Durfort réintègre la galerie de paléontologie du Muséum national d'Histoire naturelle

Seulement, le colosse qui rejoint la capitale, réparti dans 33 caisses, n’est pas n’importe qui. Il est le premier Mammuthus meridionalis retrouvé complet dans le monde, qui plus est exhumé du sous-sol national.

« Le directeur du Muséum d’alors, par ailleurs professeur de paléontologie, affirme "on a le plus beau spécimen, il n’en existe nulle part ailleurs, et nous n’avons même pas une endroit digne de ce nom pour le présenter au public. Il faut absolument que le Muséum se dote d’un lieu correct pour présenter ce mammouth" , retranscrit Cécile Colin. À l’époque, « les squelettes de plus de deux mètres de haut se comptent sur les doigts d’une main. On possède surtout des parties de squelettes ou des invertébrés. » Le mammouth s’impose d’entrée comme la pièce maîtresse de la galerie. Depuis, il a été rejoint par des dinosaures aux proportions importantes. Mais il conserve une place à part, « de par son positionnement dans la galerie : on le voit beaucoup et il reste très important ». La découverte d’un socle unique lors du démontage, qui intégrait des roulettes afin de le déplacer, laisse supposer qu’on entendait bien lui conserver ce rôle central.

Autant d’arguments qui renforcent la volonté de redonner un coup de jeune au vestige. En juin 2022, un an et demi après le lancement de la souscription - qui couvrira un peu plus de la moitié des 370 000 € nécessaires à la restauration - le défi est avant tout technique, parce qu’on sait que le squelette est endommagé et que ce nouveau transport ne doit pas participer à son usure accélérée. Mais aussi parce que la galerie a ses propres contraintes. « Le démontage a donné lieu à un peu de casse, mais bien maîtrisé par les équipes à l’œuvre. » Une étude préalable s’était chargée de montrer les fragilités sur les 200 os du mammouth, fragilités parfois nées de la découverte même, alors que le mammouth était resté près de trois ans à l’air libre, la guerre de 1870 s’imposant comme prioritaire dans les affaires de l’État au sens large. Une colle à base de blanc de baleine fut d’ailleurs la première intrusion d’un matériau extérieur pour permettre la consolidation de certains os, avant leur voyage vers Paris. « Mais la restauration d’origine avait souffert, appuie Cécile Colin, elle a plus de 150 ans. »

L'entreprise Aïnu a conservé une part de l'armature initiale réalisée dans un acier désormais obsolète. • Romain Cura

« Tout ce qu’on utilise doit être stable et réversible », Xavier Llerena, restaurateur.

« Pour restaurer au mieux un ossement, il faut le démonter, le dé-socler. D’ailleurs, au début de la restauration, les équipes craignaient de dé-socler les côtes et les défenses, qui étaient très fragiles et sensibles, se souvenait Cécile Colin en décembre 2022. Au fur et à mesure du travail et de leur connaissance des matériaux, ils ont maîtrisé le démontage. » Cette maîtrise n’empêche pas que certains os soulèvent alors de vastes questions, « comme ceux qui avaient déjà été fragilisés dès le montage de 1876 et avaient été resculptés en bois, notamment des côtes et des vertèbres. Toutes les fissures ont été curées. Les matériaux de comblement ancien, qui ne tenaient plus ou n’étaient pas esthétiques, ont été enlevés et les restaurateurs ont comblé avec de nouveaux matériaux. » La satisfaction de Cécile Colin - alors qu’elle assiste à la restauration dans le hangar de taxidermie du Jardin des Plantes parisien - tient aussi au fait qu’il n’y a « pas eu de remplacement d’os par des moulages ou des tirages. Tout a été sauvé, et parfois comblé ou complété. »

"On ne restaure pas un mammouth tous les jours"

« Il reste beaucoup d’os originaux », tempère Xavier Llerena, restaurateur d’oeuvres d’art qui a travaillé sur les ossements, des restitutions en bois ou en plâtre, ainsi que des collages du XXe siècle à la cire animale, au plâtre et à la filasse. Pour restaurer un ensemble hétérogène, il a fallu « comprendre, trouver la méthodologie. Parce qu’on ne restaure pas un mammouth tous les jours, sourit Xavier Llerena. Il faut solutionner les problèmes, sans altérer la matière. On essaie de conserver les anciennes restaurations. » Un travail d’adaptation plutôt que d’invention de nouvelles méthodes. « C’est pour ça qu’on est une équipe pluridisciplinaire, vante Xavier Llerena, de restaurateurs en archéologie, restaurateurs en peinture chevalet et restaurateurs de sculptures. Comme ça, on se pose des questions entre nous pour trouver des solutions. Tout ce qu’on utilise doit être stable et réversible. »

La stabilité - côté physique - était aussi, cet hiver, l’une des préoccupations de Yann Troël, socleur pour la société Aïnu. En décembre 2022, l’équipe s’attelait à l’armature, alors que le mammouth devait, dans un premier temps, retrouver la galerie fin février. « C’est une restauration par adaptation, parce que la structure est vieille. » Ainsi, les difficultés rencontrées ont pu prendre plusieurs aspects : « Ça peut être le métal utilisé, poursuit Yann Troël. C’est un acier qu’on ne trouve plus aujourd’hui, de fabrication certainement française du XIXe siècle. Il est très mou et très peu carburé. » Si cet acier ne s’utilise plus aujourd’hui, « il peut nous arranger pour être retravaillé, justement parce qu’il est plus mou. Mais ça peut avoir quelques incidences structurelles : il sera un peu moins résistant que les sections qu’on va utiliser de nos jours. C’est cet aspect qui nous a interpellés de prime abord. »

Le squelette est un assemblage de fossiles, de bois et de résine qui est présenté sous un nouvel assemblage. • Romain Cura

« Le plus visible de notre travail reste les interfaces, enchaîne Yann Troël. Avant, la structure était directement en contact avec les os et comportait cinq couches de peinture au plomb. » Le métal a été mis à nu. « La structure est plutôt saine », se félicite le socleur, dont l’équipe a démonté le squelette sous l’oeil des restaurateurs « qui étaient là pour nous dire où ça pouvait casser ». Aïnu se charge donc d’améliorer « la structure existante » en conservant « l’armature typique ». Autre modification, « le point de vue esthétique du soclage n’est plus du tout le même », constate Yann Troël. Scientifique non plus, d’ailleurs, puisque le mammouth n'a pas été réinstallé dans la même position, le mardi 27 juin. « On a eu des retouches à faire sur son socle, confirme Yann Troël, notamment au niveau des côtés. » Les pattes n’étaient effectivement pas installées dans une position naturelle, et c’est dans une démarche à l’amble que le mammouth a retrouvé son podium, le 27 juin. « On doit donc intervertir certaines pattes. »

Dernière difficulté du remontage, que les équipes ont déjà dû affronter lors du démontage de fin de printemps, et qui fait de ces deux moments « une prouesse matérielle, technique et humaine », selon Cécile Colin : « On peut très peu s’aider de moyens et de machines dans la galerie. Pas de nacelle, pas de grue élévatrice. » Le remontage devra donc se faire, comme le démontage, grâce à « un grand échafaudage, tout autour de la structure, qui devra être plus grand que le mammouth. Et tout se fera à bras d’homme, comme pour la descente. »

Si la galerie a donc « quasiment été construite autour du mammouth », s’amuse Cécile Colin, il n’en est pas moins contraint de s’adapter à un voisinage lui aussi prestigieux.

François Desmeures

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