AUTOUR DES ARÈNES Joachim Cadenas : "La tauromachie ne doit pas être un spectacle, mais un culte"

Joachim Cadenas dans les vestiaires des arènes de Beaucaire.
- S.MaChaque vendredi de l'été, Objectif Gard & Arles vous emmène à la rencontre de ceux qui font battre le coeur de la tradition camarguaise. Pour ce quatrième épisode, nous avons suivi le raseteur Joachim Cadenas, à l'occasion de la première journée de la Palme d'Or à Beaucaire, le 13 juillet dernier.
À 30 ans, Joachim Cadenas n’est plus simplement un nom dans le monde de la course camarguaise, il en est l’un des visages les plus emblématiques. Avec un palmarès impressionnant — Palme d’or, Muguet d’or, Biche d’or, Cocarde d’or (gagnée à sept reprises), Trophée des As en 2016 et 2018 — le raseteur originaire de Mas-Thibert continue de dominer les arènes, porté par l'amour du taureau et cela depuis tout petit. « Raseter, c’est une façon de vivre », affirme Joachim Cadenas. "Il ne s’arrête jamais, il est inépuisable. Peut-être que dans une autre vie, il a été taureau", soumet son tourneur, Cédric Miralles. Les deux hommes forment un duo en piste depuis trois ans. « Je suis là pour le libérer dans sa tête. Joachim crée des rasets là où d’autres n’oseraient jamais passer. Il voit les lignes, comprend la trajectoire du taureau, ressent l’instant", témoigne Cédric, lequel a tremblé plus d'une fois pour lui. Leur complicité est indéniable, elle s'est encore illustrée dans les arènes de Beaucaire, lors de la première journée de la Palme d'Or 2025.
Un pack de six bouteilles d'eau à une main, son sac suspendu à l'épaule, Joachim Cadenas passe la porte des arènes, côté toril, une heure avant la course. Dans son regard déjà, la détermination, la concentration. Après un bref passage dans les vestiaires, le raseteur passe à nouveau la porte des arènes, "j'ai l'habitude de m'échauffer à l'extérieur." Il n'est pas le seul, Belkacem Benhamou le croise, celui-là porte un casque sur ses oreilles. La séance durera 25 minutes, gagnant au fur et à mesure en intensité, afin d'éveiller les muscles, mais aussi le cerveau avant de rentrer en piste. Dans ces arènes - qu'il côtoie depuis son plus jeune âge, lorsqu'il venait chez ses grands-parent - il se sait attendu par un public de connaisseurs, intransigeant. "Où que ce soit, indique Cédric Miralles, Joachim remplit les arènes avec son nom, c'est à la fois une reconnaissance et une pression", car en cas de faux pas, on ne l'épargnera pas, les spectateurs, comme les taureaux d'ailleurs.
Mais Joachim n'est pas homme à se lamenter sur son sort, dans les arènes comme à l'extérieur, il assume les conséquences de ses actes. Il est le premier à avoir un regard critique sur sa personne. Tenez, par exemple, lors de la Cocarde d'Or 2025 à Arles. Le Mas-Thibertais s'était exprimé en piste et face au président de course, en désaccord avec certaines de ses décisions. Mais quand il refait la course, Joachim Cadenas concède ne pas avoir été à la hauteur, "je sais que je peux faire beaucoup mieux et j’ai hâte de retrouver les arènes d’Arles pour la prochaine Cocarde d’Or et la remporter." Des mots révélateurs d’un esprit de compétition affirmé et assumé. Aussi parce que cette passion est exigeante, sur le sable comme dans la vie. Le quotidien de Joachim Cadenas tranche avec celui des jeunes hommes de son âge. "Tous mes amis sortent, profitent des beaux jours, des repas en famille. Moi, je me couche tôt la veille des courses, je surveille mon alimentation, je ne marche pas trop les jours précédents." Une discipline stricte qu'il s'impose et accepte sans regret. Chaque course est un engagement total, physique et mental. Cette quête du raset parfait, de la charge idéale, le pousse à toujours se surpasser, "ces charges me procurent énormément d’émotion."
L'émotion, il la retrouve dans ses souvenirs d'enfance, son premier raset à 6 ans, face à un veau, à Mas-Thibert dans des arènes portatives, "mon père n'était pas très content", sourit-il. Le garçon a passé beaucoup de temps sur les terres de la manade Albert Chapelle, entre autres. Et puis, il y a eu ces rencontres avec les éleveurs de taureaux espagnols et camarguais, initiées par Rachid Ouramdane dit "Morenito d'Arles", pendant les vacances scolaires. "Ça a été un tremplin car ça m’a permis de rencontrer Jacques Mailhan, se souvient-il. Ça a nourri ma passion."
Aujourd’hui, Joachim - lequel travaille aussi bien ses rasets que les passes de corrida - s'applique à la transmettre auprès des plus jeunes, en participant à des ateliers pédagogiques, comme à l'école de Gimeaux au mois de mai dernier. Selon le raseteur vedette, l’avenir de la course camarguaise repose non pas sur la défense, mais sur la transmission. "Il existe un noyau de personnes qui véhiculent une image stéréotypée, éloignée de ce qu’est réellement la course camarguaise. Je pense qu’en transmettant les choses avec sincérité et pureté, on peut toucher beaucoup de monde. Les professionnels taurins aiment profondément les taureaux." Et le même de poursuivre : "La tauromachie ne doit pas être un spectacle - on doit le respecter le taureau, le vénérer - mais un culte. C’est un jour de fête, un jour exceptionnel. À travers cela, il s’agit aussi de respecter les hommes qui entrent dans l’arène, que je considère comme des héros."