Publié il y a 1 an - Mise à jour le 20.12.2022 - Corentin Migoule - 6 min  - vu 1230 fois

FAIT DU SOIR "La justice est-elle laxiste ?" : la remise en question des magistrats alésiens

tribunal Alès

Céline Simitian et François Schneider ont coprésidé ce conseil de juridiction. (Photo Yannick Pons)

Alors que les États généraux de la justice ont pointé une "réponse pénale et une sévérité croissante" de l'institution, de nombreux citoyens continuent de la percevoir comme trop permissive. Ce vendredi 16 décembre en matinée, à l'occasion d'un conseil de juridiction annuel, les magistrats du tribunal d'Alès et des élus locaux ont planché sur la question suivante : "La justice est-elle laxiste ?"

Selon un rapport de l'Institut de sondage CSA pour le Sénat datant de septembre 2021, 69% des sondés estimaient que la justice est "tout à fait ou plutôt laxiste". Pas moins de 49% des personnes interrogées jugeaient par ailleurs que les sanctions des meurtres et assassinats sont "assez mal ou très mal adaptées", au même titre que celles des délits financiers (65%), des délits et crimes à caractère sexuel (66%) ou des faits de petite délinquance (70%).

Alors, laxiste et trop permissive notre justice ? Ce vendredi 16 décembre, les magistrats du tribunal judiciaire d'Alès ont tenté de répondre à cette vaste question à l'occasion d'un conseil de juridiction annuel prévu par le Code de l'organisation judiciaire. "C'est un sujet un peu taquin proposé par un greffier", a entamé Céline Simitian, présidente de la juridiction alésienne et chargée d'introduire l'avant-propos devant une poignée d'élus locaux et le sous-préfet Jean Rampon. 

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Céline Simitian et François Schneider ont coprésidé ce conseil de juridiction. (Photo Yannick Pons)

Estimant que la presse peut parfois retranscrire une réalité de la justice "parcellaire", celle qui est aux commandes du palais de justice alésien a d'abord cité un confrère en la personne d'Alexandre Rossi, ex-substitut du procureur de Nîmes qui, dans son nouveau livre 50 idées reçues sur la justice, consacre un chapitre à la thématique étudiée ce jour : "La justice est toujours trop sévère pour le condamné et rarement assez pour la victime. En réalité, elle n’est ni sévère ni laxiste, elle est l’application de la loi."

Des lois votées par les sénateurs et les députés qui, au grand dam du procureur de la République, étaient aux abonnés absents ce vendredi bien qu'invités et attedus. François Schneider et Céline Simitian ne voulaient pas "accabler de chiffres" la maigre assistance seulement composée de deux maires (celui de Cendras et celui de Sumène), mais en ont tout de même distillé quelques-uns. 

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Il n'y avait pas foule dans l'assistance ce vendredi. (Photo Corentin Migoule)

Notamment ceux d'Infostat Justice qui rapportent qu'au 31 décembre 2021, 82 000 personnes étaient écrouées en France, contre 36 000 en 1980. 46% des condamnés le sont pour des faits de violence. Sur l'ensemble des délits, les agressions et violences sexuelles sur mineurs sont les plus sévèrement condamnées (quatre ans ferme ou plus pour la moitié des condamnés). Pour les crimes qui concernent un quart des personnes condamnées, ce sont les homicides (la peine ferme médiane est de 18,5 années).

En toute fin d'avant-propos, et alors que le procureur de la République allait se charger de présenter l'activité alésienne, la présidente du tribunal judiciaire a livré une dernière série de chiffres édifiante : "Le taux d'occupation de la maison d'arrêt de Nîmes est de 218%. Cela signifie que 70 personnes dorment sur des matelas à même le sol, à trois dans des cellules de 9 m2." Et Céline Simitian d'admettre que, dans ces conditions, "un retour à une sociabilité courtoise est compliqué."

Ce n'est donc pas tout à fait un hasard si, plus tôt, la dernière nommée s'était autorisée une comparaison avec le nord de l'Europe où "la tendance est à la fermeture des prisons et à des solutions alternatives", tandis que "chez nous, l'opinion publique est toujours dans une culture de l’emprisonnement et considère que toute autre peine est invisible au point d'être considérée comme un cadeau, malgré la surpopulation carcérale et ses conséquences sur l'efficacité de l'emprisonnement."

L'activité du tribunal d'Alès en hausse

Ces points abordés, il s'est agi pour François Schneider de donner à l'auditoire l'occasion d'apprécier le travail des magistrats du siège qui militent pour un renfort. Et pour cause ! Après avoir enregistré 9 687 procédures pénales en 2018, leur nombre a bondi pour atteindre 12 651 en 2021 (soit une augmentation de l'ordre de 30%). Dans le même intervalle de temps, 60 comparutions immédiates ont été réalisées (+88%).

De l'aveu du procureur de la République d'Alès, plus de 70% des plaintes sont classées sans suite. Le dernier nommé évoque un chiffre quelque peu tronqué par le fait que les services de police et de gendarmerie ont ordre de recevoir systématiquement toutes les plaintes, y compris celles relevant de faits dont ils savent d'emblée qu'ils ne pourront être considérés comme une infraction pénale.

"L'exemple typique, ce sont les injures entre voisins", a lancé François Schneider. Et d'ajouter : "À l'époque ça se traduisait par une brouille sur trois générations mais ça n'allait pas plus loin, aujourd'hui les gens viennent porter plainte." Dans la même veine, celui qui est aussi père de famille constate que "de nombreux parents déposent plainte parce que leur gosse a pris une gifle par un autre gosse à l’école primaire, alors qu'à l’époque ça se réglait autrement."

"On a la justice qu’on mérite"

De quoi faire exploser l'activité judiciaire des magistrats alésiens qui ont par ailleurs vu d'un bon œil la mise en place sur l'Agglo de la médiation canine via le CISPD (relire ici). Pour ces différentes raisons mises en concordance avec le contexte local et la difficulté de rendre justice à trois magistrats du siège, là où les ratios européens indiquent qu'ils devraient être neuf, François Schneider et Céline Simitian affirment que la justice, tout au moins alésienne, n'est "pas laxiste"

"Le législateur l'est peut-être, mais pas nous", a enfoncé le procureur de la République, qui a trouvé en Christophe Rivenq un allié de circonstance. "Le travail des magistrats du tribunal d’Alès est visible et vu des citoyens", a martelé le patron de l'Agglo. "On a la justice qu’on mérite, la justice qu’on décide. C’est la responsabilité des politiques à 200% !", a scandé celui qui a eu "la chance" d'être juré d'assises dans sa jeunesse, lequel dit avoir "saisi le Garde des Sceaux" pour réclamer un quatrième magistrat du siège. 

"De par mes fonctions, il ne m’appartient de commenter les décisions de justice", a quant à lui fait valoir le sous-préfet de l'arrondissement d'Alès. Mais Jean Rampon y est malgré tout allé de son analyse : "La justice n’a pas à être laxiste ou pas laxiste. Elle doit être juste et professionnelle." Bâtonnier de l'ordre des avocats d'Alès, Olivier Massal en a fait de même : "Une décision de justice bien rendue est acceptée. Or, aujourd’hui, on a l’impression que la justice pénale est très mal rendue. La société réclame de la rapidité et de l’efficacité. Il nous faut trouver un équilibre : ne pas juger trop vite, mais ne pas juger trop tard."

"Tout le monde a l’impression que la justice est laxiste"

Tout ouïe pendant près de deux heures, Sylvain André, maire de Cendras, a eu le temps de mûrir ses interventions, lesquelles se faisaient l'écho des élus de la ruralité. "Les maires, on est en première ligne au quotidien. Je constate l’augmentation de l'intolérance envers son voisin. Idem à l'école avec son camarade de classe. Les tensions montent et c'est un peu inquiétant. À l’époque, dans le village, le prêtre, l’instituteur et le docteur jouaient un rôle. Aujourd’hui le maire est seul."

Après quoi, l'élu cendrasien a mis les pieds dans le plat en brandissant un cas concret. "Quand on retrouve des stupéfiants et une arme chez un individu avec ses empreintes dessus, qu'il est déjà connu de la justice, qu'après trois mois de prison il ressort et recommence, crame la voiture de sa compagne et est toujours en liberté, à Cendras, tout le monde a l’impression que la justice est laxiste."

Tel le "néophyte" qu'il est en matière de droit, le dernier nommé a donc posé une question simple : "Y a-t-il des possibilités d’éloignement de nos villages d’individus fauteurs de troubles comme lui qui fait peur à tout le monde ?" Sylvain André a sans doute accusé le coup. "On respecte la gradation des faits. On ne peut pas sortir le marteau-pilon dès le départ", lui a rétorqué le procureur de la République, lequel concède que les prisons françaises sont remplies de récidivistes car "tout est fait avant pour éviter l'emprisonnement". 

"On n’a jamais autant communiqué"

À l'heure d'esquisser quelques pistes pour redorer le blason de la justice française, le sous-préfet d'Alès a mis les professionnels du droit sur la voie de la "rédemption". "La justice ne communique pas. Vous laissez la communication aux autres !", a relevé Jean Rampon, qui estime également que "les sources du mal résident bien souvent dans le trafic de stupéfiants, directement ou indirectement".

"En théorie, le seul communicant de notre justice, c’est notre ministre !", s'est "défendue" Céline Simitian. "On n’a jamais autant communiqué. On a tous (les magistrats, Ndlr) des comptes Twitter", a rebondi François Schneider,  mettant par ailleurs en exergue les contraintes liées au devoir de réserve.

"On ne remet pas en cause le travail de son garagiste"

Silencieuse durant la quasi-intégralité des débats, Élisabeth Simonneau-Fort, juge des libertés et de la détention, a pris un peu de hauteur pour livrer une réflexion aux airs de conclusion : "Prendre une décision de justice, c’est aussi faire un pari. Le pari que tel ou tel individu ne mérite pas l’incarcération car il y autour de lui suffisamment de garanties (le fait qu’il soit inséré socialement par exemple, Ndlr) pour espérer qu’il ne recommence pas."

Et la vice-présidente du tribunal d'Alès d'étayer : "Quand les gens réclament une réponse pénale, ils sous-entendent implicitement qu’il faut un emprisonnement. Mais il y a plein d’autres alternatives. Payer une grosse amende quand on n’a pas beaucoup d’argent, c’est une réponse pénale. Être condamné à du travail d’intérêt général, c’est une réponse pénale. Il faut avoir confiance dans les magistrats, car c’est leur métier. On ne remet pas en cause, ou du moins pas aussi souvent, le travail de son garagiste."

S'il a fait émerger des évidences, dont le désir des magistrats de disposer de "plus de moyens", ce qui n'est pas tout à fait nouveau (relire ici), ce conseil de juridiction fécondera peut-être des solutions. Quoi qu'il en soit, "c’était un sujet courageux" a reconnu le sous-préfet.

Corentin Migoule

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