Publié il y a 1 mois - Mise à jour le 04.03.2024 - Marie Meunier - 4 min  - vu 697 fois

FAIT DU JOUR Une partition "sans équivalent dans le monde", étudiée à Villeneuve-lez-Avignon

Une telle partition ciselée dans une cloison serait "sans équivalent dans le monde".

- photo service communication Ville de Villeneuve-lez-Avignon

Depuis quelques mois, Lawrence Earp, musicologue et professeur émérite de l'université de Wisconsin-Madisson aux État-Unis, s'intéresse à Villeneuve-lez-Avignon. Et plus particulièrement à une partition musicale incisée sur une cloison du palais de la Thurroye sept siècles plus tôt. Aux dires des spécialistes, il n'y aurait pas d'autre équivalent identifié dans le monde. 

On surnomme Villeneuve-lez-Avignon la cité cardinalice. Ce n'est pas pour rien. Au temps où la papauté était installée à Avignon, juste de l'autre côté du Rhône, la commune gardoise était un lieu de villégiature pour les cardinaux et leur suite. Plusieurs livrées cardinalices ont été construites et étaient occupées quelques mois par an. L'un des édifices les mieux conservés en termes d'architecture est peut-être le palais de la Thurroye. Bâti à la moitié du XIVe siècle, il se situe un peu en retrait de l'actuelle rue de la République. On distingue encore bien aujourd'hui les quatre corps de logis qui composaient sa forme primitive. À l'époque, l'édifice pouvait accueillir de grands banquets dans sa salle de réception. Il a été occupé d'abord par Bertrand de Deaux, cardinal de Saint-Marc, puis par Guy de Boulogne, oncle par alliance du Roi de France Jean II le Bon, et par Pierre de Thurroye, nommé cardinal en 1385 par Clément VII et qui lui donna son nom. 

La livrée de la Thurroye a été édifiée vers 1340 par le cardinal de Deaux. • photo DR

Sept siècles plus tard, le bâtiment accueille des habitations. Mais l'aile Nord-Est, inscrite aux Monuments historiques, était vacante. Les différents espaces de cette aile ont été redéfinis par les propriétaires successifs. Les derniers occupants avaient installé leur magasin et atelier de menuiserie. L'édifice vétuste se dégrade et présente aujourd'hui un état d'altération conséquent avec d'importants désordres structurels et sanitaires. Les décors peints et graffitis gravés n'ont été ni entretenus, ni protégés. La Mairie a décidé d'acheter l'aile Nord-Est en 2021, avec le projet d'y installer les nouveaux locaux de l'école de musique. Leurs murs actuels sont devenus trop exigus pour accueillir les 320 élèves.

Deux rondeaux polyphoniques à trois voix ciselés dans la cloison

Coïncidence ou clin d'œil du destin, ce bâtiment avait déjà au temps des papes un lien très étroit avec la musique. C'est tout l'objet de l'agitation scientifique qui secoue Villeneuve-lez-Avignon depuis quelques mois. En effet, à l'intérieur du palais de la Thurroye a été trouvée une cloison de 7m de large, faite de bois et de plâtre. Dessus, ont été identifiés 45 signes que décrit Caroline Kuczynski, responsable du patrimoine à Villeneuve : "Des inscriptions en vieux français de belle facture, des portraits, des animaux caricaturés, quelques blasons, des symboles épars. Tout est mélangé sur une partie de la cloison comme si c'était un brouillon. Et puis, sur les deux derniers panneaux, on a une partition de chant."

Au total, 45 signes ont été identifiés sur cette cloison.  • photo service communication Ville de Villeneuve-lez-Avignon

Il s'agit plus précisément de deux rondeaux polyphoniques à trois voix constitués de notes et de paroles. "Ces rondeaux sont profanes. On aurait pu s'attendre à une musique sacrée. Ce n'est pas très gai, un peu sordide même. C'est quelque chose d'élaboré qui, à l'époque, a dû être réalisé par quelqu'un d'assez éduqué, ce qui n'est pas étonnant car nous nous trouvons dans un palais cardinalice", rebondit Pascal Crépin, conseiller municipal villeneuvois délégué au Patrimoine. Caroline Kuczynski précise : "Il y a deux panneaux : un avec un rondeau clairement identifié avec la musique, et un autre où la musique est plutôt en train de s'écrire avec des notes qui se superposent. Là aussi, c'est intéressant car il semblerait que c'est un acte de création. C'est quelqu'un qui est en train de composer."

Un professeur musicologue du Wisconsin se rend à Villeneuve-lez-Avignon 

Cette partition et ces graffitis étaient déjà connus, mais n'avaient pas fait l'objet d'une attention particulière. À Villeneuve, on a pris conscience de la rareté de cette partition quand un grand nom de la musicologie issu des États-Unis a insisté pour se rendre sur place, lorsqu'il en a entendu parler. Il s'appelle Lawrence Earp et occupe un poste de professeur à l'université de Wisconsin-Madisson. C'est lui qui a réussi à traduire la partition. Il a également émis une hypothèse de datation assez approximative entre 1370 et 1423, s'appuyant sur d'autres partitions d'époque en comparaison. La tâche est complexe puisque les scientifiques se rejoignent sur un point, c'est qu'à leurs connaissances, il n'y "a pas d'équivalent dans le monde de partition incisée sur un mur", rapporte Caroline Kuczynski. 

Un comité scientifique a été installé pour en savoir plus sur ces témoins du passé cardinalice de Villeneuve-lez-Avignon. • photo service communication Ville de Villeneuve-lez-Avignon

Pour partager la connaissance existante et tenter d'en savoir plus sur ce témoin de la vie cardinalice, un comité scientifique a été installé depuis le 1er décembre 2023, sous l'autorité de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles). "Il y a des musicologues, des historiens de l'art, des gens pointus dans leur sujet...", indique Pascal Crépin. L'ensemble des graffitis, inscriptions et décors peints figurent tels qu'ils étaient à leur création et n'ont jamais été restaurés. Une doctorante pourrait donc être affectée à des travaux d'orthophotographie avec un laser photogrammétique afin de réaliser des relevés précis, entrevoit la municipalité. 

Les témoins de la vie cardinalice protégés pendant les travaux de réhabilitation

L'étape suivante sera de protéger entièrement les fresques, les décors peints et les graffitis avant le début des travaux de restauration. On ne devrait pas les revoir avant la fin du chantier. Une méthode de fixation sera utilisée pour "éviter que les éléments subissent des altérations, des dégradations", assure la responsable du patrimoine. À ses yeux, il est assez miraculeux que ce vestige ait été préservé jusqu'à notre siècle. Il faut savoir que ce type de parois mobiles sur laquelle figure la partition, était à l'époque utilisée pour diviser les grands espaces du palais. "Tout bougeait au fur et à mesure des besoins, des aménagements que les occupants établissaient. Souvent dans les palais cardinaux, on est face à des espaces flottants car ces habitations étaient en mutation constante. Les carrières des cardinaux sont brèves, les propriétaires se succèdent", relate-t-elle. 

Peut-être en apprendrons-nous plus sur les usages, sur les personnes qui fréquentaient ces palais grâce aux travaux du comité scientifique ? En tout cas, la Mairie souhaite maintenant que l'ensemble du bâtiment du Palais de la Thurroye soit classé aux Monuments historiques afin de renforcer sa conservation. Et d'ici quelques temps et après plusieurs millions d'euros d'investissement, on réentendra sûrement des notes de musique et des voix émaner de ce lieu, qui reste un des rares vestiges du passé cardinalice de Villeneuve. 

Marie Meunier

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