FAIT DU SOIR Il y a 50 ans, un rocambolesque vol de tableaux avait lieu au musée de Bagnols-sur-Cèze
Il y a 50 ans, Bagnols-sur-Cèze faisait la une des journaux locaux et même nationaux. Dans la nuit du 12 au 13 novembre 1972, quinze prestigieux tableaux de la fin du XIXe-début du XXe siècle ont été dérobés par des malfaiteurs qui se sont introduits par le toit. Le préjudice est estimé à 5 millions de francs. Aucune oeuvre volée ce jour-là n'a été retrouvée.
L'histoire du musée bagnolais est jalonnée d'événements malheureux, depuis sa fondation en 1858 par Léon Alègre sous la forme d'une "bibliothèque-musée". Le 24 novembre 1924, alors que les pompiers célèbrent la Sainte-Barbe dans une salle de la mairie, ils mettent accidentellement le feu. L'incendie se propage au musée qui se trouve au deuxième étage de l'hôtel Mallet. Beaucoup d'oeuvres sont détruites. Le conservateur de l'époque, Albert André (à qui le musée doit son nom aujourd'hui, NDLR) en appelle à ses amis peintres pour reconstituer une collection. De grands noms du post-impressionnisme font leur apparition sur les cimaises bagnolaises.
Mais le musée atteindra ce que certains spécialistes nomment son "âge d'or" en décembre 1971. Mois où le legs de la collection Georges-Besson, critique d'art, collectionneur et ami d'Albert André, entre au musée. Au total, 78 nouvelles oeuvres intègrent le lieu. Moins d'un an après, entre le 12 et le 13 novembre 1972, certaines d'entre elles sont volées. L'âge d'or est déjà terminé.
Renoir, Monet, Matisse, Cézanne, Dufy, Pissarro ou encore Bonnard...
C'est M. Robert, 72 ans et guide du musée, qui fait la terrible découverte le 13 novembre à 14h. Dans Midi Libre à l'époque, le journaliste raconte la scène : "La serrure céda facilement et lorsque la porte fut largement ouverte, M. Robert s'aperçut que beaucoup de toiles avaient disparu et que des cadres vides gisaient au sol. Les services de la mairie prévinrent immédiatement la Sûreté et l'enquête commença." On inventorie 15 tableaux volatilisés (*). Que des grands noms de l'impressionnisme et du post-impressionnisme : Renoir, Monet, Matisse, Cézanne, Dufy, Pissarro ou encore Bonnard. Les malfaiteurs ne s'y sont pas trompés, le vol est estimé à 5 millions de francs. "Il y a juste un hic, les tableaux ne sont pas assurés. Première des nombreuses légèretés qui seront relevées par les enquêteurs et les observateurs de l’époque", raconte Elian Cellier, président de l'association des Amis d'Albert André.
Pour commettre leur casse, ils ne sont pas passés par l'entrée principale, comme le relate un article paru dans Le Monde le 15 novembre 1972 : "Arrivés par les toits des maisons voisines (notamment par les toitures de la Perception et l'ancienne école Saint-Maur très proches les unes des autres, NDLR), les voleurs ont pénétré le musée par les combles avant de percer un trou dans le plafond de la salle Albert-André, où ils descendirent à l'aide d'une échelle de corde." Et ils quittèrent les lieux, les toiles sous le bras.
Un dispositif de sécurité insuffisant
Rapidement une question se pose : le niveau de sécurité est-il suffisant ? Surtout compte-tenu du prestige des oeuvres de la collection Besson arrivées moins d'un an plus tôt. Quelques mois auparavant, le musée avait déjà subi des tentatives de cambriolage. En novembre 1971, la concierge, Mme Ughetto, et sa fille, ont été assaillies par des personnes malintentionnées qui avaient l'intention de voler. D'après un article de l'époque, la municipalité a alors pris comme précaution d'interdire l'accès à la mairie pour les réunions nocturnes. Ça ne suffira pas...
Dans un article de Midi libre paru quelques jours plus tard, on souligne la légèreté du dispositif : "L'hôtel de ville n'est gardé la nuit que par la concierge. Les portes du musée sont verrouillées et un système d'alarme se déclenche lorsqu'on les force. Mais il est bien évident que tout était prévu sauf l'effraction... du plafond." Le conseil municipal avait d'ailleurs acté pour 25 000 francs de travaux pour renforcer la sûreté des lieux. Le chantier devait débuter en décembre 1972. Trop tard... Pierre Boulot, le maire de l'époque, tente bien de se justifier en déclarant : "Quel que soit le système de sécurité le plus perfectionné que nous ayons pu prévoir, qu’il ait été ou non en place, le chemin suivi par les voleurs n’avait pas été prévu."
Retrouver la trace des voleurs ne s'annonce pas facile pour la police. Ils ont au moins 14h d'avance sur les forces de l'ordre et à l'époque, les caméras de vidéosurveillance n'existent pas. On espère que le téléphone sonne pour exiger une rançon mais le vol ne sera jamais revendiqué et aucune somme jamais demandée. Elian Cellier narre : "La police s’interroge : est-ce la commande d’un riche collectionneur ? (...) La piste plus régionale ou a minima une complicité locale est aussi soupçonnée. Les voleurs ayant été trop bien informés à la fois des richesses de la collection, de l’accès si facile et des prochains travaux qui auraient compliqué leur travail." L'enquête ne le confirmera ou ne le contredira jamais et aucun chef-d'oeuvre n'a été retrouvé à ce jour. Les toiles sont toujours référencées sur le site Interpole.
50 ans plus tard, qu'en est-il ?
En ce cinquantième anniversaire, l'association des Amis d'Albert André souhaite remuer cette histoire pour rouvrir des pistes : "Peut-être cela fera-t-il prendre conscience à certains héritiers qu’ils sont en possession de tableaux acquis de façon frauduleuse ? Parfois au bout de plusieurs décennies des miracles se produisent avec l’arrivée de nouvelles générations." Et un miracle ne ferait pas de mal pour éclaircir l'histoire du musée. En mars 1981, un homme a décroché en plein jour un tableau de Renoir, repartant tranquillement avec, se fondant dans la foule du marché hebdomadaire. En mars 2006, une vingtaine de toiles ont aussi été dérobées dans la maison familiale laudunoise d'Albert André. Seules deux ont été retrouvées, dont une douze ans plus tard.
Qu'en est-il de la sécurité du musée bagnolais aujourd'hui ? On faisait le reproche aux élus 50 ans en arrière, mais la situation a-t-elle été profondément révolutionnée ? Malgré les rapines à répétition, les collections sont toujours de grande valeur et doivent être protégées (**). Tout le monde s'accorde pourtant sur le fait que l'actuel musée au 2e étage de l'hôtel Mallet est exigu et loin d'être irréprochable en terme d'accessibilité et de sécurité. Au point que certaines belles toiles, notamment des Renoir, dorment dans les réserves, faute de place.
Un projet de nouveau musée est dans les tuyaux depuis des années. L'Agglomération du Gard rhodanien évoquait dans un premier temps un projet à 14 millions d'euros mais qui est jugé "surdimensionné". Au cabinet du président Jean-Christian Rey, on affirme : "Ce projet-là ne se fera pas. Ce serait construire un éléphant blanc sur le territoire. On est en réflexion, on retravaille avec la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles). On part peut-être plus sur une modernisation que sur une construction neuve." Cela dépendra aussi de la mairie qui envisage de déplacer certains de ses services dans un nouveau bâtiment qui prendra place sur l'actuel îlot Carcaixent. L'histoire du musée s'annonce encore pleine de rebondissements, plus heureux on l'espère.
Marie Meunier
(*) Voici la liste complète des tableaux volés cette nuit-là : deux Auguste Renoir "Roses dans un vase" (1905) et "Portrait de Maleck André", un Claude Monet "Reflets sur l’eau" (1917), un Henri Matisse "La vue de Saint-Tropez", un Paul Cézanne "les Baigneuses", deux Raoul Dufy "Orchestre avec un nu" et "Composition", un Berthe Morisot "Sortie du port de Boulogne", deux Pierre Bonnard "Le petit café 1900" et "le jardin à Vernonnet", un Camille Pissarro "Champs", un Maximilien Luce "La chapelle à Paris", un Albert Marquet "Le port de Marseille", un Edouard Vuillard "Le port de Hontfleur" et un Eugène Boudin "Vaches aux pâturages".
(**) Nous avons contacté le Conseil départemental du Gard, la Conservation des musées et la Mairie qui n'ont pas souhaité communiquer sur le sujet.
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