Publié il y a 1 an - Mise à jour le 23.04.2022 - pierre-havez - 3 min  - vu 2720 fois

AU PALAIS « Ces pauvres enfants que les adultes ont marchandisés »

Palais de justice Nîmes 8-9-2020 (photo Norman Jardin)

Chehrazed, 37 ans est jugée en compagnie de Benyahia, avec qui elle s'est mariée, et d'Ahmed à qui elle a fait reconnaître son dernier enfant, afin de permettre aux deux hommes d’obtenir la nationalité française, en 2016.

Une situation qui se serait répétée avec ses cinq enfants placés. Dès 2015, un policier avait déjà alerté sur les autres reconnaissances de paternité douteuses des enfants de Chehrazed. Celles-ci ayant permis à ses différents compagnons en situation irrégulière d’obtenir un titre de séjour. Elle serait ainsi partie accoucher en Ardèche avec l’un d’eux, rencontré dans un café, contre la somme de 5 000 euros. Mais sur place, au lieu d’aller à la maternité, le couple se rend d’abord… dans un Ehpad. Avec un autre homme de nationalité portugaise, la reconnaissance frauduleuse d’un autre de ses enfants se serait négociée pour à peine 300 euros…

« Ni l’un, ni l’autre ne sont son père ! »

Le président interroge la trentenaire sur ses motivations. « Pourquoi avez-vous demandé à cet homme de reconnaitre votre dernière fille alors qu’il n’en est pas le père ? », demande Jean-Pierre Bandiera. La prévenue semble démunie. « Mon précédent compagnon m’avait laissé tomber, il était très violent avec moi  », répond-elle seulement. Le juge l’interrompt. « Sauf que ni l’un, ni l’autre ne sont son père !, Cela ne vous paraît pas choquant ? », reprend Jean-Pierre Bandiera. La femme semble totalement prise au dépourvu par la tournure de l'interrogatoire. « Je ne suis pas assistée de mon avocat, je ne peux pas répondre, je ne m’attendais pas à une telle conversation », répond la femme, visiblement dépassée.

Le procureur intervient. « Comment avez-vous su que vous deviez venir alors. Vous êtes toujours ensemble avec monsieur ? » La femme hésite, puis nie faiblement. Le procureur reprend, doucement. « Vous êtes ensemble, mais pour la CAF, il ne faut pas le dire ? », répète-t-il. La femme craque. « Oui, on n’est pas déclaré », finit-elle par admettre. Le procureur tape du poing sur la table. « Voila ! Notez-le, on fera un redressement ! », conclut Eric Maurel.

« Ce n’était pas un mariage porté sur le sexe… »

Le juge poursuit son interrogatoire. « Et ce mariage avec Benyahia pour de l’argent, vous trouvez ça normal ? » La trentenaire est acculée. « Ce n’est pas ce qui était prévu au départ… », tente de répondre Chehrazed. « Mais il vous a donné 800 euros à la sortie de la mairie ? », insiste Jean-Pierre Bandiera. « Oui », lâche-t-elle, interdite. Le magistrat se tourne vers Benyahia, qui soutient avoir véritablement partagé un appartement avec Chehrazed, à Alès. Celle-ci avait pourtant dit le contraire aux enquêteurs. « Elle ajoute que vous auriez peut-être eu une ou deux relations intimes, ce n’était donc pas un mariage porté sur le sexe… », fait remarquer Jean-Pierre Bandiera. « Non », rétorque simplement le trentenaire.

Le juge s’adosse à sa chaise et soupire. « C’est un dossier particulièrement misérable, surtout pour ces pauvres enfants que les adultes ont marchandisés », déplore Jean-Pierre Bandiera.

« Quand une mère en vient à vendre l’état civil de ses enfants... »

Le procureur débute ses réquisitions. « C’est un dossier d’une vive actualité. En ce qui concerne la fraude au mariage, on peut se marier puis quitter le foyer parce qu’on est militaire ou capitaine au long cours, par exemple, mais pas uniquement pour obtenir la nationalité française. Le dossier est clair : puisqu’il y a eu échange financier, c’est un mariage blanc ! », assène Eric Maurel. Concernant les enfants, on a là encore le droit de reconnaître un enfant qui n’est pas le sien, dans son intérêt. Mais pas contre de l’argent. »

Le procureur se tourne vers Chehrazed, l’air sévère. « Vous avez beaucoup d’intuition, car si vous n’étiez pas venue aujourd’hui, madame, j’aurais requis une lourde peine ferme avec un mandat d’arrêt contre vous, car quand une mère en vient à vendre l’état civil de ses enfants, cela pose question, gronde le procureur. Mais le temps est passé et quelques mois avec sursis ma paraissent désormais plus adaptés. »

Ahmed et Benyahia sont tout deux condamnés à un an d'emprisonnement avec sursis, et Chehrazed à un an dont 6 mois ferme.

Pierre Havez

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