Nous sommes en 1943. La guerre a démarré depuis près de quatre ans, et l’Allemagne nazie a besoin de bras pour faire tourner ses usines et participer à l’effort de guerre, compte tenu du fait que de nombreux Allemands sont mobilisés sur le front. Un système de volontariat, qui permet à des Français de travailler en Allemagne, est alors en place, mais c’est un échec : seuls 70 000 hommes ont fait le choix d’aider l’occupant moyennant une confortable rémunération.
Alors une loi est mise en place le 16 février 1943 pour instaurer le STO. Désormais plus de volontariat, mais une réquisition de Français en âge de travailler, accueillis dans des camps de travailleurs. Sur le canton de Bagnols, ils sont 101, dont 26 pour la seule ville de Bagnols, un nombre colossal pour une commune de cette taille, à devoir franchir le Rhin à contrecœur pour une réquisition de deux ans. Albert Fargier en fait partie.
« Avoir été au STO, c’était presque honteux »
Caviste à Bagnols, il se retrouve exploité pour construire une usine de l’entreprise IG Farben, qui devait abriter une fabrique de caoutchouc artificiel. Non pas en Allemagne, mais en Pologne, à Auschwitz. « Il se retrouve dans les baraquements français, en compagnie des autres Bagnolais », explique Jean-Paul Fargier. Les baraquements, comme le chantier de construction, sont éloignés du camp de concentration à proprement parler, et si les travailleurs réquisitionnés côtoient parfois des Juifs déportés, ils ne se doutent pas de ce que le camp renferme, à commencer par les chambres à gaz.
À la mort de son père, Jean-Paul Fargier récupère de nombreux souvenirs. « Il y avait beaucoup de détails sur la vie quotidienne, les conditions de travail, la bouffe, les horaires de liberté, les sorties au théâtre, au cinéma. Mon père est allé se faire prendre en photo par un photographe et se servait de ces photos comme des cartes postales », retrace l’auteur. Au dos de ces photos, des mots manuscrits, dont : « Bons baisers d’Auschwitz », qui donne son titre au livre.
La loi accorde aux Français réquisitionnés au STO des permissions dans des cas spécifiques, comme le mariage. Huit mois après sa réquisition, Albert Fargier obtient une permission pour se marier et rentre en France. Il décide de ne pas retourner à Auschwitz, et part se cacher en Ardèche. « Je suis né de cette échappée de mon père », glisse Jean-Paul Fargier, qui présente dans son livre de nombreuses photos et archives.
Un livre qui introduit, à travers un morceau de vie, un sujet méconnu et parfois méprisé de la Seconde Guerre mondiale. « Avoir été au STO, c’était presque honteux, il y avait les résistants, et les pauvres mecs déportés pour travailler », affirme Jean-Paul Fargier. Plus tard son père, devenu entretemps bouliste émérite, sera un ardent défenseur des droits des réquisitionnés au STO, en devenant le secrétaire de la section locale de l’Association des déportés du travail.
Environ 650 000 personnes ont été réquisitionnées dans le cadre du STO, et entre 25 000 et 35 000 d’entre eux y ont perdu la vie.
Et aussi
« Bons baisers d’Auschwitz » est le premier ouvrage publié par la toute nouvelle maison d’édition bagnolaise, Les éditions de monsieur Cotton. Fondée par un groupe de quatre amis, Alain Bourges, Jean-Paul Fargier, Geneviève Morgan et Joël Benzakin, elle n’a « pas de ligne éditoriale, ce sont juste des gens qui ont envie de travailler ensemble », pose Alain Bourges. Les quatre cofondateurs ont tous déjà publié, certains dans des grandes maisons, et comptent désormais le faire aussi à travers cette structure associative. « Nous avons un modèle économique à cheval entre le compte d’auteur et le compte d’éditeur, l’auteur paie l’impression et l’association s’occupe de tout le reste, la mise en page, le rapport avec l’imprimeur et la diffusion », précise Alain Bourges. L’auteur se rembourse sur les ventes, et le reste va à l’association, pour financer les prochaines publications. Les prochaines sont déjà dans les tuyaux : un livre sur les étoiles filantes par Geneviève Morgan et un autre de nouvelles tauromachiques par Alain Bourges.