MEYRANNES / MOLIÈRES-SUR-CÈZE Les plans communaux de sauvegarde au crash-test d'une crue centennale

Le maire de Meyrannes, Wladimir Bernard, anticipe les mesures à prendre dans son village en fonction du niveau de vigilance
- François DesmeuresLes mairies de Meyrannes et Molières-sur-Cèze étaient en ébullition, ce jeudi après-midi, pour faire face à une crue qui atteignait 5 mètres à Bessèges. On ne parle pas, ici, de micro-climat dans une journée estivale, mais d'un exercice de simulation de crise pour entraîner les équipes et souligner les éventuels manques en matériel ou réflexes.
Nous sommes le 8 octobre et un épisode méditerranéen s'abat sur les communes de Molières-sur-Cèze et Meyrannes, ainsi qu'en amont. Les précipitations accumulées, et celles qui devraient s'abattre, ont donné lieu à l'ouverture de cellules de crise, en mairie de Meyrannes et Molières-sur-Cèze. Pour constater que les bonnes décisions sont prises, la chargée de mission du syndicat de bassin ABCèze, Francesca Randrianantenaina, effectue des allers-retours entre les deux bâtiments communaux...
Et c'est ici que l'histoire déraille. Car, ce jeudi, nous n'étions évidemment pas le 8 octobre. Et, surtout, en épisode de crue intense, personne ne s'amuserait à faire la navette entre les deux mairies en franchissant allègrement la rivière à plusieurs reprises entre les deux communes. Maires et cellules de crise répondent à un scénario écrit à l'avance par le bureau d'études Predict Services, scénario qu'ils ne connaissent évidemment pas. Mais ils savent que les sols ont particulièrement du mal à laisser pénétrer l'eau, en ce 8 octobre, car la région sort d'une sécheresse estivale.
"Toutes les 30 minutes, Predict Services fournit une évolution de la météo", explique Francesca Randrianantenaina, ainsi qu'un niveau de vigilance. En deux heures d'exercice, la difficulté réside aussi dans la rapidité des procédures, car le scénario couvre, en réalité, une période de près de 72 heures. "Les stimuli se multiplient dans l'exercice, notamment par la multiplication des appels extérieurs. Il faut éprouver la coordination, la communication et la prise de décision."
Le dernier exercice a eu lieu à Montclus, à l'automne dernier. "Une semaine après, on a connu un épisode, se souvient Francesca Randrianantenaina. Les exercices permettent d'avoir les bons réflexes." Et de se coordonner entre services ; autour de la table, en plus de l'équipe de cellule de crise municipale, police municipale, pompiers, direction départementale des territoires et de la mer et syndicat ABCèze donnent également leur avis. Depuis la loi MATRAS de 2021, toute commune exposée par au moins un risque naturel doit disposer d'un Plan communal de sauvegarde (PCS) et, au moins tous les cinq ans, réaliser un exercice de gestion de crise.
Il faut organiser la logistique, installer des barrières d'interdiction de passer, aller voir si une personne âgée n'est pas isolée, s'assurer de l'absence de quelqu'un... le tout sans mettre la vie des agents et forces de sécurité en danger. "La spécificité, c'est que les deux communes disposent d'un système d'endiguement", précise Francesca Randrianantenaina (relire ici). D'ailleurs, glisse Laure Wateau, qui gère le scénario pour Predict, la crue va aller jusqu'à la surverse au-dessus des digues...
La mairie vérifie les personnes reliées à l'application Illiwap pour prévenir du danger, tant que les réseaux fonctionnent encore. D'autres ont laissé directement leurs numéros de téléphone, car il s'agit de prévenir tout ce monde d'une éventuelle évacuation prochaine, selon les quartiers : à la montée de la Cèze s'ajoutent les ruissellements, qui peuvent transformer certaines rues en rivière (le tout recensé sur une immense carte qui préconise des actions en fonction de l'évolution de la situation). Sans compter le danger potentiel que représentent les ruisseaux couverts qui traversent les deux communes.
"Si le valat des Planches déborde sur la route, on ne peut plus bouger..."
Florence Bouis, maire de Molières-sur-Cèze
"On atteint 3,20 mètres à la station de Bessèges", prévient Predict. Sur un logiciel dédié, les deux mairies consignent tout nouvel événement ou action engagée pour disposer d'un historique. Cette "main courante" est assurée par le maire, à Meyrannes, et un agent à Molières, et la différence sera relevée par Predict. En faisant semblant d'aller placer des barrières, les agents se chronomètrent pour préciser l'exercice. Tout en se demandant si, une fois que les valats auront sauté, il sera toujours possible de se déplacer dans la commune...
"La mairie dispose bien d'une liste des personnes vulnérables, avec leurs coordonnées", explique la maire de Molières-sur-Cèze, Florence Bouis. Mais, paradoxe administratif, cette liste ne peut pas être jointe au Plan communal de sauvegarde (PCS) en raison du Règlement général de la protection des données (RGPD)... Or, les débordements s'accélèrent, "sur le Sanguinet ou la valat des Planches". "Mais si le valat des Planches déborde sur la route (entre le hameau de Gammal et l'entrée du village, NDLR), on ne peut plus bouger...", s'inquiète Florence Bouis.
"À Gammal, tout le monde a de quoi se réfugier à l'étage. Mais il faut prévenir les gens du Sanguinet de ne pas sortir de chez eux", poursuit la maire. À Meyrannes, on vient de recevoir l'information d'une hauteur d'eau de 3,50 m à Bessèges. "On va peut-être chauffer un peu, pour le cas où l'électricité s'arrête", soumet le maire, Wladimir Bernard, dans son rôle, alors qu'il fait en réalité 27°C dehors...
"Je veux vous informer qu'on est à 50 centimètres de l'évacuation", poursuit Laure Wateau. À côté du maire de Meyrannes, Christel Trinquier, autre ingénieure de Predict, note les réactions de sa cellule de crise. "Il faut rajouter des barrières rue des Mineurs, décide Wladimir Bernard, évacuer la rue des Jardins et le chemin des Lanternes..." Le département entier passe alors en vigilance rouge. "C'est un scénario de dingue qu'ils nous mettent, ça n'arrivera pas tout ça", blague un agent communal avec un collègue.
Des micro-coupures électriques commencent à détériorer la liaison entre les mairies et les autres services. "Vous disposez d'un groupe électrogène ?", interroge Predict. La Cèze atteint désormais 5 mètres à Bessèges et on évoque "un risque de rupture de digue" pour les deux communes. "À cette heure-ci, les pompiers seraient déjà en mairie ?", demande Wladimir Bernard au lieutenant Alexandre Sugier, de la caserne de Saint-Ambroix, venu superviser lui aussi l'exercice. "Oui, rassure le lieutenant, étant donné le niveau d'alerte". Au passage, il rappelle que seuls les pompiers peuvent intervenir pour des personnes en péril urgent.
"Le travail d'anticipation que vous pourrez mener a pour but d'alléger le travail des pompiers au moment de la crise"
Laure Wateau, Predict Services
"L'évaluation du danger doit être la plus affinée possible, poursuit Alexandre Sugier, avant qu'on vienne secourir". Si la personne est seule, où en est l'eau, si des voisins sont présents, etc. sont autant d'informations utiles aux pompiers avant intervention ne serait-ce que pour savoir si celle-ci est indispensable. "Ce n'est pas le rôle du maire de tenir la main courante, entame d'ailleurs le lieutenant pour débriefer l'exercice du jour. Il vous faut aussi un téléphone dédié, parce que sinon les appels vont saturer votre ligne", conseille-t-il au maire.
À Meyrannes ou Molières, Alexandre Sugier souligne aussi l'importance de chasubles dédiées qui facilitent la reconnaissance des bons interlocuteurs pour les pompiers. Mais aussi la nécessité de s'équiper de petites radios pour communiquer, avec une portée d'un kilomètre, afin de pallier un éventuel arrêt des réseaux. "Et n'oubliez pas le téléphone filaire !", rappelle le pompier.
Son expertise conseille aussi de séparer une salle "d'action et de bruit" d'une autre dédiée à la prise de décision, donc au silence. Il souligne aussi, avec ABCèze, l'attention qui a été donnée aux petits affluents qui n'entrent pas dans la cartographie Vigicrues mais dont les hauteurs permettent aussi d'anticiper ce qui va se passer dans la rivière de destination. "Le travail d'anticipation que vous pourrez mener a pour but d'alléger le travail des pompiers au moment de la crise", précise Laure Wateau. Qui ajoute qu'il faudrait installer des clapets de non-retour sur les ruisseaux couverts... avant d'apprendre que cela n'interviendra pas avant 2028. Les finances nécessaires à l'équipement des communes ruissellent, en général, beaucoup moins vite que les précipitations...