Publié il y a 10 mois -
Mise à jour le 13.08.2024 - Sabrina Ranvier - 6 min - vu 773 fois
FAIT DU JOUR Cheminots, médecin, avocat, lycéenne… et héros de la Résistance
Nîmes fête sa libération en août 1944 avec un défilé devant le palais de justice. Cette image figure dans l'exposition sur "La libération dans le Gard". On peut la voir jusqu'au 30 septembre 2024 aux archives départementales du Gard.
25 août 1944, il y a pile 80 ans, Nîmes retrouve son souffle. Les occupants allemands ont fait leurs bagages. La ville est libérée, sans heurts. Mais la France est loin d’être délivrée. Des convois de déportés continuent à partir vers l’Allemagne. Le Nîmois Marcel Encontre, fonctionnaire qui faisait de faux papiers, est transféré le 29 août au camp de Neuengamme. Natividad Alvarez et sa fille Arlette, 16 ans, sont à Ravensbrück. À côté d’Alès, un spéléologue plonge, mi-septembre, dans le puits de Célas. Il y trouve 29 dépouilles de résistants dont celles de deux infirmières allemandes et celle de Jean Jallatte. Cet étudiant qui a été torturé deux semaines par des Français, ne retrouvera pas ses deux frères, eux aussi résistants. Tous deux ont survécu. Le petit dernier, Charly-Sam épousera même Denyse Landauer, étudiante juive. Ils s’installeront dans sa demeure familiale, au 13 boulevard Gambetta à Nîmes. Ce bâtiment avait été saisi par la Gestapo. C’est là que Charly Sam avait été torturé en 1944, avant de s'échapper.
Il y a 80 ans : le Gard libéré
La ville de Nîmes organise une cérémonie à la Pyramide dédiée aux martyrs de la Seconde Guerre mondiale, avenue Jean-Jaurès. Elle aura lieu le 25 août, jour anniversaire de la Libération de la ville. Quand la Résistance a-t-elle débuté dans le Gard ? Qui étaient ses artisans ?
« Nancy a le torticolis. Je répète Nancy a le torticolis ». C’est avec ce drôle de message que la radio BBC de Londres annonce le débarquement en Provence le 15 août 1944. Les troupes allemandes se replient. Pour les bloquer, les Alliés bombardent les infrastructures ferroviaires nîmoises dans la nuit du 22 au 23 août. Des colonnes de soldats allemands remontent par voie terrestre. Les maquisards gardois bataillent au Pont d’Auzon, à Euzet-les bains, Saint-Just-et-Vacquières… Alès est libérée le 21 août. Quelques jours plus tard, lors d’une embuscade à la Madeleine, près d’Anduze, 500 soldats allemands en fuite sont faits prisonniers. Des groupes Francs-tireurs et partisans (FTP) rejoignent Nîmes. La ville, abandonnée par les Allemands, est libérée le 25 août sans véritables combats.
Un santon du maréchal et des poches de Résistance
« La Résistance n’est pas tombée du ciel en 1944. Dès 1940, elle s’est organisée, lâche Alain Tassera, de la CGT mineurs. Nos ancêtres n’ont pas baissé les bras, ni la tête, ni les épaules ». Dans le documentaire de Marc Laforêt, Ici commence le pays de la liberté, il évoque ces mineurs qui envoyaient des berlines remplies de remblais couvertes d’une fine couche de minerai pour « donner le moins de charbon possible à l’Allemagne nazie ».
« Certaines mines, comme celles de Rochebelle, délaissent les couches les plus faciles à exploiter au profit des autres qui contiennent du charbon de basse qualité », complète Armand Cosson, dans Nîmes et le Gard dans la guerre*.
Les Gardois sont-ils entrés en masse en Résistance en 1940-1941 ? Pas vraiment, selon Armand Cosson. Le 13 février 1941, le maréchal Pétain, de retour de Montpellier où il a rencontré Franco, s’arrête quelques minutes en gare de Nîmes. 20 000 personnes l’attendaient selon Le Républicain du Gard. À cette période, un santon provençal « lou Marechau », est même créé. Des inscriptions qui apparaissent sur les façades des hôtels, des distributions de tracts... L’historien explique, qu’avant juin 1941, la Résistance est le fait d’individus. C’est une « opposition larvée, isolée, informelle » mais « réelle ».
La politique antisémite du régime fait basculer une partie des Gardois. Beaucoup de protestants, « se rappelant leur passé de persécutés, aident et accueillent des juifs dans la Vaunage, à Valleraugue, à Lasalle ». Après juin 1941, la Résistance se structure. Le mouvement « Combat » est créé à Nîmes, Alès et dans la région de la Cèze. Un autre mouvement d’obédience communiste grandit. Armand Cosson précise que le PCF, interdit par Vichy, a, au début de la guerre, une ligne qui dénonce la guerre impérialiste. Il dit qu’il n’a pas à prendre parti ni pour le Reich ni pour l’Angleterre. Lorsque l’Allemagne envahit l’URSS en juin 1941, le parti communiste entre « franchement dans la lutte clandestine en y apportant l’efficacité de son appareil, le poids de son influence ».
Début 1942, la grogne contre Vichy enfle. Les ménagères manifestent contre le ravitaillement. Des grèves ouvrières éclatent aux Salins du midi, dans les mines. Le 8 novembre 1942, les Alliés débarquent en Afrique du Nord. Action, réaction, les Allemands envahissent la zone libre. Nîmes est occupée le 11 novembre, Alès le 6 décembre. 10 700 soldats de la Wehrmacht s’installent dans une trentaine de localités gardoises. Le 16 février 1943 est mis en place le STO, le service du travail obligatoire, obligeant les jeunes Français à travailler en Allemagne. Les réfractaires prennent en masse le maquis. La répression est forte. Le 22 avril 1943, les deux résistants Jean Robert et Vincent Faïta sont guillotinés dans la maison d’arrêt de Nîmes.
Quatre réseaux de Résistance
À partir de 1943, quatre réseaux de Résistance se structurent dans le département. Le plombier nîmois René Rascalon crée le 1er mars 1943 l’Armée secrète de combat. Roger Toreilles, dit capitaine Marcel, implante les Francs-tireurs et partisans en basse Lozère le 27 juillet 1943. Le pasteur George Gillier lance quant à lui, fin juillet 1943, l’Organisation de la résistance de l’armée, ORA, du côté de Rochefort-du-Gard et Lussan. Fin mai 1944, s’ajoute en Cévennes le Corps-franc de libération de Michel Bruguier. Surnommé commandant Audibert, il était le fils de Georges Bruguier, le seul parlementaire gardois ayant refusé les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940.
Durant le premier semestre 1944, des gendarmes rejoignent le maquis. Lasalle, Lédignan, Anduze, Sumène… Cinq brigades de gendarmerie se rallient par exemple au maquis Aigoual-Cévennes. Les maquisards multiplient les sabotages de voies de communication. Les Allemands répliquent avec des unités « de nettoyage ». La 9e panzerdivision SS Hohenstaufen expose les corps de quinze pendus à Nîmes. À Alès, l’unité Waffen SS N°15727 Brandebourg torture au fort Vauban.
Bombardements et communiante
Les Alliés entament des raids aériens pour contrarier les déplacements de la Wehrmacht. L’armée américaine doit bombarder le 27 mai la gare de triage de Nîmes. Par erreur, une centaine d’impacts touchent les quartiers Est et l’hôpital. On voit le nuage depuis Gallargues. 443 immeubles sont détruits, 271 personnes meurent, 289 sont blessées.
Le 12 juillet, Nîmes est à nouveau bombardée. Cette fois-ci, il n’y a aucun mort mais le cimetière est très touché. Le corps d’une jeune communiante est déterré et projeté dans un arbre. Elle avait été tuée lors du bombardement du 27 mai alors qu’elle devait se faire opérer de l’appendicite.
Du 6 au 22 août, des bombardements détruisent des ponts dans la vallée du Rhône. Le 10 août, le maquis Aigoual Cévennes tente de libérer Le Vigan. Le commandant Bonnafous, dit Marceau, est mortellement blessé par une rafale de mitraillette allemande. Le département sera peu à peu libéré dans la deuxième quinzaine d’août. On fête la Libération à Alès le 3 septembre et le 4 à Nîmes.
Libération, épuration
Et après ? Des tribunaux militaires des FFI jugent de manière expéditive les collabos. 34 personnes sont fusillées à Nîmes. Le 20 septembre 1944, une cour de justice rattachée à la cour d’appel de Nîmes est créée pour juger en respectant règles du droit. Elle traite 1 238 dossiers entre le 5 octobre 1944 et le 1er juillet 1948. Elle prononce 101 condamnations capitales. 20 seront exécutées. La plus célèbre est celle d’Angelo Chiappe, préfet pétainiste qui avait mis en place avec zèle les mesures Vichy. Il sera fusillé le 23 janvier 1945 devant les arènes.
En chiffres
• 231 civils tués par faits de guerre
• 295 personnes assassinées par les Allemands, la milice ou la Gestapo
• 5 670 déportés ou requis au STO
• 258 déportés morts en déportation pour 260 revenus
• 323 morts dans les bombardements alliés
• 3 000 habitants sinistrés
• 5 000 immeubles endommagés
(source : premier bilan de la préfecture du Gard - février 1945)
Les 15 pendus de Nîmes
Le plus jeune, Fortuné Donati, avait 19 ans. Les plus âgés, Émile Eckart et Hénoc Nadal, en affichaient 62. En février 1943, la 9e Panzerdivision SS Hohenstaufen, est envoyée dans le Gard pour « purger » les maquis. Lasalle, Driolle, Ardouillés… Elle prend 15 otages dans les Cévennes : des réfractaires au STO, des fermiers accusés d’accueillir des réfractaires, des Polonais hébergés dans un centre d’accueil à Lasalle. Deux résistants blessés sont même sortis de l’hôpital. À Nîmes, le 2 mars, les Allemands barrent chaque côté de la voie passant sous le viaduc de la route d’Uzès. Un nœud coulant est attaché au cou de cinq hommes. Ils sont ensuite jetés dans le vide avec la pancarte : « Ainsi seront traités les terroristes français. » Les autres sont pendus au viaduc de la route de Beaucaire ou à des arbres route de Montpellier. Les corps restent accrochés plusieurs heures avant d’être enterrés dans un champ à Jonquières-Saint-Vincent.
Le 14 septembre 1944, le service d’état-civil de la ville de Nîmes fait exhumer les corps par des prisonniers allemands. Les 15 cadavres ont les mains liées. 14 d’entre eux sont identifiés et enterrés au carré militaire du cimetière nîmois Saint-Baudile. La fédération Gard-Lozère du mouvement de libération national retrouve le dernier nom : il s’agit de René Kieffer, un Alsacien de 24 ans qui recrutait des réfractaires au STO. Le 16 juin 1953, deux hommes sont convoqués au tribunal militaire de Marseille : Wilhelm Bittrich, qui commandait la 9e division SS et Ernst Guttmann, lieutenant de feldgendarmerie et journaliste de carrière. Bittrich, membre des SS depuis 1932, était aussi « recherché comme criminel de guerre par le gouvernement yougoslave ». Au procès, il indique avoir été absent le jour des faits. Il est condamné à 5 ans de réclusion. Guttmann hérite de 20 ans de travaux forcés.