Publié il y a 1 mois - Mise à jour le 18.03.2025  - 8 min  - vu 247 fois

LE DOSSIER Covid - 5 ans après : reconversions et répercussions

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Entretien avec Pierre Devine, référent immobilier à la chambre des notaires du Gard. Et quelques portraits de personnes qui ont changé de vie. 

« On a vécu une hausse des prix et des volumes de transactions que l’on n’avait jamais connue »

Objectif Gard le magazine : Juste après la pandémie, de nouveaux habitants fuyant les villes se sont installés dans le Gard. Certains télétravaillent et profitent des connexions TGV pour exercer quelques jours par semaine à Paris. Est-ce que cet « exode » des citadins s’est poursuivi après 2021 ?

Pierre Devine : On disait « avant et après Jésus-Christ » pour apprendre l'Histoire, et là, on dira « avant et après le Covid ». Tout a été bouleversé. En 2021-2022, on a vécu une hausse des prix et des volumes de transactions que l’on n’avait jamais connue auparavant. On a vendu toutes nos grosses propriétés à des gens venus des villes. C’étaient des Français : des Parisiens, des Lillois... 2023 a été une bonne année mais moins que 2022 car on n’avait pas de stock. La pyramide a commencé à s’inverser cette année-là. En 2024, on a eu une baisse de presque 8 % du volume des transactions. Aujourd’hui, on en revient à quelque chose que l’on avait connu en 2019.

Comment expliquer le ralentissement de 2024 ? Est-ce que les ventes repartent cette année ?

Cela s’explique par la hausse des taux d’intérêt. Ils étaient autour de 1 à 2 % et sont passés à 4 %. Les taux sont aujourd’hui, mercredi 5 mars, autour de 3,5 % et il paraît qu’ils vont baisser. Il y a un bon début d’année. On sent un frémissement en 2025, vers la reprise des prêts et des transactions. C’est rentré dans les mœurs que les taux d’intérêt ne reviendront pas à 2 %. S’ils sont à 3 %, la pilule passe mieux.

En 2022, vous aviez dit à Objectif Gard le magazine : « Je n’exclus pas que dans 3 ans, le Parisien ne reparte pas quand il se sera rendu compte qu’une maison, un jardin et une piscine, c’est de l’entretien ». Les « expatriés » en manque de campagne et de grand air sont-ils restés dans le Gard ?

Le Covid a créé une anormalité de comportement : les gens ont fui la ville. Les Parisiens se sont dit « on va à la campagne, je n’en peux plus ». C’était la première fois que l’on voyait les biens baisser à Paris. Le marché parisien a bien chuté et ne se reprend pas. Mais aujourd’hui, l’exode s’est plus ou moins stabilisé. Les Parisiens vont-ils garder les biens qu’ils ont achetés dans le Gard ? L'avenir le dira. Il est possible que ceux qui veulent vendre ne le fassent pas car ils se disent que ce n’est pas le moment. Vendeurs et acquéreurs sont dans l’attentisme. Une dissolution en 2024, l’utilisation du 49.3 et un gouvernement qui tombe, une guerre, un Trump qui fait peur… On sent chez les acquéreurs une insécurité politique.

Est-ce que ces années 2021-2023 ont été une « parenthèse enchantée » pour l’immobilier gardois ou est-ce que la pandémie a durablement modifié les attentes et les priorités des gens ?

Il y a un changement de société, un changement dans les mentalités. Les gens ne boivent plus de vin. Après cette mini-révolution du Covid, tout évolue depuis. On s’enfonce avec une crise des agriculteurs. Beaucoup de viticulteurs mettent en vente leurs terres. Avant quand un hectare de Tavel ou de Côtes-du-Rhône était mis en vente, les gens se bagarraient pour l’acheter. Aujourd’hui, il n’y a pas d’acheteur.

Le Gard était prisé par les Belges, Suisses, Britanniques… Est-ce que les étrangers ne sont pas intéressés pour investir dans le vignoble gardois ?

Il n’y a pas d’investisseur étranger. Les étrangers étaient partis avant le Covid. Beaucoup avaient vendu à cause de la hausse des taxes sur les SCI. On ne voit plus d’étrangers. C’est un marché franco-français.

Stéphanie Riboldi a repris ses études. Elle passe deux jours par semaine au Purple campus de Marguerittes etse forme le reste du temps en travaillant en alternance comme préparatrice en pharmacie à l'hôpital de Bagnols. • Sabrina Ranvier

Un besoin absolu de se reconvertir

Ils étaient aide-soignante, conseillère principale d'éducation, employé en logistique. La dureté des moments vécus pendant la pandémie les a poussés à changer de vie professionnelle.

16h30, un mardi de mars. Les voitures s’agglutinent à la sortie du Purple campus de Marguerittes. Les cours viennent de se terminer dans ce centre de formation des apprentis. Stéphanie Riboldi est sur le départ, elle doit rejoindre Bagnols-sur-Cèze pour récupérer ses enfants de 12 et 8 ans. Un regard doux perce sous des lunettes rose pâle. Un petit carré blond flotte autour de son visage. Cette Gardoise de 43 ans a repris ses études. Elle est en deuxième année de DEUST de pharmacie, un diplôme universitaire qui lui permettra de devenir préparatrice. Cette aide-soignante quitte un métier qu’elle « adorait ». Elle préfère passer le relais : « Pendant le Covid, j’ai vu des choses que je n’aurais jamais pensé voir et que je ne voudrais surtout pas revoir. »

Vols de masques et de gel hydroalcoolique

Stéphanie Riboldi a travaillé 8 ans comme femme de ménage à l’hôpital de Bagnols avant que son employeur ne lui finance une formation d’aide-soignante. Des problèmes de dos la poussent à demander, dès 2011, une formation de préparatrice en pharmacie. Après plusieurs refus, elle laisse tomber. En 2020, elle travaille comme aide-soignante au bloc opératoire, « un poste en or ».

En mars 2020, les opérations non urgentes sont déprogrammées. Les masques, les solutions hydroalcooliques de l’hôpital bagnolais sont dérobés. Le CHU de Nîmes ravitaille le personnel soignant. « On a fait nous-mêmes 200 masques avec du papier de stérilisation pour le personnel non soignant, se remémore Stéphanie. Marcoule nous a fourni des combinaisons. » Elle travaille au bloc pour les opérations urgentes, dépanne dans les autres services quand les soignants tombent malade.

En septembre 2020, la pandémie reprend de la vigueur. Une deuxième vague déferle. « On m’a appelée : ‘on rouvre la réa et il faut que tu viennes’ ». La salle de réveil du bloc opératoire a été transformée en accueil urgence covid. On évalue l’âge, les antécédents médicaux. « Ceux qui pouvaient être intubés partaient à Nîmes », se souvient-elle. Restent à Bagnols ceux qui ne peuvent être intubés. Son regard se voile, sa voix s’accélère : « C’était très dur psychologiquement. J’ai des images qui ne partiront jamais. Je ne comprenais pas que l’on laisse les gens en détresse respiratoire. Ils décédaient sans voir les familles. » Elle se souvient des nuits, des regards, des mots de ceux qui se savaient condamnés. Face à l’angoisse de ses enfants, elle tente de dédramatiser : « On était habillés comme des cosmonautes, alors je leur disais, ‘maman part sur la lune’ ».

À la troisième vague de la pandémie, en janvier 2021, une charte d’accompagnement est mise en place pour les malades. « On a eu des médecins géniaux, des groupes de parole. » Même si les moments difficiles l’ont marquée, elle répète plusieurs fois, qu’« à Bagnols, ils n’étaient pas les plus à plaindre ». Elle veut se souvenir de la « belle cohésion d’équipe » qui a permis de faire face, de cette lettre de remerciement d’un patient qui les a tous fait pleurer.

Un après-pandémie difficile

« Le « après » a aussi été difficile. Les gens avaient tellement eu peur d’aller à l’hôpital qu’ils n’avaient pas voulu se faire soigner. Il n’y avait pas eu de dépistage des cancers et ils arrivaient trop tard. » Stéphanie ne s’imagine pas finir sa carrière comme aide-soignante. Il y a trois ans, un coup de fil la délivre : un départ en retraite est prévu à la pharmacie de l’hôpital, l’établissement lui finance une formation en alternance de préparatrice. « J’en ai pleuré. » En septembre 2023, elle fait sa rentrée au CFA. Deux ans après le Covid, au poste à essence, elle a reconnu un ancien patient : « Je lui ai demandé « vous ne vous souvenez pas de moi ? » Il avait du mal à me reconnaître, j’étais en cosmonaute à l’époque, mais moi, je l’ai reconnu. »

Jérémy Dosse a quitté la vie citadine montpelliéraine pour se lancer dans l'apiculture en Cévennes. Ses ruches sont installées à Brissac. https://www.jeremyel.com • © Romain Demolombe

Jérémy : « mon salaire a été divisé par 5 »

Mars 2020, Jérémy Dosse, employé dans la logistique pour la grande distribution, fait face à une « énorme charge de travail ». « Je ne me suis pas senti respecté. J’ai fait un début de burn-out », confie ce jeune papa. Il se remet en question, s’interroge sur ses priorités. À 31 ans, il se forme à l’apiculture pendant 9 mois au CFA du lycée agricole de Rodilhan. Il vit à l’époque à Montpellier. Les trajets sont longs, l’essence chère, les investissements pour acheter des ruches compliqués à trouver. Avec Armelle sa compagne et leur petite fille, ils s’installent à Sumène. Elle a retrouvé un emploi d’éducatrice spécialisée à Ganges.

Il parvient à faire sa première « cuvée » de miel en 2022-2023. Son salaire est divisé par 5 : « Quand je travaillais dans la logistique, je touchais en moyenne 2 200 euros par mois. En apiculture, j’ai eu en moyenne 300 euros par mois. » Il découvre les affres de la météo : « En 2023, je n’ai pas pu produire de miel. L’hiver était très aride, il y a eu beaucoup de pluie au printemps. J’ai quasiment perdu 70 % de mes ruches ». Il postule à « tout ce qui passe » et obtient un CDI dans une entreprise de pompes funèbres. Il soigne ses abeilles en parallèle. Son objectif : produire 500 kg de miel. Malgré les difficultés, il ne regrette ni la ville, ni le milieu de la grande distribution. Un sourire grignote sa voix quand il parle de ses abeilles. Sa passion est communicative : certaines de ses vidéos sur Tik tok ont fait 2 millions de vues.

Marion* : « on devait être des matons »

« J’ai quitté un métier que j’adorais mais j’ai sauvé ma peau. » Cette conseillère principale d’éducation a signé une rupture conventionnelle avant l’été. Celle qui va bientôt avoir 50 ans, a effectué toute sa carrière en éducation prioritaire. « On a glissé depuis Sarkozy. On a mis très longtemps à construire le corps des CPE et on est redevenus des surveillants généraux », lâche-t-elle. Cela s’est aggravé selon elle après le confinement : « On devait être des matons. On nous a mis dans un rôle pourri. » Les collèges rouvrent, « sans masques », « sans gel hydroalcoolique » : « On donnait une direction puis une autre dans la même journée. Dans le collège, les gamins devaient être à un mètre des autres. Mais à l’extérieur, on les revoyait se coller. Il fallait séparer la cour en 40, ironise-t-elle. On a vécu quelque chose de surréaliste. » Les protocoles sanitaires divers et variés s’enchaînent. Marion met deux ans à monter un projet de salon de thé. Elle achète un local dans un village cévenol. Avec sa rupture conventionnelle, elle obtient une indemnité 14 000 euros. Mal renseignée sur la durée de carence avant de toucher le chômage, elle est contrainte de différer son projet. Même si des familles de collégiens continuent à l’appeler, elle ne regrette rien.

* le prénom a été modifié.

Le blues des enseignants

Face à la perte de sens ressentie par certains, le syndicat Snalc organise en 2020 en visio la formation « Quitter l’Éducation nationale ou se reconvertir ». Cette formation, qui se déroule maintenant en présentiel, est passée, dans l’académie, de 800 inscrits en 2023 à 1556 en 2024. Y a-t-il a une fuite massive ? Non répond le rectorat : 205 personnes, tous corps confondus, ont démissionné ou signé une rupture conventionnelle en 2024 sur 50 000 personnels. Karine, enseignante gardoise, a demandé une rupture cette année. Elle avait débuté des études de sophrologie dès 2019 mais reconnaît que le Covid a « certainement amplifié » sa volonté de partir : « Les parents d’élèves étaient encore plus agressifs, l’administration ne nous a pas soutenus. » Elle a étoffé son dossier. Elle mise sur quatre activités : sophrologie, gestionnaire Airbnb, courtier en immobilier, conseiller en investissement financier et gestion d’entreprise.

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