Publié il y a 1 an - Mise à jour le 03.07.2023 - Propos recueillis par François Desmeures - 9 min  - vu 1790 fois

FAIT DU JOUR Michel Sala, député LFI de la 5e circonscription : "On va encore faire la démonstration que ce gouvernement est minoritaire"

Michel Sala à la tribune de l'Assemblée nationale

- DR

Le député France insoumise de la 5e circonscription, Michel Sala, ébauche un bilan de sa première année de fonction. Avec un gros chapitre, la réforme des retraites, mais aussi l'apprentissage du fonctionnement du "coeur du réacteur" qu'est l'Assemblée nationale, entre batailles, déceptions et rares victoires. Pour lui, les prochains dossiers majeurs présentés à l'Assemblée porteront sur l'agriculture et l'immigration. Et l'union de la Gauche reste indispensable. Entretien-bilan. 

Michel Sala, dans sa permanence parlementaire, rue Florian à Alès • François Desmeures

Objectif Gard : Comment avez-vous passé cette première année de mandature ? Ce changement de dimension dans les responsabilités ?

Michel Sala : C'est ce qui est le plus impressionnant : on est dans une autre dimension en étant à l'Assemblée nationale. On se sent un peu au coeur du réacteur. Ça change vraiment la façon même de se comporter, et la vision que les gens ont de toi. Le député, ce n'est pas rien. Et on est surpris d'un seul coup par l'importance de ce rôle. C'est aussi un changement de vie, de maire d'un tout petit village (*) à député. Ce n'est pas simple et je pense qu'il faut une certaine forme d'expérience. J'ai la chance d'avoir l'expérience de l'âge - je ne sais pas comment quelqu'un de plus jeune appréhende le poste. Mais grâce à cette expérience de l'âge, je parviens à gérer ce changement radical. 

Un changement qui est aussi une double casquette, nationale et locale...

On a un pied à l'Assemblée, avec tout ce qu'il y a autour, comme la possibilité de faire des lois. Et, en même temps, heureusement qu'on garde ce pied en dehors de l'Assemblée nationale : on se nourrit de ça. Et puis, on n'est pas seul : avoir des collaborateurs, c'est indispensable. Mais ça demande beaucoup d'énergie, notamment quand on habite très loin de Paris, parce qu'on passe une grande partie du temps dans les voyages, qui s'accumulent. C'est passionnant et fatiguant à la fois. 

"Sur les retraites, je retiens surtout qu'aujourd'hui des décrets s'appliquent sur une loi qui n'a toujours pas été votée."

L'année législative a évidemment été marquée par la réforme des retraites. Quelles impressions gardez-vous de ce débat, et notamment de son ambiance ?

En faisant un bilan, je mets face-à-face les dix mois, environ, passés dans l'hémicycle et les dix 49.3. Je me suis dit "il n'est pas passé un mois où tu as pu finir une loi et mener au bout un débat"... Les gens l'ont sans doute vu aussi : ça écorche un peu le parlementarisme de voir que la parole des députés n'est pas prise en compte parce que le débat ne peut pas aller jusqu'au bout. Alors, heureusement qu'on a des institutons démocratiques pour travailler, discuter et faire les lois. Mais je trouve que l'institution en a pris un coup. Et, paradoxalement, j'ai trouvé que les gens, bien au-délà de mon cercle habituel, me parlaient beaucoup de l'Assemblée nationale et avaient une connaissance aigüe de tout ce qu'il s'y passait. Mais en fait, il n'y a pas de majorité absolue dans cette législature, le débat a été imposé pour cette raison, et les gens se sont intéressés. Le débat parlementaire a essaimé. Jusqu'où ? Je ne sais pas. Mais c'est paradoxal : on perd en démocratie. Et, en même temps, les gens s'y intéressent parce que des débats ont lieu. Quant aux retraites, je retiens surtout qu'aujourd'hui des décrets s'appliquent sur une loi qui n'a toujours pas été votée. 

Si le gouvernement a effectivement refusé le vote, la stratégie d'obstruction de la France insoumise n'a-t-elle pas contribué à cette fin ?

Très franchement, j'étais hésitant sur les deux possibilités, aller rapidement à l'article 7 (sur le report de l'âge de la retraite à 64 ans, NDLR) ou ne pas y aller. Dans les deux cas, je pense que nous aurions été dans la même situation in fine, avec un 49.3 et pas de vote. 

"Même si on a perdu, on a gagné la bataille des idées"

La critique venait notamment de l'Intersyndicale, qui souhaitait aboutir à un vote à l'Assemblée et a regretté la stratégie d'une partie de la Gauche...

Je ne suis pas sûr que les syndicats aient vraiment dit ça. On a poursuivi des relations avec les organisations syndicales pendant le mouvement, ce n'est pas ce que nous avons compris. C'est un faux débat. Je pense que certains l'utilisent aujourd'hui pour stigmatiser la France insoumise. Il y a un autre débat, et c'est peut-être de là que viennent les tiraillements : qui dirige un mouvement social comme celui des retraites ? Pour moi, il n'y a pas de d'ambiguité, ce sont les organisations syndicales qui doivent donner le la. Et elles l'ont donné de manière assez forte et unies. À tel point que ça a redonné du tonus aux syndicats. Et que, même si on a perdu - il ne faut pas le cacher - on a gagné la bataille des idées. 

Vous dites avoir gagné la bataille des idées. Pourtant, il semble que vous ne n'en récoltiez pas les fruits par rapport au Rassemblement national... N'est-ce pas un regret, alors que la France insoumise disait avoir un contre-projet ?

On avait effectivement un contre-projet, on a discuté des éléments du débat à longueur d'heures dans l'hémicycle. Je pense que, sur le fond, on a mené la bataille sur tous les points. On a même démontré que le gouvernement mentait sur un certain nombre d'entre eux. La bataille sur le contenu a eu lieu et, si on l'a gagnée dans l'opinion publique, c'est parce qu'on l'a bien menée. Le RN, c'est une autre question. Ils n'ont rien fait pendant cette bataille des retraites. Mais c'est vrai qu'on ne récolte pas le travail de fond que nous menons, parce que le RN va au plus rapide et au plus simple. Et c'est en laissant les choses se dégrader, comme le fait Macron, que le RN monte. Pendant six mois, la seule cible a été la France insoumise et la Nupes. Et celui dont on ne parlait pas, et que le gouvernement a laissé tranquille, a récolté la mise. 

"Le texte le plus emblématique (...) c'est le vote sur l'intégration de l'avortement dans la Constitution"

La Nupes a quand même participé ou fait voté quelques textes cette année. Quelles sont vos satisfactions ?

Le plus emblématique, pour nous, c'est le vote sur l'intégration de l'avortement dans la Constitution. Une loi qui m'a fait plaisir. Après, dans certaines batailles, on aurait bien aimé aller plus loin. Comme sur la nationalisation d'EDF, qu'on réclamait pour sauver l'opération de rachat d'EDF par le Gouvernement. Ce qui a finalement eu lieu, puisque 100% appartient à l'État. Mais on aurait aimé sanctuariser l'entreprise à travers la nationalisation. Autre chose positive, les TRVE (tarifs réglementés de vente de l'électricité) qui a permis de protéger des particuliers, des entreprises ou des communes de la hausse des prix de l'énergie. 

Est-ce que la stratégie d'opposition de la Nupes est appelée à changer ?

Qu'est-ce qui nous amènerait à changer ? On va rester sur la même ligne. Sachant qu'on va encore faire la démonstration que ce gouvernement est minoritaire, sur nombre de lois qui seront présentées. On va terminer l'année avec des lois importantes. Je pensais qu'allait se souder une alliance entre les Républicains et les Macronistes, parce qu'ils ne sont pas loin de penser la même chose, mais ça n'a pas l'air d'être le cas. Donc, Renaissance va souvent se retrouver seul sur des lois. Nous, notre objectif est de partager le plus possible notre programme avec tous ceux qui sont de gauche pour, à la fin, être majoritaire et prendre le pouvoir. 

"Je ne comprends pas la position du parti communiste, comme je ne comprends pas celle de Carole Delga"

Justement, on a senti des dissenssions au sein de l'alliance de gauche. Est-ce que la volonté d'avancer ensemble est toujours présente pour toutes les composantes, selon vous ?

À l'Assemblée nationale, on a mis en place des commissions de travail, on se voit toutes les semaines avec les autres forces politiques... Si on a réussi cette alternative à la social-démocratie, qui s'appuie sur une Gauche large, c'est bien dans la Nupes et au parlement que ça se passe. Même si on n'est pas d'accord sur tout. Mais on avance et on montre qu'on peut travailler ensemble. C'est plus compliqué entre les partis politiques - ce qui a pu se voir à la fête de Lézan récemment. Je ne comprends pas la position du parti communiste, comme je ne comprends pas celle de Carole Delga. Si ce n'est pour revenir à ce qui a échoué pour la Gauche. Et je ne vois pas comment comment on peut s'en sortir si on n'est pas unis, avec un RN au bord du pouvoir... C'est pour ça qu'on propose l'union dès les Européennes, sinon chacun va faire une analyse différente des résultats et calculer, ensuite, pour chaque élection, l'empreinte locale sur fond de 60% d'abstention... Pour moi, c'est de la "politicaillerie". Il faut qu'on soit unis à toutes les élections. Ce qui demande quand même - parce qu'on entend des critiques là-dessus - d'aborder la soi-disante hégémonie de la France insoumise. On est prêts à en débattre. Mais pour les Européennes, quel est le parti qui dit "on est leaders à gauche mais prenez les têtes de liste". Que peut faire LFI de plus que de se minoriser, pour montrer que l'essentiel est d'être unis ?

Vous savez bien qu'une figure dérange dans cette union, une figure tutélaire qui tient encore beaucoup de place, Jean-Luc Mélenchon...

Ouais... Une figure tutélaire qui a réussi à mettre la Nupes en place, qui a fait en sorte que la Gauche ne se délite pas complètement... On ne parlerait plus de la Gauche s'il n'y avait pas eu cette proposition d'union. Mélenchon dérange par sa personnalité... Comme Roussel peut en déranger d'autres... D'ailleurs, je ne lui promets pas un avenir extraordinaire en pensant que, de Darmanin à Cazeneuve, on peut y aller... 

"Je fais partie de ceux qui pensent qu'il faut plus de démocratie dans une organisation qui compte 75 députés"

La méthode du remplacement de Jean-Luc Mélenchon à la tête de LFI par Manuel Bompard, sans discussion, a quand même fortement fait grincer des dents au sein même de LFI...

Je fais partie de ceux qui pensent qu'il faut plus de démocratie dans une organisation qui compte 75 députés et qui aspire à être le leader de la Gauche dans le cadre de la Nupes. C'est obligatoire. On est obligé d'être horizontal parce que LFI a besoin de s'ancrer dans les régions, dans les territoires. Il faut donc mailler. Sur la forme, c'était une erreur parce que je pense que si Manuel Bompard avait été présenté, il aurait été élu à l'unanimité ou pas loin, j'en suis persuadé. Ce n'était pas une bonne chose de ne pas passer par l'élection, ce n'est pas heureux. 

Parmi les textes qui seront discutés à l'Assemblée en juillet ou lors de la rentrée de septembre, quels sont ceux qui vous tiennent à coeur ?

La loi d'orientation agricole, qui arrivera en septembre-octobre, est essentielle. Parce que si on ne change pas de modèle, je ne sais pas comment on pourra aller vers une bifurcation écologique. Et j'espère vraiment que le monde agricole - surtout celui qui est majoritaire - va comprendre cela. Mais je n'en ai pas l'impression. Pourtant, ils ont un rôle essentiel à jouer dans cette bifurcation. Alors, bien sûr, il faut aider les agriculteurs et ne pas faire cette transition sans eux. C'est ce qu'il faut qu'on parvienne à planifier. Il y aura aussi la loi sur l'immigration... J'ai peur de ce qui peut advenir, en dehors de renforcer les mesures d'obligation de quitter les territoires, pour faire plaisir au RN... Et puis, ce qui m'inquiète, c'est le budget : si on n'a pas de budget conséquent pour la planification écologique, on va passer à côté de l'essentiel. C'est un point qui me tracasse. Tout comme la question du partage de la valeur, pour laquelle on ne prend pas le bon chemin. Une idéologie s'impose, où l'actionnariat va remplacer le salaire, jusqu'à remplacer l'intéressement et la participation. Et puis, il y a la question économique. Le chômage baisse, l'inflation ralentit, mais le PIB vacille. On ne sait pas si on va vers une récession mais les indicateurs ne sont pas au beau fixe. 

"Quand on fait de la politique, on est toujours frustré et on espère toujours"

Sur ces sujets, vous n'avez pas vraiment la main. Être "au coeur du réacteur" sans avoir accès aux manettes de commandement, ce n'est pas frustrant ?

Ah oui, c'est frustrant, je ne le cache pas. Je ne suis pas le seul député LFI à se dire "comment on va avancer ?" On sait qu'il y a de l'argent, une richesse énorme en France, et on n'arrive pas à la partager... Déjà, parce qu'on a une constitution qui ne va plus, qui donne trop de pouvoirs au Président de la République, auquel nous sommes inféodés. Il faut redonner du parlementarisme, plus de pouvoir au parlement. Ce qui amène à la question de la VIe République. Après... Quand on fait de la politique, on est toujours frustré et on espère toujours. J'ai 69 ans, et encore de l'espoir. 

Avec tous ces trajets parisiens, votre territoire d'élection ne vous manque pas un peu ?

Non parce que je me partage. Et puis, j'ai aussi été parisien et Paris me manquait. Bon... Je m'aperçois que Paris me manque beaucoup moins maintenant (rires), ce serait plutôt la verdure et mon petit village qui me manquent. Mais le sujet de la ruralité fait qu'on va s'intéresser de plus en plus à ce qui se passe dans les villages, à travers la question agricole notamment, la question du foncier, que devrait devenir la Safer le plus rapidement possible, que faire sur la ressource en eau, etc. Il y a aussi la question de la pauvreté dans les villages. Une autre question - qui me tient à coeur, venant de Saint-Félix-de-Pallières - c'est celle des pollutions, car nous sommes tous concernés. Que ce soit pour l'après-mine, à Saint-Félix et ailleurs, mais aussi sur la question des pesticides, qui concerne tout le monde. Sur ma circonscription, on va encore accentuer le travail. Je ne sais pas si j'aurai le temps de faire les 140 communes de ma circonscription - j'en ai déjà fait un bon tiers. C'est compliqué d'être présent partout...

(*) Michel Sala était maire de Saint-Félix-de-Pallières avant d'être élu député. Il est toujours conseiller municipal de la commune.

Propos recueillis par François Desmeures

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