Publié il y a 4 h - Mise à jour le 08.08.2025 - Coralie Mollaret - 4 min  - vu 579 fois

FAIT DU SOIR Cinq clefs pour comprendre la plainte contre Bruno Retailleau

Bruno Retailleau

 Bruno Retailleau

- Coralie Mollaret

L’ex-bâtonnier du barreau de Nîmes a déposé plainte, ce matin, contre le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Si Khadija Aoudia doute de l’efficacité de sa démarche, elle entend saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour défendre le droit, pour tous les justiciables, à un procès équitable. Explications. 

1. Juridiction d'exception

Des paroles aux actes. Après l'annonce, hier sur Objectif Gard, la plainte a été déposée, ce matin, auprès du procureur général près la Cour de cassation. L’avocate nîmoise agit au nom d’une association souhaitant, pour l'heure, rester anonyme. Seules informations fournies : la structure serait « locale, financée par l’État et le conseil départemental ». Si le procureur décide de renvoyer le ministre de l’Intérieur devant la justice, l’affaire sera jugée par la Cour de justice de la République. Créée en 1993, cette juridiction est la seule compétente pour juger les membres du gouvernement en exercice. Elle est composée de 15 juges, dont 12 parlementaires et trois magistrats de la Cour de cassation. Ces juges sont donc majoritairement politiques, ce qui alimente souvent les critiques contre la Cour. « Sur les 22 000 requêtes reçues : seules 56 ont été transmises au procureur général et à peine six ont donné lieu à un jugement, dont certains se sont soldés par une relaxe », détaille Me Aoudia. Dernier procès en date : l’ex-ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, jugé en 2023 pour prise illégale d’intérêts. Il a été relaxé.

2. Provocation à la haine et discrimination

Il a fallu trois juristes et deux semaines pour passer au crible une année d’interviews du ministre de l’Intérieur. Résultat ? L'avocate Nîmoise soutient : « Bruno Retailleau a multiplié les prises de parole publiques et médiatiques, dans lesquelles il développe une rhétorique récurrente, tendant à présenter comme menaçantes ou incompatibles avec les valeurs de la République les personnes de confession musulmane, et plus largement encore, les ressortissants algériens ou ceux perçus comme tels. » Plusieurs exemples sont cités dans la plainte, comme cette déclaration sur le 29 septembre sur LCI : « L’immigration n’est pas une chance pour la France (…) Notre culture est judéo-chrétienne. Le creuset français se fait à Jérusalem, Athènes, Rome ». Toujours sur LCI, le 6 février 2025 : «  Le voile est un signe d’apartheid (…) Vous avez là l’exemple d’une société totalement déséquilibrée par les flux migratoires. Or, ce sont des musulmans, ils sont noirs…  » 

3. Racisme décomplexé ? « On dit facilement sale Arabe ! »

Pour l’avocate, les propos de Bruno Retailleau relèvent clairement d’une « idéologie », démontant un caractère « intentionnel » : « Bruno Retailleau cherche à convaincre l’ensemble de la nation française qu’elle ne peut être perçue que selon un seul modèle : une origine ethniquement européenne et issue d’une civilisation judéo-chrétienne (...) Quand on en arrive là, ça fait tout de même penser à des périodes troubles de notre histoire. » L’association, que défend l’avocate, constate un phénomène inquiétant : « la parole raciste s’est véritablement décomplexée : on dit facilement “sale Arabe”. »

L'avocate nîmoise Khadija Aoudia, la tête du barreau de Nîmes de 2023 à 2024
L'avocate nîmoise Khadija Aoudia, la tête du barreau de Nîmes de 2023 à 2024 • Coralie Mollaret

Cette tendance serait, toujours selon l'avocate, facilité par ce type de discours politique : « Si les politiques ne vont pas légitimer la transgression de la loi, les crimes ou les délits, ils ne mesurent pas, ou délibérément omettent de mesurer, les conséquences de l’installation progressive d’un rejet ciblé d’une partie de la population. » Conséquence : « Quand on laisse perdurer ces situations de crise, elles finissent nécessairement par exploser. L’explosion, c’est ce triste cas du jeune entrant dans une mosquée en se filmant… Si vous vous filmez, c’est que vous êtes fier. Si vous êtes fier, c’est qu’une partie de la société vous rend fier. »

4. Derrière Bruno Retailleau, l’autre but de la plainte

L’avocate nîmoise ne se fait guère d’illusions. Au vu du faible nombre de ministres traduit devant la Cour de justice de la République, « j’ai de sérieuses raisons de douter de l’efficacité de cette juridiction », confie-t-elle. Sa plainte offre alors à l'avocate une tribune pour exposer les valeurs de son client mais pas que... « J'entends saisir la Cour européenne des droits de l'Homme. Pour ça, il faut d’abord épuiser les voies de recours internes », annonce-t-elle. Selon Me Aoudia, le droit à un procès équitable n’est pas garanti en France dès lors que les mécanismes en place ne permettent pas à tous les justiciables de faire valoir leur cause. « Lorsque Éric Zemmour a tenu un seul propos similaire (à ceux de Bruno Retailleau, NDLR), il a été traduit devant le tribunal correctionnel, et les juges ont estimé que l’infraction était caractérisée — et il n’était qu’un homme politique », rappelle-t-elle. « Aujourd’hui, est-ce que cette juridiction permet vraiment l’accès au droit pour tout justiciable, comme le garantit l’article 1er de notre Constitution, qui affirme l’égalité devant la loi ? » Un combat judiciaire peut en cacher un autre... 

5. Insultes et menaces

En introduction de sa conférence de presse, ce matin, l’avocate nîmoise a évoqué « un déferlement de haine, de menaces » : « J’ai bien compris que ma couleur de peau pouvait être une difficulté. Pourtant, moi, je la trouve très bien. J’ai bien compris que mon prénom pouvait l’être aussi… Pourtant, je le trouve magnifique, fort de plus de 2000 ans d’histoire ! » Elle poursuit, non sans ironique : « Il y a une chose qu’il va falloir m’expliquer : pourquoi, lorsqu’une femme s’exprime dans l’exercice de ses fonctions, la première menace, c’est de vouloir la violer ? Est-ce qu’il y a des refoulements pervers qui ne sont pas exprimés et qui peuvent se libérer derrière les réseaux sociaux ? » Et de conclure : « Ce serait risible… si ce n’était pas si grave. Quand on a une centaine de personnes avec un positionnement haineux, c’est difficile d’apporter un positionnement fraternel et égalitaire. »

Coralie Mollaret

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