FAIT DU SOIR Une stèle pour les enfants de Harkis enterrés sans sépulture au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise
C’était il y a désormais 61 ans, mais Aïda Seifoune n’a pas oublié ce jour de l’hiver 1963 lors duquel son nourrisson, âgé d’à peine un mois, est mort de froid dans ses bras. Le corps du petit Raoul ne sera retrouvé qu’en 2023, avec 26 autres sépultures, dans un cimetière non déclaré à un jet de pierre du camp de Harkis de Saint-Maurice-l’Ardoise. Ce mardi, veille de la journée nationale d’hommage aux Harkis, une stèle sur laquelle les 27 noms sont inscrits, a été inaugurée.
« Il neigeait, et on n’était pas bien logés, se remémore Aïda Seifoune. Mon fils a attrapé la coqueluche, il est mort tout de suite. » À partir de là, c’est le noir complet : la dépouille de son nourrisson lui est prise. « Je n’ai rien vu, on ne m’a rien dit, souffle la vieille dame. J’ai toujours pensé à lui, jusqu’à aujourd’hui, mais je ne savais pas où il était enterré, on ne m’a rien dit. »
Pour retrouver la trace du petit Raoul et de ses compagnons d’infortune, il a fallu l’abnégation de Nadia Ghouafria. Cette fille de Harkis qui ont séjourné 220 jours dans le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, entre Laudun-l’Ardoise et Saint-Laurent-des-Arbres, se met en tête de retrouver des archives concernant ses parents. Elle fait une demande de dérogation pour consulter certains documents, demande qui lui est accordée deux ans plus tard. Le 20 août 2019, la voilà donc aux Archives départementales du Gard, où elle accède à deux dossiers. Ce qu’elle y lit ne concerne pas ses parents, mais lui glace le sang.
« Ces enfants, enterrés sans sépulture décente et abandonnés, ont retrouvé leur humanité »
« Je trouve un registre d’inhumation provisoire du cimetière du camp, un procès-verbal établi par les gendarmes de Roquemaure daté de 1979, une planche de six photos et deux plans », présente-t-elle. Sur le registre, 31 noms, 30 enfants et un adulte, comme autant de dépouilles enterrées dans un champ. Mais où ? « Je savais que c’était quelque part dans la garrigue, mais le PV des gendarmes disait de ne pas ébruiter l’affaire », se remémore-t-elle. De ce fait, impossible dans un premier temps de savoir où ces corps sont enterrés.
Des recherches démarrent, et le cimetière est localisé, chemin de Rossignac, derrière le camp. Des fouilles archéologiques sont menées, et 27 sépultures sont identifiées le 20 mars 2023. Désormais, le terrain militaire, longtemps laissé en friche, a été aménagé par les légionnaires du 1er Régiment étranger de génie. Le dévoilement de la stèle ce mardi est « une étape importante, la mémoire de ces enfants a été honorée, souligne Nadia Ghouafria. Ces enfants, enterrés sans sépulture décente et abandonnés, ont retrouvé leur humanité. »
Pour autant, « cette cérémonie n’a pas la force à elle seule de guérir les blessures passées », reconnaît le préfet Jérôme Bonet. Cependant, le préfet estime qu’il s’agit là « d’une étape importante », les mêmes mots que Nadia Ghouafria, pour les Harkis, qui, en 1954, ont « fait le choix de la France », rappelle-t-il, choix qui leur vaudra des représailles sanglantes en Algérie, et « un accueil en métropole pas à la hauteur de l’engagement et l’abnégation dont vous avez fait preuve », dira le préfet aux Harkis présents sous le soleil de cet après-midi de début d’automne.
L’internement des Harkis dans les camps jusqu’en 1976, « un abandon » pour le préfet, auquel « certains n’ont pas survécu. » C’est le cas de nombre d’enfants donc, terrassés « dans des camps de transit surpeuplés, qui vivaient sous des tentes lors d’un hiver 1963 particulièrement rude, et avec un système sanitaire déficient », rappelle l’historienne et membre de la commission Harkis Anne Delphy. Résultat : de nombreux enfants enterrés sur place sont morts-nés, la plupart âgés de quelques jours ou quelques semaines, la plus âgée était une fillette de 4 ans, « un âge auquel le sentiment d’injustice s’ajoute à la peine », affirme Jérôme Bonet. De leurs obsèques, « on ne sait pas grand chose », reconnaît l’historienne, tout juste que « ce n’est pas un charnier, les tombes sont distinctes, maçonnées à la tête et aux pieds », rajoute-elle. La position d’un des deux corps exhumés laisse à penser que certains rituels de l’islam ont été suivis lors des enterrements.
Des recherches ADN à venir
Une fois « sorti de l’oubli » en 2023, selon les termes du représentant de l’État, le cimetière a été le théâtre d’un important travail « pour pouvoir accueillir dignement, le plus rapidement possible, ces enfants dans la communauté nationale », poursuit-il. Car la plupart des enfants enterrés n’ont pas d’existence à l’état civil, certains n’ont même pas de prénom. Les identifier précisément sera la prochaine étape, explique la procureure de la République de Nîmes Cécile Gensac.
« Nous allons, en lien avec l’Office national des anciens combattants, mettre en place un système de prélèvements ADN pour faire des comparatifs avec ceux des corps enterrés », explique-t-elle. Le but étant d’établir des états-civils pour ces morts trop longtemps oubliés, et, le cas échéant « pouvoir rendre ces corps aux familles », rajoute la procureure, qui parle de « cas par cas ». Pour l’instant, nous en sommes à la phase préparatoire, d’un travail qui prendra « certainement plusieurs mois », estime Cécile Gensac. « Il reste un long chemin pour offrir à chaque enfant une sépulture en ce lieu ou ailleurs », abonde le préfet.
Notamment pour résoudre un mystère : celui des neuf sépultures ouvertes, et vides, recensées dans le PV des gendarmes en 1979. « Où sont passés ces neuf défunts exhumés ? », demande Nadia Ghouafria, en affirmant que les familles n’y sont pour rien. Reste que la reconnaissance de cimetière, son combat, a abouti. « Mais ce n'est pas fini, même si de voir ce cimetière aujourd’hui… On a fait un paradis pour ces petits anges. »
En attendant, l’inauguration de cette stèle était très attendue par les familles. « Je suis contente qu’il y ait son nom, c’est ça qui existe, sourit Aïda Seifoune. C’est quelque chose de bien, mieux que rien du tout. »
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