LE 7H50 de Jean-Marie Albouy : "Ce n'est pas le tribunal de commerce qui enlève les maisons aux chefs d'entreprise"
Jean-Marie Albouy, président du tribunal de commerce de Nîmes revient pour Objectif Gard sur les conséquences économiques de la crise liée au coronavirus. Il salue les mesures gouvernementales tout en s'inquiétant pour les entreprises du Gard. Il est l'invité du 7H50.
Objectif Gard : Comment analysez-vous cette crise ?
Jean-Marie Albouy : C'est une crise sans précédent. Même les crises financières et le crash boursier de 2008 n'ont pas fait autant de dégâts. Là, c'est le commerce et l'économie du réel qui ont été touchés et pendant deux mois. Et je ne vous parle pas des cafés, restaurants, etc. qui ne sont toujours pas ouverts.
Considérez-vous que les mesures gouvernementales ont été suffisantes ?
Il fallait impérativement des mesures. Je crois que l'État a très bien fait. Les banques ont aussi joué le jeu largement. Reste la solution pour les chefs d'entreprise en grande difficulté de se mettre sous la protection du tribunal.
De quoi s'agit-il ?
Pendant de nombreuses années, les patrons avaient peur de faire appel au tribunal de commerce car ils avaient le sentiment d'un échec et d'aller tout droit à la faillite. Aujourd'hui, il existe de nombreuses solutions et des droits pour les entreprises en difficulté. En s'appuyant sur le livre VI du Code du commerce, on peut permettre à des entreprises de rebondir par une procédure de sauvegarde ou de redressement.
Mais aujourd'hui un chef d'entreprise qui pousse votre porte pour mettre en place ce type de procédure restera dans un sentiment d'échec...
Ce n'est pas un échec. Moi-même, 43 ans dans la même entreprise, il m'est arrivé d'avoir des difficultés. Le tribunal de commerce donne des possibilités de rebond. Vous savez, je suis un adepte de la prévention. Il faut absolument rompre l'isolement du chef d'entreprise. Quand je les reçois, ils peuvent ainsi exprimer leurs craintes, leurs doutes. Jusque là, la seule personne à qui ils se confient, c'est leur conjoint qui n'a pas elle-même de solutions. Nous sommes plusieurs interlocuteurs privilégiés pour eux.
Dans quel état d'esprit êtes-vous pour les prochains mois dans le Gard. Inquiet ou optimiste ?
Très inquiet, honnêtement. On a anesthésié les entreprises pendant plusieurs semaines. Le chômage partiel a pris le relais mais maintenant, on fait comment ? Est-ce que les commandes vont repartir ? Et ce qui m'inquiète le plus, ce sont les prêts accordés aux entreprises via la garantie de l'État. Les échéances sont reportées dans 12 mois. C'est très bien mais on a créé quand même une nouvelle dette au sein de l'entreprise qu'il va falloir incorporer dans le courant dans un an. Et si l'entreprise n'arrive pas à assumer, on fait comment ? D'autant que dans la quasi totalité des cas, le chef d'entreprise s'est porté caution personnellement. J'insiste donc auprès des entrepreneurs en difficulté : il ne faut pas hésiter. La procédure de sauvegarde protège l'entreprise et le chef d'entreprise y compris par rapport à la caution personnelle. J'ai tellement vu de drame personnel avec des patrons qui perdent tout, y compris leur maison.
Quelles sont les signes pour prendre la bonne décision et franchir la porte du tribunal ?
Il faut d'abord et avant tout une parfaite complicité avec son expert-comptable qui a une vision pertinente de la santé de l'entreprise. Ensuite, il faut faire un prévisionnel. Et regarder attentivement si les factures et échéances je suis en capacité de les payer ou pas. Et surtout celles qui viennent le mois prochain. Si la trésorerie manque cruellement, il faut se poser les bonnes questions.
Avez-vous déjà des entreprises qui déposent le bilan par rapport à la crise liée au coronavirus ?
C'est difficile de vous répondre car on a le sentiment que les entreprises et commerçants sont endormis sur une table d'opération. Je dirais que la première vague sera là d'ici la fin de l'année et particulièrement en 2021. Mais le réveil risque d'être brutal. J'invite donc les chefs d'entreprise qui sont inquiets et ne sentent pas des capacités de reprise à court et moyen terme à demander une procédure de sauvegarde. Ce n'est pas le tribunal de commerce qui enlève les maisons aux chefs d'entreprise.
Propos recueillis par Abdel Samari
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