Société
Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 01.06.2023 - François Desmeures - 5 min  - vu 1746 fois

FAIT DU JOUR Des bonnes volontés partagées et beaucoup d'huile de coude font revivre Saint-Jean-de-Valériscle

Isabelle Cardelin, Laurent Lhomme et le président de l'association la Boulange, Éric Vignon

- François Desmeures

Tout a commencé par la création d'un marché, puis la reprise de la boulangerie, devenue épicerie associative. Une masseuse, attenante à un salon de coiffure, et une couturière remplissent aujourd'hui les points cardinaux de la place Pierre-Agniel. En tout, quatre locaux ont ouvert grâce à l'ancien boulanger du village, sa mère, de nouveaux arrivants, une association pour les réunir, une ambiance sympathique, un président tenace et l'envie partagée de ne pas regarder le village dépérir sans avoir fait quelque chose pour s'y opposer. 

Isabelle Cardelin, Laurent Lhomme et le président de l'association la Boulange, Éric Vignon • François Desmeures

Yolande a la mémoire des dates. "La boulangerie a eu 43 ans le 12 mai", explique la "fille du village" alors qu'elle n'est que de passage dans le local. "J'ai continué jusqu'à mes 65 ans, puis fermé en 2018 parce que j'avais perdu mon mari. Mon fils a repris derrière. Mais il n'y avait plus aucun commerce ici." 2018, c'est aussi l'année où Laurent Lhomme et Céline Lemonnier récupèrent la gestion de l'auberge communale. "Lors du deuxième confinement, notre restaurant était fermé." Et au lieu d'écumer les cours de yoga en ligne ou d'épuiser les séries des plateformes, Laurent et Céline décident d'aller voir le boulanger qui, s'il a déplacé son commerce dans une commune plus fréquentée, reste propriétaire des murs de l'ancienne boulangerie avec sa mère, Yolande donc. 

Yolande, boulangère historique du village et dont le fils a confié la boutique à l'association la Boulange • François Desmeures

"On voulait transformer la boulangerie en épicerie associative. On a créé un noyau dur de personnages, une dizaine, et on a négocié pour que le boulanger nous prête le local gratuitement. En échange, on lui vend ses viennoiseries, c'est le deal." Plutôt que de laisser une coquille vide dont la location commerciale est très hypothétique, le boulanger a vite fait ses calculs. Et scellé l'accord avec la dizaine de "pièces rapportées" qui ont créé la Boulange et ont, depuis, arrimé des personnages locaux à leur barque. 

Un marché médiéval, les 22 et 23 juillet

"On en a profité pour mettre en place de l'animation, embraye Isabelle Cardelin, autre moteur à réaction de cette petite bande volontariste. On a essayé de remettre des coutumes au goût du jour, comme l'omelette en forêt le lundi de Pâques. L'an dernier, on a eu 80 personnes et 100 cette année, avec de la musique l'après-midi. On a organisé un loto aussi." L'association a d'ailleurs décidé d'exhumer "une grosse fête médiévale" que le village accueillait il y a une trentaine d'années. Ce sera finalement un marché médiéval, dans les ruelles du village, les 22 et 23 juillet prochains, "sur deux jours pour permettre aux vacanciers arrivés le samedi de venir". Une manifestation possible grâce à la "collaboration avec la costumière de la semaine médiévale d'Alès"

En plus des bonnes volontés, c'est cet aspect fédérateur qui permet à l'entreprise de continuer, voire de se renforcer, avec des soirées jeux ou danse. "On essaie de mettre un coup de pied pour casser les habitudes", tranche Isabelle Cardelin pour expliquer qu'elle ne va pas regarder les années passées en se désespérant de la mort du village. Le succès -  qui correspond aussi à une envie partagée de retourner vivre à la campagne - fait qu'il n'y a, désormais, "presque plus rien à vendre" dans le village. 

Cette raréfaction du foncier, l'association y a, en quelque sorte, participé. En diagonale par rapport à l'épicerie trône maintenant L'Atelier, un ancien "appartement vétuste, dans un état pitoyable". Delphine Michels s'y est fait une place, après deux mois de travaux estivaux réalisés avec Isabelle Cardelin. "Avec des bouts de ficelle, s'amuse Isabelle, comme des pots de peinture récupérés à la déchèterie. On a développé le lavage, repassage, retouches et blanchisserie." En peu de temps, finalement : quand la Boulange ouvrait en décembre 2020, l'Atelier a vu le jour en septembre 2021. 

Delphine Michels met son esprit créatif au service de la couture, en plus de tenir une blanchisserie • François Desmeures

"En plein confinement, je me suis retrouvée au marché de Saint-Jean", rembobine Delphine Michels. Un marché qui, au passage, avait été recréé, dans la cour de l'auberge, par Laurent Lhomme et Céline Lemonnier, avant que la mairie n'en récupère le créneau. Au marché, Delphine fait des rencontres et voit l'occasion d'un local sur place. À la base, elle est photographe. Mais la confection de sachets de dragées pour son mariage lui a donné d'autres envies. "Je suis désormais immatriculée avec les deux activités, mais la couture a pris le dessus", reconnaît-elle. 

"Je me sentais portée par cette bulle d'énergie"

Delphine Michels, couturière et photographe

Del Fil couture occupe donc désormais une bonne partie de l'Atelier, qui continue le côté blanchisserie. Dans un village qui peut paraître limité en matière de zone de chalandise pour une activité de couture. "Je n'ai pas réfléchi en fait en m'installant, c'est peut-être mieux d'ailleurs, sourit Delphine.  Je me sentais portée par cette bulle d'énergie." Une bulle qui diffuse de la pensée positive. Parce que si Delphine va chercher des marchés - "je propose de passer chez les professionnels pour le linge des chambres d'hôtes" - elle peut aussi bénéficier d'habitants qui jouent le jeu côté création. "On m'a confié de refaire tous les rideaux des mobil-home du camping de Saint-Jean-de-Valériscle. La saison n'a pas commencé et j'ai déjà beaucoup de retouches à faire, et plein d'envies de création." Et un vrai site Internet, désormais, éventuel pourvoyeur de marchés. 

Daphnée, entre salon de massage, bracelets en pierre et vêtements de seconde main • François Desmeures

Mais l'histoire ne s'arrête pas ici. "Avec le président, Éric Vignon, et Isabelle, on a décidé de louer en face de l'épicerie, poursuit Laurent Lhomme. On a fait évoluer nore projet." Car, entretemps, une fille du village, Daphnée Sugier, est entrée dans l'aventure. "Elle avait une idée de salon de massage, le local a été divisé en trois pour trois commerces." Et Daphnée s'est installée en septembre 2022 pour pratiquer "du massage énergétique, du travail de la pierre et des colliers à la demande. Et depuis que j'ai ouvert, je n'ai même pas le temps de faire de la communication. J'ai même des gens de Lézan et de Bagard qui viennent." Daphnée accueille aussi un rayon de vêtements de seconde main, des bracelets en pierre - "ma passion" - etc. "L'objectif que je m'étais donné en deux ans, je l'ai fait en quatre mois." 

Dans le local, la Boulange a aussi créé un salon de coiffure, avec l'équipement nécessaire, au gré des récupérations. "Maintenant, on cherche un coiffeur, éventuellement en co-working, qui viendrait trois jours par semaine." Pour l'instant, le local accueille, le lundi, un psychopraticien et dépanne ceux qui ont besoin de se faire rafraîchir le crâne. 

Le salon de coiffure, prêt à accueillir un professionnel, même deux ou trois jours par semaine • François Desmeures

Après plus de deux ans de collaboration, d'idées et d'huile de coude, les vingt adhérents de la Boulange peuvent regarder le parcours accompli avec satisfaction, à défaut de fierté qui risquerait peut-être de figer les projets. "Il y a une énergie entre nous, analyse Isabelle Cardelin. On sait se dire les choses. Et puis, quand l'un d'entre nous est fatigué, un autre prend le relais. Le village s'était comme gelé depuis vingt ans, il est redevenu moteur de la vallée." "On a appris le métier, renchérit Éric Vignon, le président qui habite depuis 20 ans à Saint-Jean, on en a aussi pris plein la gueule." De la part d'habitants chafouins de ne pas être à l'initiative ou qui se demandent, sous le manteau, d'où viennent éventuellement les moyens mis sur la table. Une bassesse pour juger une activité réalisée avec peu de moyens, qui n'a rien demandé à personne, si ce n'est inviter les habitants à se prendre en main.

"Le plus drôle, c'est que ça s'est fait un soir d'apéro"

Isabelle Cardelin, l'un des moteurs de l'association

"Le plus drôle, c'est que ça s'est fait un soir d'apéro", sourit Isabelle. "Ah oui, vraiment un soir d'apéro", abonde Éric Vignon, qui ne dit pas si la présidence lui est échue à la faveur d'un verre de trop. L'énergie déborde au-delà du village, par les produits mis en rayon à l'épicerie, "locaux, d'un rayon de 50 kilomètres maximum". "On ne savait pas, finalement, qu'autant de personnes produisaient autour de nous." Bières de Saint-Florent, farine de Saint-Ambroix viennent souvent compléter l'achat de pains et viennoiseries. Une petite terrasse permet de prendre un café aux beaux jours, dans un village où les gens s'interpellent avec le sourire et les enfants jouent au milieu de la rue. La prochaine ambition de la Boulange réside dans la création d'un poste de salarié, qui serait en bonne voie. "Pour nous, l'avenir est dans la vallée", résume Isabelle Cardelin. Un avenir qu'ils participent à construire de façon positive. 

La Boulange est ouverte du mardi au vendredi, de 7h30 à 13h et de 16h à 19h. Le samedi, de 8h à 12h et de 16h à 19h. Le dimanche, de 8h à 12h. Tél. : 04 66 25 73 43. 

François Desmeures

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