Publié il y a 1 an - Mise à jour le 07.02.2023 - Corentin Migoule - 6 min  - vu 836 fois

FAIT DU JOUR Petit-fils de résistant, l'inusable Alain Martin au cœur de la lutte contre la réforme des retraites

Alain Martin

Alain Martin, 68 ans, combat avec fermeté la réforme des retraites. (Photo Corentin Migoule)

À 68 ans, Alain Martin, près de 50 ans de syndicalisme actif derrière lui, se retrouve à la tête de la lutte alésienne contre la réforme des retraites. À bord de son camion-sono depuis lequel il déclame ses slogans savamment élaborés, le cégétiste insoumis ouvrira le cortège du jour qui s'élancera de la sous-préfecture.

"Les annuités pour la retraite, c’est comme la température. 37,5 c’est bien, 42 tu es mort", "Élisabeth, nous aussi on est bornés et on tiendra jusqu'au bout" ou encore "Macron est un jardinier qui arrose le fleuve pendant que son jardin dépérit". Qu'ils sortent de sa tête ou de celle d'un célèbre représentant syndical, ces slogans sont tous déclamés régulièrement par Alain Martin, connu comme le loup blanc dans la capitale des Cévennes.

Après une période de vaches maigres pour son syndicat, qui peinait à mobiliser, la Confédération générale du travail retrouve des couleurs à mesure que la lutte contre la réforme des retraites s'intensifie. En parvenant à réunir près de 10 000 personnes à deux reprises dans les rues d'Alès en janvier dernier, l'intersyndicale a frappé un grand coup. Et les slogans d'Alain Martin ont retenti bien plus fort que d'ordinaire.

Alain Martin
Alain Martin, 68 ans, combat avec fermeté la réforme des retraites. (Photo Corentin Migoule)

Ainsi, ces dernières semaines, la Bourse du travail, où loge l'Union locale de la CGT, a vu défiler les caméras de nombreux médias nationaux qui ne s'étaient pas intéressées aux syndicalistes alésiens depuis fort longtemps. Pas plus tard qu'hier, lundi, Alain Martin était interrogé par les journalistes de France 5. Un quart d'heure de gloire médiatique que ne recherchait pas vraiment cet ancien membre du Parti communiste français (PCF), aujourd'hui "plus que jamais" militant à La France insoumise.

Pas franchement concerné par la réforme des retraites qui se profile, celui qui soufflera sa 69e bougie en octobre prochain la joue altruiste sur le coup. "J'ai un fils et des petits-enfants", justifie le cégétiste. Et d'ajouter : "Le Gouvernement commence à s'attaquer à ça, mais il ne faut pas être dupes, après il s'attaquera aux retraités en disant qu'ils ont trop d'avantages." 

Mis au placard

Retraité de la fonction publique depuis 2017 après une carrière tumultueuse, Alain Martin garde un souvenir très précis de cette longue période "de plusieurs années". Alors qu'il rentre à la mairie de Saint-Martin-de-Valgalgues, en 1976, lorsque celle-ci est aux mains des communistes, le fonctionnaire territorial embrasse la voie du syndicalisme quelques années plus tard pour ne plus jamais desserrer l'étreinte. 

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Deux jours par semaine, Alain Martin met ses compétences juridiques au service des territoriaux à la Bourse du travail. (photo Corentin Migoule)

Mais tout bascule à partir de 1989 quand le PCF cède la mairie à Georges Petit. "Pénalisé" par son activité syndicale, Alain Martin est tout bonnement mis au placard par le maire de l'époque qui lui fait vivre "l'enfer" en l'expédiant aux anciennes archives municipales. "J'étais dans une pièce qui ressemblait à un hôpital. Les murs étaient blancs. Pour le symbole, le maire avait eu le vice d'accrocher une photo des morts pour la France juste au-dessus de mon bureau", se souvient sans mal le sexagénaire, qui vit alors l'épisode comme une condamnation à mort professionnelle.

Derrière les barreaux

S'ensuivront plusieurs victoires devant le tribunal administratif et quelques défaites en raison de témoignages - défavorables - "sous la contrainte" d'ex-collègues de travail. Le contexte est houleux et les conditions de travail sont pesantes pour celui qui est d'un naturel discret. Dans son petit bureau isolé en mairie, les fenêtres sont équipées de barreaux. "S'il n'y avait pas eu ces grilles, je me demande bien ce que j'aurais pu faire", rejoue Alain Martin, toujours marqué bien des années plus tard. 

Ébranlé par l'affaire, le natif de Bessèges ne s'en trouve pas moins galvanisé par la solidarité qui s'exprime alors. "Il fallait être solide pour résister à tout ça. C'est la CGT qui m'a aidé !", rappelle-t-il. En effet, le 4 mai 2010, une date qu'il "n'oubliera jamais", 800 cégétistes venus de toute la France se réunissent devant les grilles de la mairie de Saint-Martin-de-Valgalgues pour soutenir leur camarade qui, avec Martine Sagit (actuelle secrétaire générale de l'UL CGT Alès), se voyait une nouvelle fois reprocher son engagement syndical. 

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Alain Martin et la CGT militent pour un retour du départ à la retraite à 60 ans. (Photo Corentin Migoule)

Un engagement syndical qui relève pourtant de l'évidence pour ce petit-fils de résistant arrêté par la police du régime de Vichy au début des années 40 et torturé par la Gestapo. "Suite à ça, mon grand-père a laissé une lettre (à sa simple évocation, sa gorge se noue et des sanglots éclatent)", indique Alain Martin. "Malgré les tortures, aucun renseignement ne sort de ma bouche. Il est de mon devoir de soldat sans uniforme de ne pas trahir la confiance de mes camarades pour la continuation de la lutte", écrit alors André Martin.

Un héritage qui posera les jalons de la résistance chez les Martin. "J'ai ça dans le sang ! Je ne peux pas l'oublier. C'est ce qui guide ma lutte encore aujourd'hui", prévient le sexagénaire qui, s'il a baigné dans le syndicalisme et l'engagement politique, a bien failli les fuir pour ne pas reproduire un schéma familial. "Mon père était syndicaliste très actif et militant du PCF. J'ai été élevé dans cette culture de lutte. C'est d'ailleurs ce qui, au départ, m'avait freiné dans ma propre lutte. En faisant de son engagement syndical une priorité, mon père m'a manqué. J'en ai souffert sur le plan affectif, même si je ne lui en veux pas du tout", raconte Alain Martin, ému.

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Les pancartes de la CGT sont préparées et stockées à la Bourse du travail. (photo Corentin Migoule)

Mais s'il s'est échiné à ne jamais négliger sa vie de famille, c'était plus fort que lui : le Bességeois n'a pas résisté à un engagement total et une fidélité à toutes épreuves envers le syndicat CGT dont il apprécie "les valeurs humaines, solidaires et progressistes" qui en émanent. "Quand on touche un syndicaliste de la CGT, c'est toute la CGT qui répond", se réjouit ce membre de la commission exécutive de l'Union locale, lequel en a donc lui-même fait l'expérience. 

Depuis, le duo qu'il forme avec Martine Sagit s'en est trouvé renforcé. Et c'est avec un enthousiasme qu'il n'avait pas ressenti depuis longtemps que le tandem Ferrat-Aubret de la CGT alésienne aborde ce troisième acte majeur de la mobilisation contre la réforme des retraites. "Dernièrement, quand on tracte, huit voitures sur 10 s'arrêtent et les gens nous disent qu'ils sont avec nous. C'est encourageant !", savoure Alain Martin.

"Les régressions sociales ne se négocient pas mais se combattent"

Alors que la manifestation s'élancera sur les coups de 10h de la sous-préfecture, le dernier nommé, levé depuis l'aube pour préparer les dernières pancartes, aura pris soin de charger le groupe électrogène alimentant le camion-sono qu'il conduira lui-même. C'est ce même camion qui ouvre le cortège et depuis lequel il déclame de sa voix suave et fluette des slogans savamment élaborés.

Ceux qui le côtoient au quotidien le savent pourtant timide, presque introverti. Mais quand il s'agit de défendre les "acquis sociaux", le syndicaliste alésien sait se faire violence le temps de la manifestation. "Comme je suis tout seul devant, dans le camion, je ne me rends pas compte qu'il y a 10 000 personnes derrière moi. Tout ce que j'ai concocté dans la semaine ressort au cours de la manif'", affirme-t-il. Car Alain Martin ne laisse rien au hasard. 

En plus d'une grosse veille médiatique qui lui permet de réagir en permanence à l'actualité, le sexagénaire a de l'esprit. Biberonné aux calembours de Raymond Devos et Boby Lapointe, le père de famille nourrit sa pensée à travers des lectures de textes du "grand monsieur" qu'était Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT de 1982 à 1992, lequel estimait que "les régressions sociales ne se négocient pas mais se combattent". Une formule encore d'actualité. 

"On est sur un baril de poudre"

Ces dernières heures, celui que l'on peut fréquemment entendre entonner le refrain chipé à Ambroise Croizat selon lequel "la retraite ne doit pas être l'antichambre de la mort" a encore travaillé ses punchlines. La dernière en date : "Macron, prends ta retraite, pas les nôtres !" Si ses slogans sont bien souvent teintés d'humour, Alain Martin met un point d'honneur à ce qu'ils ne soient jamais insultants : "C'est comme une caricature, en deux dessins, on arrive à exprimer une idée qui percute mieux qu'un long discours. L'humour passe mieux que la méchanceté. Il est mieux accepté !"

Avant d'être scandées dans les manifestations, ses fulgurances - souvent nocturnes - sont testées sur son compte Facebook et "très souvent partagées". Alors que le troisième acte de la mobilisation contre la réforme des retraites est imminent, l'attente est immense dans les rangs de la CGT. "Beaucoup de lycéens ont prévu de bloquer et d'être avec nous. À mon âge, voir tous ces jeunes qui réagissent, c'est beau", apprécie l'Insoumis

Quoi qu'il advienne ce mardi 7 février en fin de matinée, le Cégétiste ne se risquera pas à avancer un nombre de manifestants. "Sachez qu’on est encore plus nombreux que les chiffres que vous verrez dans les médias", se plaît-il à clamer régulièrement au micro. Comme en 2010, lorsque la CGT avait réussi à se mobiliser "sur la durée", le syndicaliste sait qu'il participe à un "marathon" et non pas à un "sprint". "On est sur un baril de poudre. On ne sait pas qui va déclencher l'étincelle, mais ça va bientôt péter !", avertit le retraité. 

Corentin Migoule

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