Publié il y a 11 mois - Mise à jour le 15.05.2023 - Marie Meunier - 6 min  - vu 1956 fois

FAIT DU JOUR Changer de nom est plus facile et "ça change la vie"

changement de nom

Marine Gatineau-Dupré, présidente de l'association "Porte mon nom", Lucie Dulac et Marlène Lasne. 

- photos DR et Marie Meunier

En vigueur depuis le 1er juillet 2022, une loi permet de changer de nom de famille plus facilement. Début décembre 2022, déjà plus de 40 000 demandes avaient été recensées en France. Les motivations sont multiples comme en témoignent plusieurs Gardoises qui y ont eu recours.

Un nom peut forger une identité. Certains en sont fiers ou l'ont accepté sans jamais s'être posés de question. D'autres ne s'y reconnaissent pas, trouvent qu'il sonne faux ou creux. D'autres encore auraient préféré porter leur "matronyme" ou transmettre le leur à leurs enfants. Jusqu'alors, il était très compliqué en France de changer de nom de famille. Mais le 1er juillet, une nouvelle loi facilitatrice pour les noms "issus de la filiation" est entrée en vigueur. Beaucoup de personnes en ont profité pour franchir le pas, parfois espéré depuis bien longtemps. 

marine gatineau-dupré porte mon nom
Marine Gatineau-Dupré a eu un déclic après avoir trop entendu la phrase "Mais qui me dit que vous êtes la mère ?" • photo DR

Parmi les personnes qui ont rendu possible cette loi, il y a Marine Gatineau-Dupré. Cette maman habite Marsillargues, dans l'Hérault, à quelques kilomètres de la frontière gardoise. Quand ils sont nés, sa fille et son fils ont pris seulement le nom de famille de leur papa, comme plus de 80% des enfants en France. Mais cette maman a vite regretté de ne pas avoir adossé son nom à celui du père. Au quotidien, elle est sans cesse obligée de prouver qu'elle est bien la mère. À l'école, chez le médecin, à l'aéroport... "Le coup de grâce a été porté il y a cinq ans. J'ai amené mon fils aux urgences de Nîmes, il avait 42°C de fièvre. J'étais tellement paniquée que je suis partie sans rien, sans la carte vitale, sans papiers d'identité. Sur place, on m'a répliqué : "Qui me dit que vous êtes la mère ?" Même s'ils faisaient leur job, ce n'était pas entendable à ce moment-là. Ils ont fini par prendre en charge mon fils mais quand je suis sortie, j'étais décidée à tout étudier pour changer ça", témoigne-t-elle. 

Une loi partie du collectif "Porte mon nom"

Elle lance alors une enquête sur le web et reçoit plus de 2 000 réponses en une semaine. Le collectif "Porte mon nom" naît ainsi d'une pétition en ligne. À partir de tous les témoignages reçus, Marine Gatineau-Dupré a rédigé une proposition de loi. Avec le député Patrick Vignal (LREM), ils travaillent pendant des mois. Le décret tombe entre les mains du Garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui finit par dire en décembre 2021 qu'il "allait la réécrire avec ses équipes pour qu'elle soit constitutionnelle". En février 2022, la loi est votée. En mars, elle est promulguée au Journal officiel et le 1er juillet, elle est mise en application.

Que permet la loi ?

Avec cette loi, le nom d'usage entre officiellement dans le code civil. Le parent (souvent la mère) qui n'a pas mis son nom à la naissance de l'enfant peut l'adjoindre en deuxième position sans l'autorisation de l'autre parent. Il devra seulement en être informé. Le nom d'usage apparaîtra sur la carte d'identité et le passeport. Deuxième gros changement permis par cette loi : tout citoyen français peut changer de nom de famille une fois dans sa vie en prenant soit le nom de sa mère ou de son père ou soit les deux dans le sens souhaité, sur simple déclaration en mairie. Seul un mois de délai de réflexion est demandé et la démarche est gratuite. Il n'y a pas besoin de justification. "J'ai bien insisté sur ce point par rapport aux personnes qui ont été victimes d'inceste, de violence et qui n'avaient pas à remuer ces souvenirs douloureux auprès de personnes que ça ne regardait pas", atteste Marine Gatineau-Dupré. Cette démarche simplifiée ne modifie en rien les recherches généalogiques. Par contre, pour changer complètement de nom de famille, la démarche ne change pas et doit toujours passer par le tribunal administratif. Et troisièmement, la loi permet à un mineur de changer de nom de famille dans le cas d'un retrait total de l'autorité parentale. Le juge peut décider dans l'intérêt de l'enfant de changer le nom de famille. C'est souvent dans des cas extrêmement graves.

Aujourd'hui, son fils et sa fille portent toujours le nom de leur papa mais aussi "Gatineau" en nom d'usage. Même si son combat est gagné, Marine Gatineau-Dupré continue d'aider de nombreuses personnes à travers toute la France en tant que présidente de "Porte mon nom", devenue une association. Parmi elles, Marlène Lasne, 43 ans, habitante d'Uchaud et fonctionnaire dans une faculté. Elle aussi a adjoint son nom comme nom d'usage pour ses deux enfants : "À leur naissance, le choix a été fait qu'ils portent le nom du papa. À l'époque, la question ne se posait pas. J'avais espoir qu'avec le mariage, je puisse avoir le même nom qu'eux. Mais on s'est séparés." Comme la présidente de "Porte mon nom", Marlène Lasne a enchaîné les déconvenues et a été obligée de justifier qu'elle est bien la mère. "Un jour, lors d'un contrôle, l'agent me demande si je suis bien la mère des enfants, au milieu du wagon. Il exigeait que je présente le livret de famille ou un document écrit du papa", déplore-t-elle.

"Je suis faite de la moitié de papa et de la moitié de maman, c'est normal que je porte les deux noms"

Bon droit ou excès de zèle ? Dans les deux cas, Marlène ne décolère pas : "On fait un enfant à deux, la femme le porte pendant neuf mois, accouche, l'allaite seule et après, elle doit prouver qu'elle est bien la maman. On ne demande jamais rien au père." Marlène a le sentiment injuste de ne pas être reconnue administrativement en tant que mère, que sa branche de l'arbre généalogique n'est pas à égalité avec celle de son ex-conjoint...

Elle a découvert "Porte mon nom" il y a deux ans et a parlé à ses enfants d'ajouter "Lasne" en nom d'usage, sans pour autant gommer le nom de leur papa. "Ma fille d'elle-même depuis la rentrée écrivait les deux noms sur son agenda et ses cahiers. Elle m'a dit une très belle phrase qui m'a décidée à foncer : "De toute façon, je suis faite de la moitié de papa et de la moitié de maman, c'est normal que je porte les deux noms"."

marlène lasne
Les deux enfants de Marlène Lasne portent désormais son nom en nom d'usage sur leurs papiers d'identité.  • photo Marie Meunier

Dès qu'elle a appris que la loi allait entrer en vigueur, elle a cherché à prendre rendez-vous au plus vite. Mais elle a enchaîné les refus dans plusieurs mairies, certaines demandant une autorisation du père alors que la loi indique que le père doit seulement être informé. "Je suis tombée sur des gens extras à la mairie annexe de Saint-Cézaire à Nîmes. [...] Deux jours après Noël, une enveloppe m'attendait avec à l'intérieur les pièces d'identité de mon fils. Les deux noms y figuraient : le patronymique et d'usage en second, sans tiret." Sans évincer le papa, elle voulait aussi que sa famille monoparentale soit reconnue et "rétablir ce qu'il s'est passé en réalité". Une fois qu'ils auront 18 ans, ses enfants auront le choix de garder les deux noms ou de choisir l'un ou l'autre. 

Elle raconte : "Je suis retournée aux urgences avec mon fils depuis, on ne m'a rien demandé. Ça change la vie. En février, j'ai aussi eu la carte d'identité et le passeport de ma fille avec les deux noms. Ces cinq lettres en plus, c'est un énorme cadeau et en même temps, on est juste dans notre bon droit. Ça me donne toute ma légitimité." Heureuse d'être allée jusqu'au bout, elle encourage toutes les personnes dans sa situation à faire de même. 

115 actes de changement de nom à Nîmes depuis septembre 2022

Depuis septembre 2022, les demandes affluent. Rien qu'à Nîmes, il y a eu 115 actes de changement de nom, 40 sont en cours. "Des rendez-vous de dépôt de dossier sont prévus déjà en juin, juillet et août. C'est une nouveauté qui connaît un énorme succès. Nous avons dû ouvrir des créneaux supplémentaires pour absorber les nombreuses demandes", indique la Ville. 

L'écrivaine nîmoise Lucie Dulac vient d'ailleurs juste de signer la confirmation de sa demande faite fin décembre. Elle veut adjoindre à son nom marital Dulac, le nom de jeune fille de sa mère, Sarthou. Cela fait déjà très longtemps qu'elle et sa sœur veulent porter le nom de leur maman : "Mon père m'a abandonnée quand j'avais deux ans et ma sœur trois mois. Quand on a eu 18 ans toutes les deux, déjà on s'était posées la question de changer, mais c'était tellement compliqué à l'époque. On s'était dit qu'on se marierait un jour et qu'on changerait de nom à ce moment-là."

"On ne ressent pas d'attachement envers notre nom de famille"

Quand la loi a été promulguée, Lucie est tombée sur un article et l'a tout de suite envoyé à sa sœur. Toutes deux n'ont pas hésité et ont eu envie de couper ce pont avec ce père avec qui elles n'ont plus de contact. Même mariées, elles tiennent à ce que le nom de leur mère apparaisse sur leurs papiers : "On ne ressent pas d'attachement envers notre nom de famille, qui est celui de notre père. Notre identité est chez les Sarthou.

lucie dulac
Lucie Dulac s'appellera bientôt Lucie Dulac Sarthou.  • photo DR

Pour sa sœur, qui habite en Charente-Maritime, le changement est déjà effectif, pour Lucie, c'est encore en cours. "On a fait la surprise à notre maman. Elle était très émue. Elle ne s'attendait pas à ce qu'on fasse cette démarche. Après le départ de mon père, elle ne s'est pas remariée et nous a élevés tous les quatre avec mes demi-frère et sœur. Elle a joué le rôle du père et de la mère. Elle le mérite bien." 

Marie Meunier

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