Publié il y a 7 mois - Mise à jour le 29.02.2024 - François Desmeures - 4 min  - vu 529 fois

VAL D'AIGOUAL Le hameau d'Ardaillers commémore les 80 ans de l'attaque nazie et ses cinq victimes

Le hameau d'Ardaillers surplombe la vallée de l'Hérault

- François Desmeures

Ce jeudi 29 février et dimanche 3 mars, le hameau d'Ardaillers commémorera l'attaque du village par les nazis et les cinq personnes qui en sont mortes, abattu sur place pour l'un et pendus à Nîmes pour les quatre autres. L'association La Soureilhade entretient le souvenir de ces martyrs. La semaine sera d'ailleurs complète, avec une plaque commémorative inaugurée, ce samedi à Jonquières-Saint-Vincent, à l'endroit où les 15 pendus de Nîmes furent ensevelis, à la sauvette, dans une fosse commune.

Le hameau d'Ardaillers surplombe la vallée de l'Hérault • François Desmeures

Nul doute que l'ambiance sera silencieuse et lourde, ce jeudi matin à 11h et dimanche à midi, devant la stèle du souvenir, au lieu-dit Le Pouget, au hameau d'Ardaillers. Un hameau qui a abrité une éphémère école des cadres de la Résistance, rapidement connue des officiers SS. Le 29 février 1944, 350 soldats donnaient donc l'assaut au hameau d'un peu plus d'une centaine d'habitants. Et emportaient quatre de ses fils, pour les pendre à Nîmes, après en avoir laissé un autre agoniser au pied d'une maison. 

"Dès 1942-1943, les jeunes qui devaient partir au Service du travail obligatoire (STO) sont venus se réfugier dans les Cévennes, raconte Christiane Gaona, de l'association La Soureilhade qui entretient le souvenir de ce lourd pan d'histoire  dans la vallée. À Taleyrac, le pasteur Laurent Olivès avait accueilli des réfractaires. Avant la guerre, il avait déjà travaillé à faire partir d'Allemagne des juifs, des communistes et d'autres personnes menacées par les nazis." 

"Et le 29 février, ils ont vu qu'ils avaient été dénoncés"

Christiane Gaona, de l'association La Soureilhade

En complément de l'action de Taleyrac, une école des cadres s'installe à partir d'août 1943, à Ardaillers. Deux sessions s'organisent, pour ce qui s'apparente à une formation militaire sans armes. La première, en janvier, se déroule, sans anicroche. La seconde aussi, elle s'achève le 28 février. "Et le 29 février, ils ont vu qu'ils avaient été dénoncés", tranche Christiane Gaona. 

La maison où le maquis La Soureilhade fut fondé et qui fut incendiée par les nazis • François Desmeures

Sur l'origine de la dénonciation, le mystère demeure encore. Dans le hameau, on a bien constaté qu'une ou deux familles n'assistaient jamais aux commémorations de la tragédie, après guerre. Les soupçons ont créé des clivages dans le village mais l'origine n'a jamais véritablement émergé. 

Plaque posée sur la maison qui vit la naissance du maquis • François Desmeures

Ce 29 février 1944, "des amis de Ganges ont averti le maquis et Laurent Olivès que des Allemands montaient, raconte Christiane Gaona. À ce moment-là, ils avaient déjà mené des arrestations à Saint-Hippolyte-du-Fort." Une quinzaine en réalité, ainsi qu'une pendaison, déjà... Mais la route vers Ardaillers est alors une piste, la progression est lente pour les 47 véhicules et environ 350 soldats. Et la trentaine de maquisards réussit à prendre la fuite par le nord, vers Les Plantiers, et certains jusqu'à Vébron, en Lozère. Des villageois leur emboîtent le pas.

Le pasteur Laurent Olivès vécut jusqu'en 1999 • François Desmeures

En attendant, les envahisseurs n'ont pas monté le matériel pour rien, et bombardent la partie haute du hameau. La maison d'une famille Nadal y passe, celle de la famille Illaire, au coeur du hameau, est incendiée. "À l'époque, la route vers Notre-Dame-de-la-Rouvière n'était pas encore ouverte." Le hameau est donc un cul-de-sac pour les habitants, sans possibilité de fuite autre que la montagne. 

La maison de la famille Illaire, elle aussi incendiée • François Desmeures

"Ils n'ont pas trouvé de maquisard", rassure Christiane Ganoa. Mais il s'agit, pour les nazis, de faire des exemples. D'abord en abattant "le fils Nadal, Émile, qui n'avait aucun lien avec la Résistance" et voulait simplement tenter d'éteindre l'incendie de sa maison. Puis, dans la fouille systématique du hameau, "ils sont venus dans la cour de la maison de ma grande-tante, poursuit Christiane Ganoa, et ont pris mon grand-oncle en otage."

Les soldats embarquent les bêtes, pillent ce qui a de la valeur, mettent le feu au Mas Gibert, et s'en vont sur les coups de 14 heures. "En repartant, ils ont embarqué mon autre grand-oncle", achève Christiane Ganoa, qui n'était heureusement pas née lors des événements. Au total, six villageois sont emmenés vers Nîmes. 

Émile Eckhardt, Hénoc Nadal, Louis Carles et Désir Jeanjean, les quatre pendus d'Ardaillers

"Sur les six, quatre vont être pendus à Nîmes. Mes deux oncles ont été sauvés, on ne sait toujours pas pourquoi." C'est le propre de l'arbitraire de ne pas expliquer pourquoi il tue, ou sauve de l'horreur promis. Fernand et Noël Nadal s'en sortent donc, permettant de connaître les tortures subies par eux et leurs compagnons. Les quatre autres feront, le 2 mars, partie du contingent des quinze pendus en trois lieux de Nîmes, en compagnie de résistants de Lasalle, Saint-Hippolyte-du-Fort, Saint-Roman-de-Codières et de deux blessés du maquis Bir-Hakeim, récupérés à l'hôpital de Nîmes. Ils s'appelaient Émile Eckhardt, Hénoc Nadal, Louis Carles et Désir Jeanjean. Avec une particularité pour le premier, par rapport aux autres : "Il était pétainiste. Mais il paraît qu'il n'aimait pas les Allemands."

Sur les quinze pendus de Nîmes, trois l'ont été route d'Uzès, six route de Beaucaire et les six derniers à proximité de l'actuel lycée Hemingway, pour qu'ils soient visibles de la route de Montpellier. Les Allemands auraient bien aimé les laisser exposer au moins 24 heures mais l'indignation générale les incitent à écourter le macabre spectacle. Les corps sont ensuite jetés dans une fosse commune à Jonquières Saint-Vincent, chemin de la Thine, en toute discrétion. 

La stèle offerte par le maquis la Soureilhade, et apposée en 1997, pour remercier les habitants d'Ardaillers. Elle recevra les commémorations des 29 février et 3 mars • François Desmeures

L'inusable Francis Cavalier-Bénézet a longtemps entretenu la mémoire de l'attaque d'Ardaillers. La Soureilhade a suivi et la population a soutenu. Deux stèles rappellent cette journée d'année bissextile que le hameau commémore tous les ans. Une nouvelle sera inaugurée ce samedi, loin d'Ardaillers, à Jonquières-Saint-Vincent, là où les cadavres furent finalement exhumés après la Libération et enterrés dans un carré du cimetière Pont de Justice. Sauf un, qu'on mit dix ans à identifier et dont la dépouille a fini à Saumane, qui devait accueillir un cimetière des anciens du maquis d'Aire-de-Côte. 

Ce jeudi 29 février, les villageois rendront donc hommage à la mémoire des victimes, à 11 heures devant le lieu où Émile Nadal a été abattu, puis, à 11h30, devant la stèle du hameau. Dimanche 3 mars, la sous-préfète du Vigan et le commandant de groupement de gendarmerie du Gard feront le déplacement pour déposer une gerbe sur la tombe d'Émile Nadal, au mas Miquel, à 11 heures, et participer à la cérémonie du Souvenir, à 11h30, au lieu-dit Le Pourget. "Afin, rappelle Chrsitiane Ganoa en écho à la devise de l'association, que nul n'oublie".

François Desmeures

En plus de l'inauguration de la stèle, à Jonquières-Saint-Vincent, une conférence se tiendra samedi 2 mars à Nîmes, à 17h à la Maison du protestantisme, avec Armand Cosson, professeur d’histoire honoraire au lycée Daudet.

François Desmeures

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