Publié il y a 11 mois - Mise à jour le 03.05.2023 - François Desmeures - 6 min  - vu 2891 fois

FAIT DU JOUR Comment, et en quelle quantité, circule le Vidourle sous la plaine de Conqueyrac ?

Dans la plaine de Conqueyrac, le Vidourle ne sort de terre qu'en période de crue

- (photo François Desmeures)

L'Établissement public territorial de bassin (EPTB) du Vidourle mène un travail de recherche pour comprendre comment fonctionne le karst qui abrite le Vidourle, entre Saint-Roman-de-Codières et Quissac. C'est la portion entre Saint-Hippolyte-du-Fort et Sauve qui intéresse au plus près les gestionnaires, dans cette grande plaine de Conqueyrac qui accueille deux barrage écrêteurs de crues, alors même que le Vidourle n'y est visible que lors des vidourlades. L'EPTB cherche à savoir à quelle profondeur passe la rivière, avec quelle dynamique, et surtout quelles sont ses interactions avec les karsts de rivières proches, comme le Lez et l'Hérault. Reportage dans une plaine asséchée, les pieds au-dessus de l'eau. 

Le Vidourle, à Saint-Hippolyte-du-Fort, le 31 janvier dernier • (photo François Desmeures)

Ce ne sont pas les informations qui manquent pour indiquer la présence de la rivière : à Conqueyrac, le Vidourle est partout, que ce soit sur les panneaux routiers ou sur ceux de risque de vague/submersion qui invitent les promeneurs à se montrer prudents. Mais de rivière à proprement parler, pas une flaque. En soi, rien d'alarmant à cela : le Vidourle s'enfouit sous terre à l'aval de Saint-Hippolyte-du-Fort, même en hiver, et ne réapparaît qu'à la faveur de crues, dont l'ancienne mairie connaît la violence, elle qui avait compté 1,52m d'eau dans ses murs en 2002.

À la résurgence de Sauve, où l'eau coule peu actuellement • (photo François Desmeures)

La rivière ressort en quantité à la résurgence de Sauve. Du moins, c'est plus que probable. Parce que, réellement, les gestionnaires du Vidourle ne savent pas précisément s'ils s'agit de la totalité de ce qui s'est enfouie, ou si la résurgence bénéficie d'autres apports. Ou, encore, si le karst (1) qui compose le sous-sol du fleuve n'est pas en interconnexion avec d'autres bassins, comme l'Hérault, le Gardon et surtout le Lez. Vastes questions sur un vaste territoire enterré. Autant par recherche scientifique que par anticipation sur l'avenir, l'EPTB Vidourle a donc décidé d'en savoir plus.

Le barrage écrêteur de crues de Conqueyrac, sur le Vidourle. Lors des inondations de 2002, la plaine s'était tranformée en un immense lac et l'ancienne mairie, "qui, théoriquement, n'était pas inondable", selon le maire actuel, avait reçu 1,52m d'eau • (photo François Desmeures)

"Ce sont, en fait, deux études que nous menons pour mieux comprendre la circulation souterraine, explique Marie Savéan, chargée de la ressource en eau à l'EPTB Vidourle, au nord de Quissac jusqu'à Saint-Roman-de-Codières, pour la première, et autour de Sommières. Le fonctionnement souterrain est globalement assez compliqué, on essaie de comprendre s'il existe des interactions avec le Vidourle. Parce qu'on observe des zones de pertes et de résurgence. On veut comprendre comment l'eau va du souterrain à la surface. À Sauve, par exemple, on ne sait pas vraiment quelle est l'eau qui ressort à la résurgence. Est-ce tout le Vidourle enfoui ? Ou est-ce qu'on retrouve des eaux du Crespenou ou du Rieumassel ?" (2)

"On essaie actuellement de recenser tous les points d'entrée qui donnent accès à l'eau"

Doriane Morata, spéléologue amatrice qui fournit des données d'observation à l'étude

"On a quelques données ou des études locales, sur Saint-Hippolyte-du-Fort ou Monoblet, menées au moment de la recherche d'eau potable pour la commune", poursuit Marie Savéan. Des traçages, également, effectués, en colorant l'eau, il y a bien longtemps, selon des techniques moins développées qu'aujourd'hui. Et, surtout, des informations souterraines de terrain, "très précieuses" pour Marie Savéan, rapportées par les spéléologues amateurs.

Doriane Morata et Damien Vignoles • (photo François Desmeures)

Doriane Morata et Damien Vignoles sont de ceux-là. Des bénévoles, passionnés de cavités, qui passent une partie de leur temps libre sous terre, à explorer. Pour leur plaisir personnel et pour rapporter des données, "pour mieux comprendre le système karstique, explique Doriane. On n'est pas sur un système de nappe, ici l'eau circule et trouve des lieux où elle se stocke." Et si l'étude portera surtout sur la plaine entre Saint-Hippolyte-du-Fort et Sauve, Damien Vignoles donne l'intérêt d'impliquer l'amont. "C'est un système de réserve dynamique, une chaîne entre les forêts et les vallées. Dans ce schéma, la végétation sert d'éponge, elle ralentit le passage de l'eau. De sorte que, si des coupes blanches de bois ont lieu en amont, en aval, l'eau va se vider.  Entre St-Hippo et Sauve, c'est un constant renouvellement." 

Le barrage écrêteur de Ceyrac, sur le Rieumassel, toujours sur le territoire communal de Conqueyrac • (photo François Desmeures)

"On a gardé de la documentation et des vieilles études, poursuit Doriane Morata, de spéléologues qui ont réalisé des observations. On essaie actuellement de recenser tous les points d'entrée qui donnent accès à l'eau." Et, à la faveur de l'étude lancée par l'EPTB, "on dévoile désormais où sont les cavités qu'on connaissait. Avant, ce n'était qu'une activité de loisirs pour nous, notre but était de trouver la rivière. Mais on oublie qu'en spéléologie, il existe aussi un volet intérêt général." Celui-ci se heurtant parfois à la propriété privée des terrains où sont situées les bouches d'entrée dans le sous-sol, ou même aux observations ignorantes et courroucées de badauds passant par là... Alors que  les spéléologues amateurs sont en première ligne pour donner l'alerte sur une pollution souterraine, par exemple. De ces données spéléologiques, Doriane et Damien attendent "que les bureaux d'études y mettent une valeur scientifique". Eux n'ont aucun intérêt financier dans l'opération et ne pourront même pas plonger dans le karst, comme ils en ont l'habitude, la tâche étant réservée, si nécessaire, à une personne diplômée d'État. Ils souhaitent que l'étude permette à leur passion d'être reconnue comme d'utilité publique, "et qu'on arrête de passer pour des rats", résume, dépitée, Doriane Morata.

"On a de forts soupçons sur une connexion entre le karst du Vidourle et celui du Lez"

Marie Savéan, chargée de mission Ressource en eau à l'Établissement public territorial de bassin (EPTB) du Vidourle

"La donnée qu'on a récoltée est publique, on l'a récoltée chez d'autres", sourit-elle, on se contente de donner les observations", tandis que les prestataires choisis par l'EPTB se chargeront "de mettre en place les traçages, pour confirmer, ou pas". Et la confirmation ne porte pas uniquement sur le fait de savoir si le Vidourle n'est pas seul à réapparaître à Sauve. "À partir des traçages qui avaient été faits, on a de forts soupçons sur une connexion entre le karst du Vidourle et celui du Lez, précise Marie Savéan. On travaille avec la Métropole de Montpellier sur le sujet. On pense à des connexions entre le Vidourle et le Lez, mais aussi entre le Vidourle et l'Hérault." Avec le Rieutord - qui descend de Saint-Martial et traverse Sumène et Ganges - et sa "circulation karstique" comme éventuel trait d'union. "Il peut y avoir une jonction entre deux acquifères." "On a une histoire des traçages, c'est vrai, approuve Doriane Morata. Mais quand les colorations ont été faites, on ne sait pas à quel niveau de remplissage du karst on était. On a donc très peu d'éléments de comparaison pour évaluer les circulations." Les bureaux d'études installeront donc des stations piézométriques, sous terre, pour évaluer les niveaux d'eau au moment des colorations. 

Évidemment, après deux années d'une sécheresse en cours, difficile de ne pas imaginer de lien entre cette recherche et les risques de pénurie d'eau redoutées sous les effet du réchauffement climatique. Et ce, alors même que l'EPTB Vidourle élabore son plan de gestion de la ressource en eau, qui passe par "mettre l'ensemble des usagers autour d'une table pour respecter l'ensemble des usages. L'étude est vraiment faite pour mieux connaître la ressource", éclaire Marie Savéan, en charge du plan. 

"Le transfert des compétences eau et assainissement, en 2026, conduit à l'interconnexion. Du moins à l'échelle intercommunale."

Jacques Dautheville, maire de Conqueyrac et vice-président du Piémont cévenol en charge de la gestion des milieux aquatiques et de la prévention des inondations (GEMAPI)

Alors, en caricaturant un peu, en est-on déjà à imaginer que l'eau du karst du Vidourle pourrait alimenter Montpellier en eau potable, irriguer les vignes du Sommiérois ou arroser les oignons doux de la vallée de l'Hérault ? Marie Savéan botte logiquement en touche. "On tient à rester sur notre compétence. La gestion, l'alimentation, ce sera à la communauté de communes de décider." Comme les autres, celle du Piémont cévenol - dont font partie Saint-Hippolyte-du-Fort, Conqueyrac et Sauve - récupèrera la compétence eau et assainissement au plus tard au 1er janvier 2026. L'année où, justement, l'EPTB estime pouvoir fournir des "résultats fiables" sur cette étude. 

Jacques Dautheville, maire de Conqueyrac et vice-président de l'EPTB Vidourle, élu référent de l'étude • (photo François Desmeures)

"On ne sait pas bien ce qu'on a sous les pieds, confirme Jacques Dautheville, maire de Conqueyrac. Si ce n'est deux failles qui créent une discontinuité écologique." Vice-président de l'EPTB Vidourle, le maire est aussi l'élu référent qui suit l'étude, "qui pèse environ un million d'euros. Elle va nous servir à savoir ce qu'on peut faire et ne pas faire." En gestionnaire, Jacques Dautheville pense déjà que les résultats pourraient donner lieu à "un périmètre de protection pouvant interdire d'approcher tel ou tel endroit", de façon à assurer la bonne qualité sanitaire de l'eau, alors que Liouc, Brouzet-lès-Quissac ou Corconne ont "de gros problèmes de ressources"

La qualité des eaux, le maire connaît : initialement dépendante d'un pompage dans le Rieumassel souterrrain, sa commune voyait l'eau tourner "à la catastrophe" dès qu'il pleuvait. Désormais situé entre Conqueyrac et Pompignan, le point de captage est bien préservé. La qualité est aussi un enjeu alors que trois agriculteurs viennent de se réinstaller dans la plaine, à la faveur d'un droit et d'un réseau d'irrigation que possède la commune pour avoir accepté que le barrage écrêteur sur le Vidourle soit bâti sur le territoire communal. Que l'eau souterraine du Vidourle puisse être exploitée à grande échelle, le maire n'y pense pas encore. "Le transfert des compétences eau et assainissement, en 2026, conduit à l'interconnexion. Du moins à l'échelle intercommunale, nuance Jacques Dautheville. Au-delà, on n'a pas encore parlé de ça. Ma crainte, à plus grande échelle, ce serait qu'on monte une usine à gaz et que ça finisse dans les mains de groupes privés." Contrairement aux voisins héraultais du Grand Pic Saint-Loup, la Communauté de communes Piémont cévenol ne s'est pas emparée de la compétence irrigation. "Mais l'agriculture souffre de plus en plus, constate Jacques Dautheville, il faudra peut-être se poser la question.

(1) Ensemble de cavités et de galeries créées par la dissolution de roches sédimentaires - ici du calcaire - sous l'effet du passage de l'eau.

(2) Le Crespenou et le Rieumassel sont deux affluents du Vidourle, qui rejoignent le fleuve à environ un kilomètre d'écart, en amont de Sauve. Comme le Vidourle, le Rieumassel est souterrain presque toute l'année, tandis que l'eau court encore dans les gorges que forme le Crespenou, en général jusqu'à l'été, sauf année de sécheresse. Mais lui aussi est souterrain en plaine. 

(photo François Desmeures)

François Desmeures

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