FAIT DU SOIR Sécheresse : les pêcheurs attendent l'eau "comme le Messie"
L'ouverture de la pêche à la truite a eu lieu le 11 mars. Mais ce début de saison est marqué par la sécheresse et le manque d'eau. Les pêcheurs sont très inquiets pour la santé des milieux aquatiques dans les semaines à venir.
"J'ai 64 ans et c'est la première fois que je vois ça. On en a vécu des étés secs mais une sécheresse qui persiste ainsi, jamais !", assure Henri Jouve, président de l'AAPPMA (association agréée de pêche et de protection des milieux aquatiques) Rhône-Cèze, qui compte 980 adhérents. Avant ce week-end de pêche, lui et plusieurs bénévoles ont relâché des truites dans plusieurs cours d'eau, notamment la Vionne à Saint-Marcel-de-Careiret et la Tave. "Un autre lâcher est prévu dans 15 jours. Les rivières sont déjà basses. Si on voit que le niveau continue de baisser, on devra prendre une décision avec les membres du bureau. Sûrement celle d'arrêter de pêcher", alarme le président de l'AAPPMA.
Déjà l'été dernier, la chaleur et la sécheresse avaient sévi dans les cours d'eau. Des poissons s'étaient retrouvés coincés par les assecs. Certains ont quand même pu être sauvés à l'épuisette : "Dans la Tave, on avait quand même eu de la mortalité de poissons. La température de la Cèze était même montée à 29,5°C. C'est très haut surtout quand on sait qu'à 30°C, les poissons ne survivent pas." Alors aujourd'hui, les bénévoles de l'AAPPMA Rhône-Cèze attendent l'eau "comme le Messie" même "si ça n'a pas l'air de s'arranger", déplore Henri Jouve.
"On a des niveaux d’eau proches de ce qu’on peut avoir au mois de juillet"
Que le printemps soit pluvieux et parvienne à recharger les nappes et cours d'eau, c'est aussi "la doléance" de Vincent Ravel. Pour le président de la fédération de pêche du Gard, le problème va bien au-delà de la pratique de la pêche - qui représente tout de même 16 000 pratiquants dans le Gard - mais touche à la protection des milieux. Il poursuit : "Actuellement, on a des niveaux d’eau proches de ce qu’on peut avoir au mois de juillet. Si nous n'avons pas de précipitations au printemps, on va connaître un phénomène de sécheresse plus intense que l'année dernière. Et déjà, 2022 avait été très problématique. La barre des 40 degrés a été dépassée quatre fois. C'était déjà une année record, avec un déficit hydrique conséquent."
Actuellement, la partie aval de la Cèze (Bessèges, Sénéchas et Tharaux) est la zone la plus en tension. "On est proche de 50% de déficit hydrologique. Vers l'Aigoual aussi, il y a 700 ml de déficit", chiffre le président de la fédération. Des petits ruisseaux, véritables niches écologiques très propices au développement des poissons, sont déjà à sec. S'il y a moins de reproduction dans ces eaux-là, c'est tout l'écosystème qui en pâtit. En plus des volumes de précipitations qui baissent, les températures des cours d'eau augmentent, ce qui perturbent d'autant plus les cycles de vie des poissons : "On commence à avoir des températures d’eau qui dépassent les 12°C. On voit que des poissons commencent déjà à frayer, c’est rare et tôt pour la saison", assure Vincent Ravel.
"Les milieux peuvent accepter de subir une sécheresse une année", mais...
À termes, certains poissons, comme la truite, pourraient regresser, d'autres remontent comme les silures et les vairons. Des changements du peuplement piscicole pourraient alors se produire : "Les milieux peuvent accepter de subir une sécheresse une année. La résilience peut se faire. Mais si cela devient chronique, cela générera des mutations irréversibles."
Alors à la fédération de pêche, on surveille, on réfléchit à des solutions d'adaptabilité, et on étudie tous les projets de retenue d'eau capables de recharger sols et rivières. Les pêcheurs ont aussi pour consigne d'être très attentifs à d'éventuels pompages sauvages ou pollutions des cours d'eau : "Si le débit est faible, l'eau sale n’est pas diluée et ça génère de gros désordres", rappelle Vincent Ravel.
Dans le sud du département, à Bellegarde par exemple, la situation n'est pas aussi catastrophique que dans les Cévennes, elle reste toutefois préoccupante. "Regardez l'eau, avant, à cette période de l'année, elle était translucide", s'inquiète Patrice Aubert, 47 ans, président de l'AAPPMA Les Lacs bellegardais qui compte 520 adhérents. Cette eau qu'il pointe du doigt est celle du plan d'eau Robert Ribière (anciennement lac des Clairettes) dans le centre-ville de Bellegarde, où l'association organise régulièrement des ateliers "pêche nature", dédiés aux plus jeunes.
Des jeunes auxquels les bénévoles ne se contentent pas seulement de leur expliquer ou les conseiller sur la pratique de la pêche, mais à leur transmettre les valeurs autour de ce sport loisir, et notamment la préservation de l'environnement, à la fois dans et autour des étangs, des lacs, des cours d'eau. Il y a bien sûr la pollution amenée par l'homme dont il faut se préoccuper, mais aussi le niveau de l'eau qui en s'abaissant crée un déséquilibre et la perte de plantes.
Alors en plus des empoissonnements - par exemple 1,5 tonne de poissons blancs et de carpes a été lâchée au lac de Sautebraut, un autre des sites gérés par l'AAPPMA Les Lacs bellegardais -, l'association travaille sur la réintroduction de végétaux et de structures. "C'est-à-dire de points de fixation sur lesquels les poissons pourront se protéger et se reproduire", précise Patrice Aubert. L'inquiétude du président porte essentiellement "sur la disparition des plans d'eau, pourtant essentiels pour la conservation de la biodiversité, si cette situation que nous constatons depuis plusieurs années persiste."
La saison de la pêche à la truite se clôturera le troisième week-end de septembre, mais pourrait connaître, comme l'année dernière, des restrictions si la sécheresse continue de sévir. Le 30 avril, s'ouvrira la saison de la pêche des carnassiers.
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