Publié il y a 9 mois - Mise à jour le 30.07.2023 - Anthony Maurin - 6 min  - vu 2234 fois

FAIT DU JOUR Massargues : chronique d’une cité médiévale et bourgeoise rayée de l’histoire de France

Quelques belles élévations (Photo Anthony Maurin).

Massargues était un village médiéval. Oublié au fil des âges, il renaît de ses cendres non loin de Vallabrix et de Saint-Quentin-la-Poterie (Uzège).

Samuel Longpierre, l'archéologue qui a découvert le site et qui organise les fouilles actuelles (Photo Anthony Maurin).

Convenons-en, il serait ridicule qu’un tel chantier, unique en France, mené par des archéologues et étudiants bénévoles et porté par une association (L’Uzège), n'arrive pas à son terme pour des raisons de manque de financements.

On rabâche à longueur de journée qu’on bâtit un futur en sachant quel était le passé. Pour cette époque et à cet endroit, on ne le connaît pas. Rien du tout. Mais alors rien de rien !

Départ de la visite du site (Photo Anthony Maurin).

Pourtant, le Gard est une pépite patrimoniale qui peut permettre à la France d’y voir plus clair dans son histoire. De l’Antiquité (mais évidemment du néolithique ou plus encore) à la période moderne, ici l’Homme a habité, est né, est mort, bref il a vécu et forcément laissé des traces. Il a construit des cités et fait avancer sa culture.

C'est par là ! (Photo Anthony Maurin).

Si la Romanité est l’atout majeur de certains sites locaux, Massargues est un bourg médiéval qui n’a rien d’une grande ville mais dont le passé s’est évanoui, a été oublié, s’est perdu (ou le contraire) dans les méandres des âges. Retrouvé il y a près de 20 ans par un passionné, Samuel Longepierre, heureusement archéologue qui a de la suite dans les idées, ce site est une merveille pour documenter la vie quotidienne de la bourgeoisie médiévale.

À l'écoute de l'archéologue (Photo Anthony Maurin).

Ici, rien de spectaculaire, peu d’élévations, peu d’artefacts mais de nombreux questionnements. Comment peut-on (presque) oublier un tel lieu, une histoire, des bâtiments, une ville entière ? Pourquoi aucune ligne ne fait mention de Massargues dans les archives écrites qui nous sont parvenues ? Comment vivaient les gens, probablement assez libres, de ce bourg perdu ?

Une pierre du mur de clôture du bourg et un mur de maison (Photo Anthony Maurin).

L’histoire est complexe et emplie de méandres. Disons qu’à la charnière des XIe et XIIe siècles, l’Évêque d’Uzès contrôle un vaste territoire qui va du Gardon à la Cèze. De son côté et en froid avec lui, le comte de Toulouse fonde une villeneuve que l’on nommera Massargues, une ville sèche d'où le nome de Villa-Sicca, à deux pas de la cité uzétienne. Le contrepouvoir à l'état pur. Le site de Massargues peut-il être considéré comme un quartier d’Uzès. Que nenni ! Au vu des fouilles, on en est loin.

Une vue d'une partie du site de Massargues (Photo Anthony Maurin).

Nous sommes au XIIe siècle, Saint-Quentin-la-Poterie est alors un bourg castral quand Massargues paraît plus simple et personne ne se revendique de ce terroir. Pas un seigneur, pas un chevalier. Positionné sur la voie menant au Puy-en-Velay, Massargues est en limites. L’appartenance au clergé, à la paysannerie, à la bourgeoisie ou à la noblesse fonde la vie sociétale et l’on ne peut que s’imaginer une dentelle de comportements, de territoires et de caractères propres à jouer, un temps, sur tous les tableaux.

Une large vue (Photo Anthony Maurin).

L’histoire s’entremêle, comme toujours, et les archéologues doivent tenter de poser les bonnes questions aux historiens qui doivent eux-mêmes parfaire leurs connaissances pour ajuster des réponses à confirmer grâce aux fouilles.

De ce côté, dans les bosquets, une anomalie certainement due à la présence d'un enclos éclésial carolingien (Photo Anthony Maurin).

La semaine dernière, 46 personnes sont venues visiter le site situé non loin de Vallabrix, sur les pentes d’une petite colline. Ce samedi, 36 personnes sont inscrites et prouvent un réel attachement à ces trouvailles méconnues. Des badauds, des curieux, des passionnés, des archéologues, des représentants de musées, Massargues interpelle.

Ici les tuiles du toit, en lauze, recouvrent maintenant l'ancien sol des maisons médiévales après leur effondrement (Photo Anthony Maurin).

À l’ombre des chênes et des pins, les discussions vont bon train en lisière du domaine viticole de Castelnau. « Vous allez voir, cette année encore ils ont trouvé de belles choses ! C’est incroyable. »

Une vue du site (Photo Anthony Maurin).

Une grosse vingtaine d’étudiants aide la paire d’archéologues. Tout le monde est bénévole et autant vous dire que fouiller en garrigue relève de la vaillance pure et de la folie douce. Samuel Longepierre contextualise. « Nous avons programmé trois campagnes estivales, nous sommes sur la deuxième. Nous allons modéliser Massargues en 3D via la photogrammétrie pour la première fois mais le site n’est pas en danger, c’est pour cela que c’est une fouille programmée où la recherche fondamentale est primordiale. C’est un gros travail associatif. Nous sommes cependant inquiets pour la campagne 2024… Nous voulons étendre les fouilles mais tout le monde baisse les budgets. »

Une autre vue du site (Photo Anthony Maurin).

Se faisant une raison sur la chose, Samuel Longepierre avance tout de même. La Région baisse sa subvention de 20 %, le Département de 30 %. Même la Drac aura moins d’argent…

Revenons au site. « Il n’y a aucun équivalent en France. Massargues est une petite ville de trois hectares qui aurait dû rester de la taille de Villeneuve ou Bagnols. Mais elle a disparu et la problématique est importante car le chantier est grand et permet d’avoir une vision globale » poursuit Samuel Longepierre.

Ça fouille dur... même en pleine garrigue, même sur la roche ou ici sur un ancien sol composé d'un mortier de chaux qui fait penser à une maison "privilégiée" (Photo Anthony Maurin).

Pour l’instant, les fouilles se concentrent sur 20% du bourg médiéval qui se poursuit au Nord et à l’Ouest. Une villeneuve née d’une volonté politique, d’un pouvoir important qui transforme une région en y apportant une population. Massargues, la Villa-Sicca, Marsanisis, autant de nom évocateur. « Ce bourg est bâti par le Comte de Toulouse pour faire contre-pouvoir à l’évêque d’Uzès. Le Comte était bien positionné sur la vallée du Rhône et Massargues pouvait être un point sur la voie de communication qui allait jusqu’à Paris. »

D'ici, on embrasse le site et les vastes maisons mises au jour (Photo Anthony Maurin).

Mais une villeneuve a aussi un enjeu économique, celle de l’agglomération en village comme on en connaît aujourd’hui. Comment fouiller un tel site ? « D’abord il a fallu déboiser car c’était impénétrable. Nous essayons de sortir un modèle d’urbanisme médiéval en plusieurs phases. La mise en place de la villeneuve et de son lotissement avec des bornes de délimitation des parcelles à bâtir puis un plan régulateur avec des rues en lanière axées Sud-Nord. »

Mur de clôture et mur de maison (Photo Anthony Maurin).

Cette année la fouille concerne deux secteurs, les 3 et 4. Comment s’organisaient les bâtis ? Quelle population les habitait ? Des paysans, des nobles ? Si un îlot plus ancien et datant de la période carolingienne apparaît comme une anomalie, un renflement d’une partie du site qui pourrait contenir une église et son enclos ecclésial, Massargues vit environ 150 ans entre les XII et XIIIe siècle. Un sondage sera effectué l’année prochaine pour en savoir plus sur cette anomalie plus ancienne.

Une partie du mur de clôture (Photo Anthony Maurin).

« Tout est mystérieux, discret… On pense que les habitants avaient acheté leur droit et acquis une certaine liberté. C’est ce que l’on appelle la période consulaire, une organisation communautaire gérée, ici, par la bourgeoisie qui connaît le droit romain. Puis, la population va vider la cité, entièrement et proprement. »

Quelques belles élévations (Photo Anthony Maurin).

De cette époque on a l’habitude de fouiller des parties, petites, de sites médiévaux. Ici, le terrain de jeu est intact et vaste. On a de grandes maisons qui contraste avec les us et coutumes qui veulent qu’en ruralité les maisonnées ne soient composées que d’une, deux ou trois pièces. À Massargues, bon nombre de maison en ont six, sept, dix… Des bourgeois peuplent donc Massargues. Une rareté totale !

Le travail est pénible mais les trouvailles le récompensent largement (Photo Anthony Maurin).

« Nous avons les plans de la ville, les murs, les connexions en eux et les divers espaces. Nous avons aussi le mur de clôture et nous connaissons bien les largeurs des rues. Ici, cette maison a probablement nécessité deux casaux pour une famille au moins. C’est un grand complexe et à Massargues on peut en dire plus sur l’habitat. »

De la pierre, de l'habitat, des habitudes... (Photo Anthony Maurin).

Dans les bois on voit des dénivelés, des monceaux. Ce sont des murs effondrés appartenant à d’anciennes maisons. « Ici on ne pense pas que les habitants dormaient au rez-de-chaussée comme c’est souvent ailleurs. Nous avons des aménagements artisanaux un peu partout comme des cuves ou des meules. On touche là à l’économie de Massargues. De l’huile ? Du vin ? Je penche pour l’huile mais nous allons faire des analyses chimiques pour en être sûr. Cela coûte un peu cher mais on va essayer d’analyser le mortier de chaux qui recouvre les sols… Si c’est bien des aménagements pour de l’huile, c’est très rare ! » Donc les habitants ne sont pas des paysans, nous sommes ici dans un urbanisme économique et aucune poubelle ni dépotoir n’a été retrouvé.

Samuel va devoir publier pour faire connaître et savoir ce qu'était Massargues. On attend ça avec impatience ! (Photo Anthony Maurin).

Le secteur le mieux conservé est le secteur 4. « Il est même spectaculaire pour du médiéval ! Il y a plusieurs grandes maisons, immense, qui ressemblerait presque à une villa romaine ! Et le pire, c’est qu’il n’y en a pas qu’une des plusieurs ! »

Le public est heureux d'avoir visiter une telle merveille ! (Photo Anthony Maurin).

Rappelons aux petits malins qui voudraient faire du détectage et autres sauvageries de l’histoire qu’ici… Cela ne sert à rien car tout a été embarqué avec la population de l’époque… Il ne reste que de la pierre, très peu de métal et aucune piécette ! On attend impatiemment les prochaines publications de Samuel Longepierre qui devraient, certainement, donner un coup de pouce pour la suite des travaux. En tout cas et soyons tous en accord avec cela, ne laissons pas Massargues tomber à nouveau dans l'oubli !

Les jeunes sont là ! (Photo Anthony Maurin).

(Photo Anthony Maurin).

Samuel Longepierre (Photo Anthony Maurin).

Le travail de fond est long mais sera à coup sûr de qualité (Photo Anthony Maurin).

Voilà de quoi faire briller les yeux ! Hélas, la question de l'eau et de sa gestion, à Massargues, se pose aussi... (Photo Anthony Maurin).

Anthony Maurin

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